Chapitre 5

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De toute la journée, ils n’avaient ouvert la bouche. Achéhis, assise dans un coin, observait la grille qui la retenait prisonnière, cherchant un défaut qu’elle ne trouvait pas. Ses blessures la brûlaient, sa jambe transpercée la mettait au martyr, mais son visage ne laissait rien paraître, car elle l’avait transformée en masque de marbre, plus froid qu’un glacier aux neiges éternelles.

De son côté, l’homme ne pouvait se résoudre à entamer la conversation avec un Elfe, tout prisonnier qu’il fut. Il ne s’était pas découvert et n’avait rien répondu quand le lieutenant l’avait remercié. La beauté et l’autorité qui émanait d’elle lui avait retiré toutes paroles, et il avait été bien incapable de répondre.

La grille s’ouvrit le soir pour laisser place à un homme de petite taille, accompagné de trois dogues féroces et d’un acolyte. Ce dernier se plaça derrière le prisonnier et lui tint solidement les poignets tandis que le bourreau, car c’était lui, lâchait ses monstres sur le lieutenant. Achéhis essayait de protéger son cou et son visage des crocs acérés des chiens tout en tentant de les écarter. L’un d’eux finit par être propulsé contre un mur, écrasé par le dos du lieutenant, les côtes brisées par le choc et par la chaussure ferrée de l’Elfe qui l’avait frappé. Un jappement plaintif sorti de la prison pour monter jusque dans les appartements du Grand Chef qui attendait le fléchissement imminent de sa victime. De son côté le prisonnier avait tenté sans grand succès de se dégager de la poigne ennemie mais les privations d’eau, de nourriture et d’hygiène l’avait trop affaibli et il ne réussit qu’à recevoir le poing de son adversaire en plein visage, ce qui l’étourdit pour un bout de temps.

Achéhis luttait contre désormais deux chiens. Bien loin de les décourager, les blessures de leur compagnon avaient attisé leur haine davantage encore, et la bave qui sortait de leurs gueules ouvertes n’était pas de bonne augure. Couvert de sang et de plaies, le lieutenant luttait pour ne rien dire, se remémorant son serment fait à son Roi, il y avait maintenant plus de deux cents ans. C’était à la lumière des torches, un soir, au crépuscule. Sur l’oriflamme d’Olfondor, baissée devant elle, la main au dessus du drapeau, face à son Roi, sa voix claire avait retenti dans la clairière : « Moi Achéhis, fille de Trézur, sur mon honneur, je m’engage à servir ma Patrie, mon Roi, mon Peuple, à les protéger toujours, à mourir pour eux. Que la mort me frappe si je les trahis ! » et le Roi, en signe de consentement, lui avait remis un anneau d’argent, ciselé d’un rameau d’olivier avec, gravé à l’intérieur, la devise de l’Armée : Toujours Fidèles. Avec son pendentif en forme d’épaulard, c’était le seul bijou qui ne quittait jamais le lieutenant.

Une heure durant, elle lutta, se répétant sans cesse la dernière phrase de son serment tandis que les chiens se fatiguaient devant une telle résistance. Un homme capé de noir arriva, donna un ordre bref au bourreau qui rappela ses chiens. Quatre gardes soulevèrent ce qui restait de l’Elfe jusqu’à une salle sombre où le Grand Chef l’attendait.

- Ah, l’accueillit-il, voici donc le lieutenant téméraire… Nous avons une infirmerie avec un lit qui t’attend, ainsi que de l’eau et de la nourriture. En échange, je ne veux que ton nom et ton ordre de mission que nous n’avons pas eu la chance de retrouver sur toi.

Le silence lui répondit.

- Je vois que tu n’as pas bien compris, l’Elfe, dit-il en la giflant.

Achéhis tomba au sol mais réussit avec grand peine à se relever pour regarder de nouveau en face son bourreau.

- Ton nom !

Silencieuse, Achéhis attendait le prochain coup, décidée à ne rien dire. Mais il ne vint pas, le Grand Chef s’étant décidé à changer de tactique. Il approcha son visage de celui du lieutenant et susurra mielleusement :

- Ainsi tu souffres de la maladie de la fidélité… Pauvre enfant, cette maladie te cause bien du soucis car elle est mal dirigée. Songe un instant que ta fidélité change de camps : sois mienne et le monde t’appartiendra ; je ne suis point avare en récompense pour ceux qui savent me servir. Depuis combien de temps es-tu à l’armée ? Ne crois-tu pas avoir mérité meilleur galon que simple lieutenant ? Où était ton Roi, tes amis, quand tu tombas entre nos mains ? Qu’ont-ils fait pour toi quand les bourreaux déchaînèrent leurs coups contre toi ? Rien, voilà ce qu’ils ont fait pour toi, ton Roi et tes amis. Abandonnée d’eux, tu es toute seule, tremblante de tant de souffrance infligée sur toi à cause de ces gens qui ne sont pas venus à ton secours, qui ne t’ont pas reconnue à ta juste valeur. Combien de temps vas-tu protéger ceux qui t’ont trahie ? Rejoins moi, devient mon bras droit, prouve à tous ceux qui n’ont pas voulu voir ton talent que tu es plus forte qu’eux. Je ferai de toi une Guerrière des Anciens Temps, de l’Aurore du monde : crainte pour sa colère, adorée pour sa beauté, inatteignable dans sa grandeur et son immortalité.

L’ennemi s’était de nouveau éloigné tandis qu’il parlait, semblant être lui-même séduit par ses propres paroles. Quand son regard se posa de nouveau sur Achéhis, il ne trouva qu’un visage stoïque.

- Qu’en penses-tu ? lui demanda-t-il enfin.

Ce ne fut d’abord que le silence qui remplit la pièce sombre. Puis un petit rire se fit entendre, qui se mua en un grand éclat qui résonna sous les voûtes.

- Ah ! Crois-tu que tes propositions m’intéressent ? Traître, crois-tu que je parlerai ? Torture moi tant que tu voudras : plutôt mourir que d’accepter pareille trahison.

Les yeux d’Achéhis étaient devenus noir comme une nuit d’orage tant son courroux était grand.

- Je n’ai pas besoin de toi pour voir ma valeur qui réside dans ma loyauté, ni de ta proposition ridicule : souviens toi, ô infâme personnage, que les Guerrières des Anciens Temps périrent dans l’eau et le feu pour avoir refusé de pactiser avec le Mal Incarné que tu sers ; m’offres tu de te combattre plus efficacement ? Quand bien même je serai trahie par les miens, je ne reprendrai pas ma parole donnée. Tu perds ton temps.

L’homme caressa de son doigt la joue de l’Elfe :

- Dommage… Ah ! Chienne !

Achéhis, furieuse, venait de le mordre sauvagement, faisant giclé le sang. Le coup parti aussi vite et elle fut de nouveau jetée à terre.

- Méfie toi, reprit le blessé alors que les gardes ramenaient Achéhis dans son cachot, on ne refuse pas impunément une proposition d’alliance avec le Mal Incarné… Tu le regretteras.

Seul le regard méprisant du lieutenant lui répondit.

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