Chapitre 10
Noël. Un beau jour pour la plupart des personnes. Mais pas pour moi. Si au moins c’était un jour comme les autres… Mais comment oublier que c’est un jour d’amour, où l’on fête sa famille et l’insouciance de l’enfant, quand partout on voit des guirlandes accrochées, des sapins s’allumer et des cadeaux à offrir.
Avant, nous faisions un grand repas. Mes parents cuisinaient une dinde bien trop grosse pour nous trois, avec des marrons. Le matin même, je les aidais à faire la bûche. C’était toujours moi qui choisissais son goût et j’avoue que parfois, le résultat était comment dire… exotique. On se regardait un film de Noël sur le canapé dont je voyais rarement la fin : je m’endormais avant. Mes parents me réveillaient à la fin du film et les cadeaux étaient apparus sous le sapin. Le soir du 24, c’était une soirée sacrée pour nous. Je m’imaginais déjà passer des Noël comme ça à quatre ! Pourtant, Jasmine n’en a jamais connu digne de ce nom.
Je veille chaque année, en espérant voir mon père arriver, comme un enfant guette le Père Noël. Mais tout comme eux, je m’endormais avant de le surprendre. Alors le 25, nous passons le repas du midi avec la famille de Josh. Evidemment, ça n’est pas pareil, mais c’est déjà ça pour ma sœur. Déjà que niveau cadeau, ce n’est pas fantastique… J’économise toute l’année en faisant quelques petits boulots, mais ce n’est vraiment pas facile. Alors elle n’en a souvent qu’un. Jasmine est vraiment très intelligente pour son âge, et ça ne m’étonnerait pas qu’elle sache d’où viennent réellement ses cadeaux. Remarque, je préfère ça qu’elle pense qu’elle n’est pas assez sage. Ce serait totalement faux en plus.
Marie me sort de mes pensées en me demandant si je veux une autre part de buche. Je décline et reporte mon attention sur la conversation qui anime la tablée.
- Et paraît-il, Joshua, que tu as repris le dessin ?
Mon ami, qui jusqu’à présent jouait avec ma sœur, relève la tête vers son oncle.
- Hum… un petit peu. Juste comme ça.
- Mais c’est génial ! Tu étais si fort quand tu étais plus jeune. Tu as perdu de la technique ?
Joshua hausse les épaules d’un air gêné.
- Je n’ai fait que quelques esquisses…
- Tu te souviens ce que je t’avais appris sur le jeu de couleurs par rapport à la perspective ? J’ai toujours trouvé mieux de dessiner en couleur qu’en noir et blanc. On ressent tout de suite plus d’émotions.
- D’ailleurs, on a toujours le dessin de la maison que tu nous avais fait ! renchérie sa tante, Tu avais quoi, six ans quand tu nous la offerte ?
- Cinq ans et demi. Mon petit bout de chou est véritable artiste, je l’ai toujours su.
- Dis-nous, tu n’aurais pas quelques-unes de tes esquisses à nous montrer justement ?
- Je le vois souvent avec un cahier rouge en ce moment, Maxence, je suppose que c’est là-dedans qu’il dessine.
Joshua se lève d’un coup et se dirige à grands pas vers sa chambre :
- Mais arrêtez ! Et si je veux pas vous le montrer, hein ?
Un lourd silence s’installe sur la tablée. Seul le bruit de la fourchette de Jasmine vient le troubler : elle ne semble pas le moins du monde désarçonnée par le départ de Josh.
A la fin du repas, mon ami n’est toujours pas sorti de sa chambre et je commence à m’inquiéter. Ma sœur doit le remarquer car elle s’approche de moi :
- Jojo, c’est Saint-Exupéry quand il était petit, et qu’il montrait ses dessins aux grandes personnes. Il sait bien qu’elles ne peuvent pas comprendre.
Je souris. Ma sœur et ses références au Petit Prince !
- Tu devrais aller le voir.
Je frappe donc à sa porte, en sachant qu’il ne me répondra pas, et entre. Josh est allongé sur son lit, la main sous son oreiller. Je devine qu’il y a caché son fameux cahier rouge.
- D’après Jasmine, tu es un dessinateur incompris. Comme Antoine de Saint-Exupéry quand il était petit.
- Ta sœur a le don de comprendre les choses mieux que quiconque. Elle est la digne représentante du Petit Prince sur terre.
- Et en plus tu souris. Qu’est-ce qui s’est passé ?
- J’en ai marre de… de tout le monde. Les profs, la famille… J’ai l’impression que je dois atteindre une perfection que je n’aurais jamais ! Puisque l’être parfait n’existe pas. Tout ce que je fais doit être réussi. Toujours. Et tout est tout le temps vérifié. J’aimerais avoir un truc juste pour moi. Où je peux être moi sans me poser de questions sur ce que vont penser mes proches. Mais non, je ne peux pas. Je ne peux jamais.
- Je suppose que c’est parce qu’ils s’intéressent à toi.
- Je sais, je suis désolé de te parler de mes problèmes familiaux le jour de Noël alors que tu n’as quasiment personne. Mais j’ai juste l’impression d’être en permanence fliqué.
- T’inquiète pas pour moi. C’est rien. Ecoute, je pense que tu devrais leur en parler. Ils devraient comprendre, non ?
- Hum…
- Bon, et moi, j’ai le droit de les voir ces dessins ?
Mon ami se retient de rire.
- Tu n'es pas croyable ! Non, toi non plus. C’est un peu comme mon journal intime… comme Milou.
Je lui souris. Même s'il sait que je tiens un blog, puisqu’il connaît toute ma vie, il a l’interdiction formelle d’aller lire ce que j’y écris. Je sais, il y a des centaines de personnes qui lisent mes posts, mais ça n’est pas pareil. Joshua sait énormément de choses sur moi, mais je sais que jamais il ne me fera de coup bas. Tandis que ceux qui me lisent, ils ne me connaissent pas plus que je les connais -dans la vie réelle j’entends. Alors, cela ne me dérange pas qu’ils parcourent mon blog. En revanche, je ne peux pas avoir une totale confiance en eux et je sais qu’ils pourraient très bien utiliser des informations que je leur donne sur moi, contre moi. C’est bien pour ça que je veilles à ce qu’il y ait une parfaite séparation entre Milou et Thomas.
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