Un autre départ
Toute la semaine, Hans accompagna Louise à l’hôpital pour voir sa mère. Chaque matin, il la voyait quitter la maison, le visage marqué par la fatigue et l’angoisse, et il l’accompagnait sans un mot jusqu’à Béziers. Leurs trajets se faisaient en silence, seulement troublés par les soupirs ou les tremblements de Louise. Il n’y avait rien à dire, sinon la présence, sinon l’évidence du soutien qu’il lui offrait.
Mais l’état de sa mère empirait inexorablement. Chaque visite semblait lui voler un peu plus de souffle, un peu plus de lumière. Louise passait des heures à son chevet, lui tenant la main, murmurant des mots d’amour et d’espoir. Elle priait pour un miracle, mais la maladie poursuivait son œuvre implacable.
Puis vint ce jour où tout bascula.
Hans attendait dehors, adossé à la voiture, les bras croisés. Il leva la tête en voyant Louise apparaître dans l’encadrement des portes de l’hôpital. Elle avançait lentement, comme si son corps était trop lourd pour elle. Lorsqu’elle atteignit enfin le seuil, ses jambes cédèrent, et elle s’effondra sur le sol.
En une fraction de seconde, Hans fut auprès d’elle. Sans un mot, il la releva avec précaution, la soutenant contre lui. Il sentit son corps trembler violemment, secoué par des sanglots muets. Elle releva un visage ravagé vers lui et, dans un souffle brisé, murmura :
— Elle est partie…
Hans ferma les yeux un instant, touché en plein cœur. Il savait ce que c’était. Il savait la douleur, le vide, l’injustice d’une perte pareille. Il passa un bras autour de ses épaules et l’aida à monter dans la voiture. Une fois assise, elle laissa tomber sa tête contre la vitre, comme si toute sa force l’avait abandonnée.
Hans démarra, mais au lieu de prendre la direction de la maison, il bifurqua sur une route de campagne. Louise ne remarqua pas tout de suite le changement de trajet, plongée dans son chagrin. Ce ne fut que lorsqu’ils s’arrêtèrent au milieu d’un chemin isolé qu’elle leva la tête, un peu perdue.
Hans contourna la voiture et ouvrit sa portière.
— Descendez, dit-il doucement.
Elle hésita, mais obéit. Debout face à lui, elle attendit, les bras serrés autour d’elle-même comme pour se protéger.
— Maintenant, criez, ordonna-t-il d’une voix ferme.
Elle cligna des yeux, interdite.
— Quoi ?
— Maintenant, criez, hurlez… évacuez tout ce que vous ressentez. Ne gardez pas ça en vous, Louise. Je sais ce que c’est de tout enfermer, de se taire jusqu’à en être consumé de l’intérieur. Ne faites pas cette erreur. Laissez sortir la douleur.
Louise resta immobile un instant, hésitante. Mais en voyant le regard sincère de Hans, quelque chose en elle céda. Une première plainte s’échappa de sa gorge, puis une autre, plus forte. Bientôt, son cri se mua en un hurlement déchirant, empli de chagrin et de colère. Tout ce qu’elle avait retenu depuis des jours, des semaines, jaillit dans l’air froid de la campagne.
Elle cria jusqu’à en perdre le souffle, jusqu’à ce que sa voix ne soit plus qu’un sanglot rauque. Puis elle s’effondra de nouveau, épuisée, vidée. Hans la rattrapa, la serrant contre lui sans un mot. Elle se laissa aller dans ses bras, pleurant sans retenue, le front contre son épaule.
Ils restèrent ainsi un long moment, unis dans cette douleur partagée. Et dans cette étreinte silencieuse, une évidence naquit : ils n’étaient plus seuls. Hans, lui aussi, avait les yeux embués de larmes, incapable de masquer l’émotion qui le submergeait.
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