Chapitre 3
Caroline ne dormit que quatre heures. Lorsqu’elle sortit de son lit, elle alla prendre une douche. Le petit-déjeuner fut ce qui lui permit de se changer les idées tout en regardant distraitement la télé et de discuter avec un employé de l’hôtel qui voulait absolument faire la conversation avec les derniers clients présents. Le jeune homme évoqua rapidement l’incident du Gasoline à Saint-Tropez et disait ne pas être surpris que cette boîte de nuit finisse un jour par vivre un nouveau drame.
Aux alentours de dix heures trente, le portable de l’enquêtrice se mit à sonner. A l’autre bout du fil, la voix grave d’un homme se fit entendre. Mahieux eut envie de raccrocher, mais son intuition lui demandait de prêter attention à son interlocuteur.
- J’ai vu que votre nom apparaissait souvent dans le journal La Provence avec ce drame qui s’est passé à Saint-Tropez, lui dit l’homme au téléphone. Vous semblez patauger, avec votre collègue niçois. Vous n’avez pas l’air de savoir où vous vous dirigez, moi, je peux vous aider. Tous les deux.
- Vous êtes qui, putain ? Demanda Caroline, visiblement inquiète par son interlocuteur.
- Du calme, mademoiselle ! J’ai téléphoné à votre bureau de Paris pour qu’il vous envoie un billet de TGV. Regardez-le, je vous en prie.
Caroline retira son portable de son oreille pour consulter ses mails et vit la confirmation d’une réservation de TGV pour Lyon. La date était celle du 10 novembre, soit aujourd’hui.
- Vous avez reçu votre billet ? Très bien, c’est moi qui viendrait vous récupérer à la gare, finit l’homme en raccrochant.
La jeune femme se dépêcha de rapidement récupérer sa valise pour se diriger à la gare St-Charles. La pluie battait le parvis de la gare. De nombreux passagers s’abritaient sous le porche et dans le hall. C’était compliqué pour elle de se faufiler au milieu de ces gens, quand soudain une main lui agrippa l’épaule. En se retournant, elle se rendit compte qu’il s’agissait de Rossi qui semblait l’attendre.
- Je me demande qui est ce taré qui a envie qu’on se fasse une virée à Lyon, déclara Damien en s’installa dans son siège en face de Caroline. J’ai pas cherché à savoir à qui appartenait ce numéro de téléphone. C’est peut être un ancien du Bureau d’Enquête qui nous veut du mal.
- S’il nous voulait vraiment du mal, je ne suis pas sûre qu’il aurait laissé apparaître son numéro, répondit simplement Caroline en regardant la pluie battre sur les vitres du train. De toute façon, on a besoin d’une aide externe. Nous n’avons pas plus avancé que ça, on a pas forcément eu de nouveaux éléments d’enquête et….
- Moi, je trouve ça intéressant le cas de Pulaski, coupa Rossi. Je pense qu’il y a des choses qu’il nous cache. Pulaski veut faire comme s’il n’était mêlé à rien du tout, mais je crois que c’est faux. Il a des choses à faire oublier en France.
- Pourquoi dites-vous ça ?
- J’ai des contacts à la DGSI, commença le jeune homme. Ils le surveillent parce que ce n’est pas un hasard s’il est en France. Pulaski a eu de nombreux problèmes avec la justice est-allemande et soviétique, à l’époque, parce qu’il s’est bagarré dans des bars, il aurait également tué un jeune soldat est-allemand et a laissé pour morte une prostituée à Leipzig. Suite à cette violente altercation, des macs ont tout fait pour le traquer.Il a eu des menaces de mort, ce qui a fait que l’Armée Rouge l’a dégagé.
- Un charmant personnage, dis donc. Du coup, vous avez une idée de pourquoi il a rejoint le crime organisé ici ?
- Non, j’en sais rien. Les macs est-allemands étaient des vampires. Peu après son éviction, Pulaski est allé se faire potes avec des chasseurs de vampires pour aller les descendre. La Kriminalpolizei – la police anti-criminelle est-allemande à l’époque – avait enquêté là dessus. Leurs conclusions étaient qu’il s’agissait d’un simple règlement de compte. Aucuns des auteurs a été arrêté.
- C’est vrai qu’on en voit très peu des documentaires sur la place des vampires dans les pays de l’Est, se souvint Caroline.
- Ils n’étaient pas forcément plus honnêtes qu’aujourd’hui. En plus, ils avaient aussi une certaine mainmise sur des institutions nationales. Ce n’est pas pour rien qu’il n’y a pas beaucoup de documents. Les quelques documents existants sur eux sont suffisamment flous pour faire comme s’ils étaient pour rien dans pas mal d’affaires.
- Dites-moi, Rossi, Lyon est bien la capitale française des chasseurs de vampires ?
- Tout à fait, répondit Damien en hochant la tête.
