3. La Felicidade
J’avais laissé passer plusieurs jours avant de répondre à ses messages. J’avais peur qu’elle tombe amoureuse, je ne cherchais qu’à badiner.
Elle m’attendait au couvent des Ursulines. Enfin l’ancien couvent transformé en restaurant avec un parc public attenant. Toute pimpante et souriante, je craquai déjà.
Je déjeunai en la dévorant des yeux. Habillée d’une robe très simple et jolie, et d’un chemisier banc, elle était très féminine. Quand elle allait aux toilettes j’admirai sa démarche souple, avec cette robe qui moulait sa silhouette parfaite.
- A propos, pourquoi pequeno burguesa ?
- Alors, je suis mariée, mais me voici ici à la recherche d’un amant, ce qui est le comble de la mentalité petit-bourgeoise… je vais donc aller jusqu’au bout. J’aime mon mari, et lui aussi, mais nous n’avons plus de sexe, c’est comme ça. Y moi, j’en ai besoin, très fort.
Elle m’avait raconté ses recherches sur les masques au Mozambique, sa recherche universitaire, sa thèse qu’elle menait en parallèle de son travail d’interprète. Son engagement politique, sa crainte de voir Bolsonaro élu, sa colère avec l’emprisonnement de Lula.
Et son dépit de devoir sacrifier ses idéaux en venant chercher un amant, ce qui lui semblait la pire concession au mode de vie petit-bourgeois contre lequel elle se battait…
Bavarde, elle monopolisait la conversation et je me laissais charmer par ses paroles, le rythme chanté de son parlé brésilien, la sonorité du français dans sa bouche latine… Déjà j’imaginais des choses et n’écoutais que d’une oreille distraite sa colère politique, et son féminisme affiché…
Mélina était mariée avec un photographe brésilien. Il était rentré dans son pays car il ne supportait pas l'hiver en France. Nous étions début juillet et il n'était toujours pas revenu. Mélina avait pris ses distances. Elle était née d'un père brésilien et d'une mère française, et avait vécu à Rio puis à Sao Polo. Le Brésil lui manquait aussi mais elle préférait être en France depuis que Bolsonaro était au pouvoir.
Interprète, elle parlait au moins 4 langues dont le portugais, l'anglais, le français et l'espagnol. Elle avait été élevée dans une famille bourgeoise avec un père papa gâteau qui lui avait donné tout ce qu'elle voulait et payé les meilleures écoles. Etudiante de 19 ans, elle était tombée amoureuse d’un de ses profs âgé de 20 ans de plus qu’elle. Elle avait claqué la porte de ses parents pour aller vivre chez lui. Deux ans plus tard, elle était tombée amoureuse d’un autre homme. Son prof lui avait dit qu’il ne voulait pas la retenir, elle était jeune, elle devait profiter de la vie. Elle s’était mariée.
Voici ce qu'elle m'avait donné d’elle. Elle avait vécu une enfance bourgeoise qu’elle détestait désormais. Se sentait de gauche, rebelle. Mais devait assumer ses contradictions. Mariée, fille de bourgeois, et vivant comme telle à son corps défendant. Prendre un amant était l’expérience petit-bourgeois ultime. Elle voulait boire le calice jusqu’au bout. A sa façon. Félix était un pseudo, ce n’était pas mon vrai prénom et je le lui avouais aussi.
- Je peux t’appeler Mélina, alors ? je veux ta part brésilienne…
- Si, je peux continuer à t’appeler Felix alors ? j’aime ce nom, c'est comme la felicidade[1], la félicité. Ou alors F, je peux t’appeler F ?
- Oui, bien sûr.
Nous bûmes un verre de vin. Ce que nous nous dimes après n’est pas resté dans mes souvenirs, car je n’avais qu’une idée en tête : l’embrasser. Mais impossible dans le resto, j’avais peur que l’on s’embrase. Nous étions redevenus timides l’un face à l’autre, comme si c’était notre première rencontre.
Aussitôt dehors, je le lui dis : « Mélina, j’ai très envie de t’embrasser. »
Elle me dit le rouge aux joues : « Felix, ça n’est pas une chose qu’on dit... »
Alors je m’approchai d’elle et l’embrassai maladroitement sur la bouche. J’avais compris que certaines choses se font sans avoir besoin de les dire, mais j’avais toujours un peu d’appréhension. Elle répondit avidement à mon baiser. Je glissai ma main sous son manteau pour caresser son dos à travers son chemisier. En sentant ma main chaude sur elle, elle ne put réprimer un spasme de désir où se corps se tendit vers moi. Je repris mon souffle et repris mes baisers en la collant contre le mur extérieur du couvent. A chaque nouvelle embrassade je sentais son corps se tendre et sa respiration haleter. Nous étions en dehors du temps, en dehors de cette rue, et le mur n’existait plus pour nous.
