Chapitre 1
Depuis l'ombre d'un immeuble, j'observe les lycéens entrer dans le Styx. Pourquoi tout le monde appelle notre lycée comme le fleuve qui mène aux Enfers depuis des générations ? Je ne sais pas. Certainement parce qu'il marque la fin de l'insouciance et de l'enfance. Quand on en sort, nous sommes jetés dans le monde des adultes avec tout ce qu'il y a avec. On doit continuer des études et se trouver un boulot, un appart, payer son loyer et toutes les factures, et surtout, surtout, on doit se poser la question de la famille. Famille, acronyme : Farandole Aberrante de Miasmes et d'Illusions Légitimant les Larmes et l'Effarement ; anagramme : faille. Au cas où vous vous poseriez la question, non, je n'ai pas une histoire familiale très joyeuse.
Alors que je me repassais une énième fois l'altercation que j'ai eu avec mon père hier soir, une blonde maquillée comme une voiture volée me saute dessus. Il me semble qu'elle s'appelle Clara ou un truc comme ça... Ne me jugez pas, je ne la connais que depuis la veille. Alors que j'essaie en vain d'écarter cette sangsue de moi, mon meilleur pote Joshua vient à ma rescousse.
- Hey, Thomas ! Caro voulait absolument te voir avant de partir en cours de son côté. D'ailleurs, si elle part pas tout de suite elle risque d'être en retard.
Une fois la pimbêche assez éloignée, je relâche mes épaules.
- Merci mec, dis-je en checkant mon pote, je sens que celle-là va être lourde.
- T'es pas sérieux Toto, elle a des vues sur toi depuis des lustres et toi tu...
- Tu sais très bien que je sais ce que tu penses de mes agissements. Pas besoin de reprendre une énième fois ce débat.
- Bon, on devrait entrer. Les cours vont pas tarder à commencer.
En suivant mon ami, j'aperçois au loin Leïa. Pour vous la faire courte, c'est une vraie bombe et la meilleure amie de la fille la plus populaire (et la plus mise dans un lit) du lycée. Mais en plus, il n'y a pas un mec que je connaisse qui a réussi à l'avoir pendant une nuit. Et comme j'adore les défis, je me suis lancé depuis quelque temps celui d'être le premier.
Je sais ce que vous vous dîtes : ce mec n'est qu'une monstre qui joue avec les filles et change de nana comme de chemise. A vrai dire, c'est plus compliqué que ça. Les filles autour de moi me veulent parce que je suis Thomas Eragon, le boss du Styx. Alors, je me suis interdit de sortir plus d'une semaine avec la même fille. C'est idiot ? Pas tant que ça. Au bout d'une semaine, elles n'ont pas eu le temps de comprendre qui je suis vraiment mais l'exaltation des premiers temps est déjà passée. Mais c'est vrai que je méprise la gente féminine. Sauf ma petite sœur, bien évidemment. Elle, c'est une perle, mon soleil, l'étoile des étoiles, la seule et unique femme de ma vie.
Les couloirs commencent à se vider, c'est l'heure d'aller en cours. Mais alors que je m'apprête à bouger, je reçois une notification sur mon téléphone. Une fois que je vois de qui vient le message, je ne peux plus me décrocher de la conversation.
Lupa : Perso, je pense que tu devrais fuguer trèèèès loin avec ta sœur en envoyant bouler les adultes !!!
Voir un message de Lupa me remonte toujours le moral. Vous devez vous dire : mais c'est quoi cette blague ? Il nous a dit qu'il n'aimait pas les filles. Avec Lupa, ce n'est pas pareil. Je tiens un blog, Les malheurs de Milou, et Lupa est ma plus fidèle lectrice. Elle avait laissé un commentaire très mélodramatique suite à mon post sur Les p'tites cases : l'intello et je lui avais tout de suite répondu. Nous sommes très vite devenus amis mais nous avons tout aussi vite pris la décision de rester anonyme. C'est cet anonymat qui nous avait permis de nous rapprocher si facilement, et c'est aussi la raison pour laquelle je ne la considère pas comme les autres. Elle sait qui je suis en vrai mais pas l'image que je donne de moi. Au fond, tout ce que je veux, c'est que personne (surtout pas une fille) ne connaisse les deux Moi. A chaque publication, j'attends avec impatience ce qu'elle pense de mon texte. Je dois avouer qu'au commencement, je n'imaginais pas que je me retrouverais avec 5 672 abonnés. Et ça fait un peu peur. Tous ces gens connaissent presque toute ma vie privée. Je ne veux même pas imaginer ce qui se passerait s'ils se retournaient contre moi. Je sors de mes pensées pour lui répondre.
Milou : Oh ! Tu me choques là Lupa ! :O
Lupa : Dsl, j'avais oublié à quel point tu es sensible mon pauvre chou. Quand vas-tu enfin grandir ????
Milou : Moi ! Jamais ! Je resterai un petit garçon de cinq toute ma vie :3
Lupa : :o :o :o !!!!!
Milou : Plus sérieusement, t'as vraiment trouvé ça bien ?
Lupa : Mais oui ! Tu as juste une petite faute, tu as écrit « empeste » avec un n :)
Alors que je m'apprête à lui répondre, je sens une masse me rentrer dedans. En relevant les yeux, je tombe sur une blondinette. Quand son regard croise le mien, son expression change tout de suite. J'en profite pour la détailler rapidement. Elle est plutôt petite, elle ne doit pas faire plus d'un mètre et demie. Elle a un physique plutôt banal, dans la norme. A part ses yeux bleus, elle n'a rien de spécial. Je remarque alors qu'elle a fait tomber ses livres et m'avance pour les lui ramasser. Mais à peine j'ai fait un pas qu'elle recule. Elle a peur. Après tout, c'est normal, c'est même mon but de faire peur à mes camarades. Mais je ne sais pas, ça me fait toujours un pincement au cœur.
Pour vous mettre au parfum, en plus de grogner à longueur de journée, je laisse courir la plupart des rumeurs sur moi. Tant et si bien que ma réputation se retrouve être bien sombre : je me baladerais avec un canif, raquetterais les secondes, et ma cicatrice qui court de mon lobe d'oreille jusqu'à mon flan serait dû à une bagarre qui a mal tournée ou un accident de moto, les deux se disent. C'est vrai que je sèche nombre de cours mais contrairement à ce qu'on dit, je ne vole pas à l'étalage et je deale encore moins. D'ailleurs, l'alcool et la drogue sont deux de mes plus fervents ennemis.
Alors que je tends ses affaires à la lycéenne, j'entends le très fameux raclement de M. Bout, le professeur le plus strict et le plus détesté du bahut :
- Monsieur Eragon, en retard ?
- La deuxième sonnerie n'a pas encore retenti, je réponds amèrement.
- Et bien qu'attendez-vous ? Vous verrez, les premières minutes d'un cours ne sont pas aussi terribles que vous le croyez.
- Mais...
- Rassurez-vous, je n'oublierai pas de signaler l'incident au principal. Vous pouvez avoir la conscience tranquille.
Je ne supporte pas ce genre de personne qui croit tout savoir et qui abusent de leur pouvoir. Je sais que ça ne sert à rien de discuter avec lui alors je secoue ma tignasse noir corbeau et m'en vais à grands pas. Seulement, je ne peux m'empêcher de tendre l'oreille quand l'homme interpelle la blonde :
- Mademoiselle...
- Lucie. Ferregat Lucie.
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