Chapitre 2
- Je ne pensais pas que mon mari puisse un jour se faire tuer ! Dit Marguerite Capaldi en fondant en larmes.J’espère que vous parviendrez à retrouver le salaud qui a buté mon époux !
- Mme Capaldi, je vous promets qu’on y arrivera, mais vous allez devoir répondre à mes questions, répondit d’un ton calme Caroline, en lui tenant doucement le genou.
- Salvatore était un homme sans histoires, il était apprécié par de nombreuses personnes dans les alentours de Saint-Trop’. Je me rappelle qu’il avait fait un don de plusieurs milliers d’euros pour le diocèse de Nice.
- Sauf votre respect, madame, si votre mari a été tué, c’est qu’il n’était pas quelqu’un de si respectable que ça. Les gens, peu importe que ça soit des humains ou des vampires, ne se font pas tuer gratuitement. D’autant plus qu’on sait que votre époux a eu des ennuis avec des Corses et a eu le Gasoline incendié il y a seize ans.
- Je ne vous permets pas de cracher sur mon mari comme cela, siffla Marguerite. Peut-être que vous êtes policière, mais cela ne doit pas être une excuse de dire du mal contre Salvatore. Encore moins d’insinuer que c’était un criminel.
- Je veux que vous soyez honnête avec moi, parce que ces tueurs, qui ont assassiné votre époux, chercheront peut-être à vous tuer, vous. Vous êtes potentiellement en danger ! Croyez-moi que je ne vous laisserez pas vous faire flinguer.
- Mlle Mahieux, vous êtes une humaine, dit d’un ton condescendant Mme Capaldi, vous ne pouvez pas comprendre que nous, les vampires, nous n’avons pas peur de la mort. Si vous en aviez envie, vous pourriez me tirer une balle dans la tête que j’arriverais encore à bouger. Vous seriez obligé d’être suffisamment proche de moi pour y arriver. Ne croyez pas que je me laisserais faire ! Ajouta l’épouse de Salvatore en rigolant.
- Je ne suis pas sûre que rester dans le déni soit une bonne idée.
- J’ai des gardes du corps qui peuvent m’aider. Si cela peut vous faire plaisir, je peux vous dire que Sal n’a en effet pas toujours été quelqu’un d’honnête. Si vous voulez mon avis, ceux qui sont allés le tuer le connaissent depuis au moins quarante ou cinquante ans. Si c’est une collaboration entre humains et vampires, vous comprenez que c’est le genre d’histoires qui peuvent se dérouler sur plusieurs décennies avant l’issue fatale et bien souvent, vous avez des enquêteurs largués.
- Etes-vous en train d’insinuer que notre Bureau ne sert à rien ?
- Absolument pas. Je dis juste que vous ne pouvez pas du tout concevoir sur du long terme les règlements de compte. C’est vraiment sur plusieurs générations alors que les humains, c’est jusqu’à ce que tout le monde meure.
- J’en déduis que votre mari avait des ennuis en France depuis les années 70, donc vous pouvez me donner au moins un nom d’un suspect, força Caroline.
- C’est un Russe du nom de Igor Pulaski, lâcha Marguerite au bout de cinq minutes.
Lorsque Caroline quitta la luxueuse villa du couple Capaldi, cela la fit complexer de sortir de la cour avec sa Toyota pendant qu’elle voyait des domestiques en train de nettoyer des Ferrari dans un garage. Chaque employé en prenait le plus grand soin et regardait d’un air méprisant la compacte Japonaise. « Vous êtes les larbins d’une famille de bourges, et vous ne vous en rendez même pas compte » pensa-t-elle en franchissant le portail. La Côte d’Azur était une région qui lui plaisait énormément. Voir des montagnes se jeter dans la mer était toujours un très beau spectacle à voir, de même que le paysage relativement aride avec sa végétation très courte.
Dans l’après-midi, elle décida de s’installer dans un bar de St-Tropez pour boire un café en terrasse. Le village était charmant, mais ce qu’elle trouvait dommage était la surpopulation touristique qui donnait l’impression de visiter un parc d’attraction que réellement une petite commune située en bord de mer. Son portable, posé sur la table, se mit à vibrer. Rossi venait aux nouvelles. Après l’explication de l’interrogatoire de Mme Capaldi, Rossi déclara.