Nous aurions tout aussi bien pu faire l’amour à cet instant ci dans la rue, si deux vieilles commères ne s’étaient arrêtées à deux pas de nous pour faire la conversation bruyamment, sans guère faire attention à nous. Mais le bruit de leurs paroles couvrit bientôt nos soupirs, et je détachai mes lèvres de celles de Mélina, en reprenant ma respiration comme si nous venions de sortir de l’eau !
Je regardai alentour, non pas à cause du qu’en dira-t-on, mais bien plutôt à la recherche d’un lieu couvert où nous mettre l’abri et laisser libre cours à nos envies dans une intimité propice.
- Mélina, Mélina, que fais-tu ce soir ? murmurai-je troublé. Je trouve un hôtel et t’attend dans une chambre ce soir à 18h30, dis-moi oui.
- Oui, oui, souffla-t-elle, en un instant.
Nous pouvions à peine soutenir nos regards brulants, et j’avais peur désormais de l’embrasser sous peine de nous enflammer de désir directement sur le trottoir. Je retournai à mon travail, perturbé et essoufflé, et ne pus travailler de l’après-midi…
Je l’attendais dans cette chambre d’hôtel d’une petite rue du 9ème, ça s’appelait Adèle et Jules, ou quelque chose du même gout… ça sonnait comme Jules et Jim, ou Romeo et Juliette…
Quand elle a frappé, je l’attendais allongé sur le lit, habillé et sans chaussures, et elle m’a souri en exhibant une bouteille de vin blanc frais. Nous avons trinqué en nous souriant, elle m’a parlé de sa journée, de ses joies et de ses colères, elle exprimait tout avec son tempérament latin, alors que je gardais presque tout pour moi.
Quand je l’ai embrassée, elle a répondu avec fougue. Nous nous sommes caressés comme des adolescents découvrant le corps de l’autre. Sous sa petite jupe, j’ai senti la douceur de ses cuisses, et remontant à leur intersection, j’ai collé ma main contre son mont de vénus et elle s’est collée tout contre. J’adorai ta façon de faire la petite chatte contre moi. Tu as déboutonné ma chemise, j’ai retiré son petit haut pour découvrir un joli soutien-gorge en dentelle noir. J’aimais tout en elle, sa silhouette fine et légèrement musclée, son cul parfait dont le galbe convenait parfaitement à la taille de ma main. Elle s'est retournée sur le ventre et m’a demandé si j’aimais son tatouage. Je l’avais déjà vu la première fois mais mon souvenir était flou tant cette première fois avait été électrique. Comme si ma vue avait été irradiée par le désir. Cela ressemblait à un papillon qui s’étalait sur son dos jusque sur ses omoplates, mais c’était un mandala bouddhiste : un tatouage rituel réalisé par un spécialiste dans un pays d’Asie, comme une peinture sacrée. Avec du sable coloré.
Nous nous embrassions à bouche pleine, comme des adolescents, faisant tourner et tourner notre langue pendant que nos mains parcouraient nos corps.
- J’ai envie de te faire l’amour.
- Je ne sais pas si je dois te laisser faire, as-tu répondu.
Elle me faisait languir à dessein. Elle en avait tellement envie que sa culotte était trempée. Quand je réussis à le lui enlever, ma queue était douloureuse, à tant rester coincée dans mon caleçon, si roidement. Nous avons fait l’amour doucement. Son sexe, un calice chaud et doux. Je buvais à ses lèvres le son du plaisir qui s’en écoulait. Tel un flot impétueux. Et lleem’étreignait comme si c’était la fin du monde. Cette petite mort à laquelle nous nous abandonnâmes. Cette jouissance renouvelée…
Je ne sais plus combien de temps nous sommes restés dans cette chambre à nous donner l’un à l’autre, mais quand nous sommes ressortis, il faisait tout juste nuit, et nous étions contents de cette obscurité qui nous maintenait encore un peu dans notre bulle.
Mélina me montra l’intérieur de son sac à main : « Je n’ai pas remis ma culotte, elle était trop mouillée, hihi ». Et je vis en effet son string noir roulé en boule au milieu des affaires de son sac de filles, tout contre un bouquin de Georges Bataille, La part Maudite.
Aussitôt j’eus à nouveau envie d’elle, mon ventre bourdonna, et je l’embrassai à nouveau, sentant mon bas ventre s’agiter aussi. Nous nous sommes quittés aussi haletants ou presque qu’à notre rencontre, nos regards suppliants de rester ensemble sachant que nous ne pouvions pas…
Et en espérant nous revoir de manière impérieuse.
[1] Félicidade (feh-lis-e-dah-gee) : Le mot portugais «bonheur» vient du mot latin fēlīcitās, qui provient de deux mots: fēlīx, qui signifie «heureux» ou «fortuné», et du suffixe -tās, qui fait référence à un état d’être, tel que ‘-hood ‘,’ -ness ‘ou’ -ship ‘.
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