Quand ils arrivèrent à la capitale des Gaules, le téléphone portable de Caroline se mit à sonner. Après avoir décroché, elle sursauta en sentant la main d’un homme lui tapoter l’épaule. En se tournant, elle aperçut un vieil homme qui devait facilement avoir dépassé les soixante-dix ans, de taille moyenne, vêtu d’un trench coat beige et portant des lunettes aux verres rectangulaires. L’homme serra la main aux deux enquêteurs puis se présenta, Jacques Lemarchal ». Le vieillard les invita à le suivre pour rejoindre sa voiture, une Mercedes garée dans le parking souterrain de la gare Part-Dieu. Lemarchal discuta amicalement avec ses passagers, puis il s’engagea sur l’autoroute pour prendre la direction de la banlieue lyonnaise. Lemarchal habitait dans une jolie maison du centre d’Ecully.
La maison impressionna les invités par la beauté de la pierre blanche, ainsi que par le soin accordé au jardin et à la haie. Même en ce mois de novembre, les pièces étaient bien éclairées par la lumière du jour. Jacques leur présenta son épouse, Christiane, et lui ordonna sèchement de leur apporter des tasses de thé dans son bureau. Damien et Caroline furent surpris de voir un homme de son âge aussi soigné, porter encore avec une certaine élégance un costume-cravate noir avec sa cravate rouge. Le bureau était massif, en bois de chêne et plutôt ancien. « Un héritage de mon grand-père", ajouta-t-il avec une certaine fierté.
- Les journaux parlent beaucoup de cette affaire dans le Var, commença Jacques d’un ton grave. Une intuition m’a dit de la suivre très attentivement, ce que j’ai naturellement fait. J’étais sûr que la victime était un vampire, et ce que je peux vous dire c’est que l’auteur est bien un chasseur de vampires.
- Comment pouvez-vous savoir une chose pareille, vous travaillez sur cette enquête ? Demanda Rossi, d’un air circonspect.
- Je suis moi-même un chasseur de vampire. Moi aussi, j’en ai tué, j’ai même appris à mes élèves certaines méthodes pour les piéger et les tuer. Bien sûr, ça demande d’être stratégique, mais surtout de le faire en fonction des nouvelles technologies qui apparaissent. Un jour, on pourra facilement les piéger avec les IA.
- M. Lemarchal, vous êtes au courant qu’en France c’est une activité illégale et que vous êtes quasiment en train d’avouer un crime ? Demanda Caroline, en commençant à s’énerver.
- Du calme, du calme ! Dit le chasseur de vampire, en levant tranquillement sa main. J’ai travaillé en Belgique, où c’est encore légal. Du moins, la justice belge ferme les yeux sur ce qu’on peut leur faire. J’ai aussi un peu travaillé aux Etats-Unis, notamment en Louisiane, où c’est tout à fait légal de les tuer.
- Je suppose que vous êtes au courant de l’identité du meurtrier, reprit Rossi. S’il vous plaît, si c’est le cas, dites le nous.
- Je suis moi-même allé récupérer les informations auprès du Bureau d’Enquêtes, car j’ai encore des contacts là-bas, qui m’ont donné le nom d’un certain Igor Pulaski. D’ailleurs, tous les deux, vous avez dû vous demander comment se fait-il que j’ai pu réserver vos billets de train ? C’est tout simplement vos collègues de Paris qui m’ont guidé vers vous, Mme Mahieux, finit Jacques en regardant l’enquêtrice.
Caroline commença à devenir mal à l’aise en apprenant que ce mystérieux Lemarchal avait de son côté enquêté sur eux pour les faire venir ici, à Ecully. Rapidement, elle but une gorgée de thé, brûlant, puis tenta de retrouver ses esprits. Lemarchal fit un petit sourire en voyant son air gêné, puis reprit.
- Ne soyez pas mal à l’aise, Mme Mahieux, je ne suis pas là vous attirer dans un piège avec votre collègue ! Je ne vous aies pas fait venir ici pour vous tuer et vous manger ! Je ne suis pas Hannibal Lecter, enfin ! Ajouta-t-il, en rigolant. Je veux vous aider, car je le connais Pulaski.
- Vous le connaissez d’où ? Demanda Rossi, vous saviez qu’il était stationné en RDA quand il était à l’armée ?
- Bien sûr, confirma le vieil homme. Je l’ai rencontré à Moscou, en 1986. A l’époque, c’était un officier qui stationnait en Afghanistan, mais qui était revenu en Russie pour une perm’. Nous avons sympathisé parce qu’il s’intéressait à mon travail et je crois que ça l’a toujours intéressé les vampires. Dans la société soviétique de l’époque, ils étaient nombreux et dans l'Armée rouge, ils étaient très présents. En Afghanistan, ils harcelaient les moudjahidin, ils les empêchaient de dormir parce qu’ils étaient une menace pour eux.