- Vous avez bien fait de lui faire peur, c’est comme ça qu’on pourra soutirer des informations. Du côté des témoins, certains sont formels et affirment que c’était un groupe mixte, certains étaient humains, d’autres étaient des vampires.
- Les caméras de surveillance montrent quoi ?
- On a du mal à tous les identifier. C’était un commando de six personnes et ils ont tous plus ou moins le même look - dirons nous - excentrique. Aucun signe distinctif n’est présent sur eux. On a pu voir que l’un d’eux avait un Colt M16, donc un fusil d’assaut américain, un autre avait un Remington 850, le troisième un G17, le quatrième une arbalète, le cinquième un pieu bien taillé et le sixième avait un Uzi.
- Ben dis donc ! S’exclama Caroline, ils étaient sacrément armés ! Par contre, on a aucune idée de ce qu’ils avaient comme véhicule.
- C’est vrai, mais par contre, je voudrais savoir qui est cet Igor Pulaski. Elle vous l’a dit ?
- Non, et je pensais vous le demander. J’ai maintenant ma réponse.
Pendant quelques instants, elle entendit à l’autre bout du fil les doigts de son interlocuteur taper nerveusement sur les touches du clavier de son ordinateur.
- Pulaski est un humain né le 28 décembre 1955 à Saint-Petersbourg, en Russie. Il habite Marseille depuis 1992. Je pense que s’il y a un différend entre Capaldi et Pulaski, ça doit certainement remonter à plusieurs générations. Igor a un devoir de vengeance pour sa famille.
- Ca va être très compliqué quand même de comprendre le pourquoi du comment, répondit Caroline d’un ton désespéré.
- A coeur vaillant, rien d’impossible.
Lorsque Caroline quitta le café, ce fut pour regagner son hôtel dans le but de rechercher cet Igor Pulaski. Des photos montraient un homme de taille moyenne, plutôt sportif, les joues creuses, un air sévère, un regard dur et perçant et vêtu d’habits bons marchés. Si l’on croyait des informations présentes sur internet, l’homme était président d’une association visant à aider les jeunes des quartiers sensibles de Marseille. Igor était un ancien officier de l’Armée Rouge qui avait passé trois années en Afghanistan avant de se retrouver stationné en RDA jusqu’en 1990. L’ancien militaire avait un petit casier judiciaire, notamment pour des affaires de cambriolages dans le Gard ainsi que dans le Vaucluse. Caroline cherchait absolument à savoir pourquoi il avait pu faire tuer Capaldi.
Le lendemain, elle reprit la route en direction de Marseille, dans la cité de la Castellane. Même si elle avait la carrosserie de sa voiture pour la protéger, Caroline se sentait très mal à l’aise de traverser ce quartier rempli de barres d’immeubles, et où des jeunes en survêtements avec le visage parfois à moitié dissimulé guettaient la Toyota. Arrivée au local de l’association, elle parvint immédiatement à repérer le russe en train de rigoler avec deux jeunes adolescents. Quand il vit la policière descendre de sa voiture, il demanda aux jeunes de partir puis jeta sa cigarette par terre.
- Vous m’voulez quoi ? Demanda Pulaski d’un ton agressif. Vous êtes éducatrice et vous cherchez à me filer un de ces petits merdeux, c’est ça ?
- Absolument pas, répondit la jeune femme en brandissant sa carte du Bureau d’Enquêtes.
L’homme commença à pâlir, puis l’invita à pénétrer dans son bureau du local.
Le local était un petit pavillon de plain-pied. L’intérieur était sale, des boulettes de papier jonchaient le sol, des canettes vides traînaient sur le comptoir de ce qui servait de cuisine, le plafond avait des traces jaunes d’humidité, la peinture partait et le bureau du président était bordélique.
- Vous m’voulez quoi ? Redemanda le Russe. Comm’vous pouvez l’voir, ch’uis pas un vampire. J’ai pas leur gueule.
