Un drame
Louise passa la journée dans un état second, agitée par des pensées contradictoires qui lui nouaient l’estomac. Elle s’efforçait de paraître normale, d’accomplir ses tâches avec la même rigueur, mais tout lui semblait soudainement dénué de sens. L’image de son frère, quelque part dans la clandestinité, contrastait violemment avec la silhouette de Hans Müller, cet homme qui l’attirait malgré elle, malgré tout.
Quand vint le soir, alors qu’elle refermait les volets de la cuisine, une ombre familière se découpa dans la lueur mourante du jour. Hans était là, debout près du porche, les mains dans les poches, son regard cherchant le sien avec cette intensité qu’elle redoutait soudain. Louise hésita un instant, puis, serrant les lèvres, elle finit par sortir, repliant ses bras contre elle comme pour se protéger de son propre trouble.
— Vous avez l’air soucieuse, murmura-t-il en s’approchant légèrement.
Elle détourna les yeux, fixant le sol, évitant ce regard trop perçant qui semblait vouloir lire en elle.
— Non… juste fatiguée, répondit-elle d’une voix distante.
Hans pencha légèrement la tête, sceptique.
— J’en doute...
Un silence s’étira entre eux, et Louise sentit une pointe de douleur dans la voix du lieutenant. Il ne comprenait pas. Comment aurait-il pu ? Elle-même ne savait plus démêler ce qu’elle ressentait.
— ça va, ne vous inquiétez pas, finit-elle par dire.
Elle vit ses traits se crisper un instant avant qu’il ne détourne le regard, comme s’il cherchait à cacher sa déception. Il n’insista pas, se contentant d’un léger hochement de tête.
— Bien sûr… Je vous laisse alors. Bonne soirée, Louise.
Il recula d’un pas, comme s’il attendait qu’elle dise quelque chose, qu’elle le retienne peut-être. Mais elle resta figée, incapable de franchir le mur invisible qu’elle avait dressé entre eux. Alors, Hans tourna les talons et s’éloigna dans l’obscurité naissante, laissant Louise seule avec ses tourments, plus perdue que jamais.
Quelques jours plus tard, un événement chamboula complètement le cours des choses.
L'état de santé de la mère de Louise s'aggrava subitement. Dès les premières heures, Louise tenta tout ce qu’elle pouvait pour la soulager, mais son état ne faisait qu’empirer. Au début, elle garda cela pour elle, refusant d’en parler à Hans. Mais en fin d'après-midi, alors qu'il rentrait de ses manœuvres, elle ne put contenir plus longtemps son inquiétude.
Hans la trouva agitée, le regard affolé. Il s'approcha immédiatement, posant ses mains sur ses bras pour tenter de la calmer.
— Louise, que se passe-t-il ? demanda-t-il avec une inquiétude sincère.
— Ma mère ne va pas bien, balbutia-t-elle, les larmes aux yeux. Elle est brûlante, absente… J’ai passé ma journée à essayer de lui prodiguer des soins, à faire venir le docteur, mais rien ne fonctionne…
Sa voix se brisa, et elle éclata en sanglots. Hans l'observa un instant, impuissant, puis, sans hésitation, il se dirigea vers la chambre. Il posa sa main sur le front de la malade et son expression se durcit immédiatement.
— Il faut faire vite. Préparez-vous, je reviens.
Louise resta un instant figée, troublée par son efficacité soudaine. Elle hésita, puis enfila son manteau. Quelques instants plus tard, elle entendit le bruit d’une voiture s’arrêter devant la maison. Hans entra d’un pas rapide, s’approcha du lit et, avec une précaution surprenante, souleva la mère de Louise enroulée dans ses couvertures.
— Montez dans la voiture, ordonna-t-il simplement.
Louise s’exécuta sans discuter. Ils prirent la route vers l’hôpital de Béziers.
Le trajet se fit en silence, ponctué uniquement par les contrôles qu’ils passèrent sans encombre grâce à la présence de Hans. Louise, quant à elle, était bien trop inquiète pour parler. Elle se laissait porter par la situation que Hans semblait maîtriser avec un sang-froid impressionnant.
Arrivés à l'hôpital, la mère de Louise fut immédiatement prise en charge. Les alarmes du couvre-feu retentissaient déjà, signalant l’heure tardive, mais avec Hans à ses côtés, elle ne craignait rien.
Le docteur s’approcha d’elle après avoir examiné sa mère.
— Nous allons faire notre possible. Vous devriez rentrer chez vous, mademoiselle.
Sur le chemin du retour, Louise resta silencieuse. L’inquiétude lui serrait la gorge, et les larmes coulaient doucement sur ses joues. Hans, concentré sur la route, jetait de temps en temps des regards inquiets vers elle, mais il ne savait que dire.
Une rentrée, la porte close, Louise se tourna vers Hans:
— Merci, murmura-t-elle d’une voix brisée.
Hans hésita une seconde, puis, d’un geste instinctif, il la prit doucement contre lui. Elle se laissa faire, s’abandonnant enfin à ses émotions. Ses larmes redoublèrent, mais cette fois, elle n’était plus seule.
Ils ne dirent rien. Pourtant, dans cette étreinte silencieuse, il y avait plus de réconfort que dans n’importe quel mot.
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