- Je ne vois pas du tout le rapport, s’interposa Caroline.
- Les Soviétiques pensaient soumettre les Afghans avec des vampires, voilà ce que je voulais dire. Et étant donné que j’avais une notoriété à l’époque dans la chasse aux vampires, ce sont les Américains qui font appel à moi pour que j’aille là bas pour aider les Afghans à lutter contre les vampires soviétiques.
- Mais du coup, vous avez travaillé ensemble avec Pulaski ?
- Oui, on avait échangé nos coordonnées. J’ai eu des problèmes avec le KGB, mais ça, c’est une autre histoire, fit Jacques en faisant un mouvement de la main. Nous nous sommes retrouvés en RFA, à Munich, en 1991. Les Soviétiques ont quitté définitivement le pays trois ans plus tard. C’est à partir de ce moment là où il m’a parlé de son projet d’habiter en France, parce qu’il avait déjà reçu sa lettre de démobilisation.
- C’était un francophile, c’est ça ?
- Tout à fait. Igor est parti à Marseille et c’est là où j’ai appris qu’il avait retrouvé ce Capaldi. Les Capaldi sont des ennemis de la famille Pulaski. C’est une affaire qui remonte aux années 1880, à peu près. Igor s’est promis de se venger d’eux.
- On a appris comment ils sont devenus amis, intervint Rossi. Vous confirmez donc qu’il s’agit d’une vengeance transgénérationnelle.
- Je le connais bien, Pulaski, il n’avouera rien parce qu’il ne veut aucuns problèmes et il pense sincèrement qu’il est dans son bon droit.
- M. Lemarchal, nous vous remercions pour tous ces renseignements. Est-ce que vous pouvez nous aider à le capture ?
- Je n’ai plus de contact avec Pulaski depuis quinze ans maintenant. Il s’est mal comporté avec moi. Je n’aurais aucun remords, ni scrupules à me venger.
A ces mots, les enquêteurs se levèrent pour quitter le bureau. Mais Lemarchal insista pour qu’ils restent au moins pour la nuit et les accompagnerait à la gare le lendemain. Lemarchal consulta sa montre pour regarder l’heure. Il était près de dix-huit heures. La nuit était déjà tombée. Cela ne l’empêcha pas de proposer à ses invités de faire une visite nocturne de Lyon. Jacques en profita pour leur faire rencontrer un ami, prêtre et confrère qui avait un beau palmarès de vampires tués. Le père François Lenoir était un homme de grande taille. Jacques le surnommait affectueusement « Raspoutine ».
Lyon était une ville qui avait eu une bataille entre humains et vampires au moment de la Renaissance. De nombreux innocents avaient été massacrés par des vampires. Certains d’entre eux étaient des mémoires vivantes de cette période, car ils avaient eu un membre de leur famille mort durant ces combats. Quand ils acceptaient d’en parler dans la presse, on sentait toujours un souvenir très frais, bien qu’il remontât à plusieurs siècles en arrière. Pour de nombreux historiens, c’était un véritable plaisir de recueillir leur témoignage. Bien que ces différends étaient vieux depuis plusieurs siècles, pour des familles lyonnaises, elles en faisaient une véritable histoire de famille, bien que beaucoup de ces rivalités étaient des rumeurs.
Le père Lenoir leur fit visiter à tous les trois Notre-Dame-de-Fourvière. La basilique avait de quoi impressionner les visiteurs, avec ses quatre clochers, son quartier où étaient installés couvents et séminaires, mais aussi le théâtre gallo-romain situé un peu plus en contrebas et bien sûr son impressionnante vue sur le reste de la ville où l’on apercevait les tours de la Part-Dieu, ainsi que l’immense place Bellecour. Caroline connaissait Lyon. Elle en était follement amoureuse, car pour elle, chaque quartier de la ville était un voyage dans le temps. La gastronomie lyonnaise était ce qui la faisait le plus craquer, car les bouchons lyonnais avaient tous cette chaleur humaine lorsque l’on pénétrait à l’intérieur de ces lieux. Depuis l’un des clochers de la basilique, la vue était encore plus impressionnante, à la fois sur l’entièreté de la ville, mais aussi sur le massif du Forez situé à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Lyon.
Ce moment est assez unique, puisque les enquêteurs avaient pu se détendre le temps d’une soirée. Le père Lenoir se tenait à l’écart du trio qui continuait d’observer, toujours impressionné, l’impressionnante vue sur la troisième plus grande ville de France. Quand ils rentrèrent le lendemain à Marseille, M. Lemarchal leur avait donné ses coordonnées pour le faire venir, au besoin, dans la cité Phocéenne. Pendant tous le trajet, Caroline repensa à tout ce qui avait été dit. C’est alors qu’elle décida de retrouver Marguerite Capaldi.
Annotations
Versions