- On a retrouvé un certain Salvatore Capaldi mort sur le dancefloor de sa boîte de nuit de St-Tropez il y a de ça une semaine, expliqua la jeune femme d’un ton calme, j’ai interrogé sa femme qui vous accuse d’avoir organisé son assassinat. Je veux savoir si vous le connaissez vraiment.
- Ch’uis que le président d’une assos de quartier, qu’est ce que vous voulez que ça m’fasse de savoir qu’le patron d’une boîte de St-Trop’ soit mort ? J’m’en fous complètement !
- Vous le connaissez, oui ou non ? Fit Caroline, plus insistante.
- Sa femme vous a filé un faux nom et vous êtes tombée sur moi, c’est tout ce que j’peux vous dire.
- J’ai eu accès à votre casier judiciaire où j’ai vu que vous avez fait pas mal de petites bêtises dans le coin. Du coup, je me dis que ce n’est pas impossible que vous soyez mêlé à ça, dit Caroline d’un ton ironique.
- Ecoutez moi bien, vous, siffla le russe, ch’ai pas c’que vous essayez de sous-entendre, mais j’ trouve ça très déplaisant. J’me fais chier à éduquer ces gamins, j’n’suis pas du genre à foutre la merde. J’suis respecté ici, ok.
- Alors si vous êtes un homme honnête, ce dont je ne doute pas, et que vous êtes innocent, dites moi si vous connaissez Capaldi ?
- Ouais, j’le connais, finit par reconnaître Igor. J’ai d’jà fait des soirées dans sa boîte et c’est dev’nu un ami. Vous croyez vraiment que ça peut être moi son tueur ? Un ami ne tue pas son ami.
- Depuis quand le connaissez-vous ?
- Je sais qu’il habite St-Tropez depuis le début des années 60, commença Igor. J’ai connu le Gasoline quand j’suis arrivé en France en 92, j’avais trente-sept ans et lui approchait des deux cent soixante ans. C’tait intéressant de savoir ce qu’il avait fait durant c’deux siècles d’existence. Salvatore m’appréciait, il adorait quand je lui racontais des anecdotes sur m’vie en URSS et les dernières années qu’j’ai passée en RDA. C’est moi qui lui avais recommandé d’installer une de ses boîtes à Moscou, même si ça n’a pas trop bien marché au début. Seulement, c’était un sacré gros connard également.
- Pourquoi dites-vous ça ?
- Son but était de monter un business du divertissement très rapidement. C’tait quelqu’un de très ambitieux. J’envisageais de devenir réalisateur de film porno, à ce moment-là, en 1993. J’en ai parlé de ce projet, Sal a répondu « J’connais des gens prêts à t’aider pour ça », ce qui est vrai. Lui et ses potes ont tout fait pour m’aider à créer ce studio, j’ai produits quelques films. J’ai des cassettes VHS qui sont chez moi, si ça vous dit. En plus, on commençait à arriver au début des années 2000, Internet était un formidable moyen de partager m’films. » Igor sortir de la poche de sa veste en cuir un paquet de cigarette, essuya ses lunettes puis reprit « Seulement ce salaud a voulu me détruire. J’avais un appartement aménagé en studio de film à Sofia, en Bulgarie. Quand je suis arrivé là bas, tout avait cramé. J’avais plus qu’mes yeux pour pleurer ».
- Capaldi était déjà venu avec vous en Bulgarie, il avait des amis là bas ?
- Ses potes étaient surtout son emprise, hein. Ils l’aimaient parce qu’ils avaient pas le choix de l’apprécier, sinon il était capable de leur envoyer des tueurs à gage. A certains d’ses ennemis, il faisait tout pour qu’ils ne dorment plus la nuit.
- C’est normal, c’est un vampire ! Répliqua Caroline.
- Vous êtes drôle, ma p’tite dame ! Ricana Igor de bon coeur, en expirant la fumée de sa cigarette. Leurs méthodes étaient perverses. J’cru comprendre que certains morts en Bulgarie avaient été tués par des sorciers vaudous africains. C’est atroce ces morts-là.
- Mais selon vous, qu’est ce qui aurait pu motiver des tueurs à venir voir Capaldi ? Vous l’aviez vu une dernière fois avant sa mort ?
- Vous vous foutez de ma gueule, pas vrai ? Ce gars m’a ruiné ! Vous pensiez vraiment que j’allais continuer à fréquenter un connard pareil, que j’allais encore l’considérer comme un ami ? Pas du tout ! Par contre, j’ai d’jà sauté sa femme. Ca oui !
- Si je comprends bien, c’est pour ça que vous avez décidé de faire des cambriolages.
- Exact. J’ai compris que vous n’étiez pas flic, du coup, j’peux vous dire que j’ai honte de moi. Je crois que j’ai dû déc’voir mes parents pour ça.
Lorsque Caroline sortit du local d’Igor, les ados la regardaient en train de marcher d’un air déterminé vers sa voiture. Même s’ils n’aimaient pas la présence de cette femme, la voir marcher rapidement avec ses talons avait de quoi les impressionner. Physiquement, Caroline était une femme relativement mince, sportive et ayant une alimentation saine et variée. A son mètre soixante-quinze, on pouvait facilement rajouter les cinq centimètres de talons qu’elle aimait bien porter de temps en temps. En sentant les regards de ces jeunes tournés vers elle, elle les toisa un à un d’un air méprisant, ce qui les fit baisser les regards.
La Castellane avait des immeubles où des familles vampires passaient leurs journées confinées dans leurs logements en attendant que la journée passe pour ensuite pouvoir sortir le soir accomplir leurs méfaits. La majorité des membres de cette communauté de vampires marseillais se spécialisait dans le vol et dans le trafic de voitures. De nombreuses voitures étaient volées à Marseille pour être ensuite revendues en Roumanie ou dans les Balkans. Mahieux conduisait prudemment dans les rues de la cité phocéenne, tout en essayant de se remémorer ce qui avait été dit depuis plusieurs jours.
Pulaski ne lui plaisait pas du tout, même si elle avait bien envie de croire qu’il était tout à fait innocent. Cet homme voulait être un homme d’affaires sans pour autant avoir le sens des affaires. Le russe n’était pas con, loin de là, mais pas assez intelligent pour réellement faire partie d’une mafia locale. Cela dit, pour débarquer comme ça en France, c’était une piste à réellement clarifier. Dans tous les cas, il était nullement question d’un différend transgénérationnel. Les parents et les grands-parents d’Igor n’avaient jamais rencontré M. Capaldi et son épouse. Dans le fond, Caroline savait très bien que son prénom n’avait pas été sorti par hasard. La PJ de Marseille répondit positivement aux demandes de Mahieux sur Igor Pulaski, et lui envoya par mail des documents complémentaires au casier judiciaire.
Ces documents confirmaient que Pulaski et Capaldi se connaissaient bien. Les deux hommes se connaissaient depuis 1995. Marguerite Capaldi avait su les rapprocher lors d’une soirée où était convié Pulaski. Le trio avait sympathisé et se revoyait de temps en temps. Les deux familles devinrent plus que des amis au fil du temps. Capaldi aurait voulu que Pulaski et sa famille deviennent à leur tour des vampires, mais ce fut une limite pour le Russe qui ne se voyait pas adopter leur même mode de vie. A partir de ce moment-là, des tensions commencèrent à survenir entre les deux hommes. Igor devint très rapidement jaloux de la fortune de l’Italien au point de lui incendier sa Maserati, stationnée à Cannes, pendant un soir de janvier 2006. Pulaski avait engagé des jeunes pour tabasser le jeune fils Capaldi, Roberto, en pleine nuit. De son côté, Capaldi père finit par faire marcher ses contacts hauts placés pour faire fermer l’association du Russe pendant quelques mois en accusant certains bénévoles de violence sur mineur, voir carrément des attouchements. Cette affaire fut médiatisée à l’échelle nationale. Pulaski avait passé de nombreux interviews sur différentes chaînes de télés et dans des quotidiens pour démentir encore et encore ces mensonges. Ce fut qu’en 2009 que les juges qui s’occupaient de l’enquête confirmèrent l’innocence des bénévoles.
A la lecture de tous ces documents, Caroline comprit la raison pour laquelle le vampire italien avait été tué. Quand l’enquêtrice retira ses lunettes de lecture pour les faire pendouiller avec leur cordon, elle remarqua que l’aube commençait à venir.
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