Rencontre
Esmé va au travail le sourire aux lèvres ce matin. Le soleil brille, les oiseaux chantent et le printemps vient réchauffer son cœur.
Comme tous les autres jours, c’est elle qui ouvre la boutique. Sa mère l'a rejoint plus tard pour tenir la caisse tandis qu’elle prépare sa journée. En effet, depuis que l’amour de sa vie l’a quitté, Esmé a remis toute sa vie en question. Faisait-elle ce qui lui plaisait vraiment ? Et la réponse était non. Secrétaire de mairie n’était pas une passion. L’ésotérisme, oui. C’est ce jour-là, il y a quatre ans maintenant, qu’elle a tout plaqué. Sa maison; leur maison, son travail et tout ce qu’il restait de leur vie. Elle a racheté une boutique avec son fond de commerce, a tout vendu et a ouvert sa boutique d’ésotérisme avec sa mère. Leur accord est clair : sa mère tient la partie commerciale, vente de pierres de lithothérapie, d’encens, de livres, de bijoux artisanaux, de photos ou de cadres tandis qu’Esmé pratique la sorcellerie. Divination, méditation, conseil, elle aide des personnes dans le besoin à se retrouver et à se guider.
Sa première mission : mettre en place la boutique. La pancarte sur le trottoir, ranger les pierres éparpillées, arranger les bijoux, vérifier les cadres, la boutique doit être parfaite. Sa mère arrive à 8H45. Là elle prend le relais pour préparer la caisse allumer les lampions, mettre l’ambiance sympathique qu’elles adorent. Et Esmé part dans la deuxième boutique. Elle se déchausse et descend l’escalier en colimaçon. Au sous-sol, elle a organisé son antre de sorcière. C’est une pièce sombre éclairée par des bougies accrochées au mur. Il y a un coin lounge avec deux belles banquettes en velour bordeau pour discuter et faire de la divination. Derrière, un petit bureau en bois un peu en bazar, des livres ouverts, des bougies fondues dégoulinantes, des feuilles de laurier séchées, et des petits bouts de bois. Sur le côté, le long du mur, une bibliothèque en bois à moitié remplie le livre et l’autre moitié de pierres précieuses ou semi-précieuses en tout genre. Et pour finir, au fond de la pièce, une porte ou plutôt un cadre de porte en granit, caché par un lourd rideau viridian. Derrière celui-ci, une petite pièce simplement meublée d’une table matelassée. Tout autour de cette pièce une étagère en bois supporte multiples bouteilles aux contenus colorés avec de vieilles étiquettes délavées indiquant ce qu’elles contiennent.
Quand Esmé est ici, elle se sent bien. C’est une pièce sombre et humide avec une faible hauteur sous plafond mais elle en a fait son antre et est aujourd’hui très fière de ce qu’elle représente. A ce jour, elle ne vit pas et ne vivra probablement jamais de la sorcellerie, mais elle est heureuse de pouvoir se rendre tous les jours dans cet endroit magique qui lui fait du bien.
Esmé saisit son crayon papier et parcours du bouts des doigts les dernières lignes qu’elle a écrites la veille. Elle reprend ses recherches sur les runes nordiques où elle les a arrêtées. Mais la lumière du bas des escalier se met à clignoter. Cela n’arrive pas souvent à cette heure-ci. C’est un signal qu’elle et sa mère ont mit en place pour s’appeler sans se hurler dessus à travers l’escalier.
Esmé repose donc son crayon et se dirige vers l’escalier. Elle tient sa longue robe en satin de coton pour ne pas trébucher et remonte vers la boutique. Quand elle arrive au palier, elle tombe sur un homme. Un client certainement mais elle connaît cet homme. Sa mère lui présente mais elle ne l’écoute pas. Elle sait et est absorbée et impressionnée par sa présence. Ce monsieur n’est rien d’autre que Yvan Lorvignol : un célèbre reporter surtout connu pour ses interventions médiatique à contre courant. En effet, celui-ci traite de sujets tabou ou « à problème », tels que les religions, les décisions gouvernementales ou les médecines alternatives. Esmé l’admire. Elle est même fan jusqu’à le suivre sur les réseaux sociaux. Elle aime le fait qu’il parle de ce que personne ne veut évoquer et cela toujours avec la précision d’un chirurgien. En plus de bien parler, cet homme est séduisant. Elle se ressaisit quand elle s’aperçoit qu’il lui tend la main tout en se présentant. Elle l’a saisit puis se présente à son tour. Sa main est forte et chaude mais caleuse. Souvent signe de travail dur. Etonnant pour un reporter, se dit Esmé. Il lui explique qu’il fait actuellement des recherches autour de l’ésotérisme pour en parler dans un prochain reportage. Cela n’augure rien de bon. Il est réputé pour détruire et non pas pour mettre en avant. De plus elle sait que nombreuses sont les personnes qui « pratiquent » l’ésotérisme pour l’argent en racontant tout et n’importe quoi. Il lui demande si il peut lui poser quelques questions et faire quelques « prestations » pour nourrir son reportage. Esmé réfléchit un instant. Si elle est nommée dans son reportage, ce seront des millions de personnes qui verront son nom mais comment sera-t-il tourné ? Elle sait que sa pratique de la sorcellerie est juste et qu’elle le fait pour répandre le bien et le bien-être de chacun. Pourrait-elle le convaincre qu’il existe de bons sorcier ?
Elle accepte en soumettant quelques conditions. Elle veut voir le reportage avant sa diffusion et avoir un droit de retrait ou de modification si cela ne lui plaît pas. Il ne réagit pas tout de suite, comme s’il ne s’attendait pas à cette réponse. Il finit par accepter ses conditions. Elle lui propose donc de descendre dans son antre. Devant l’escalier, elle lui demande de retirer ses chaussures. C’est une coutume pour elle, les saletés de l’extérieur restent hors de son endroit. Il bloque un peu, intrigué, il regarde ses pieds et voyant sans doute qu’elle ne porte pas non plus de chaussures, il finit par les enlever. Yvan Lorvignol est un homme grand et musclé : Il ne se déplace pas facilement dans l’étroit escalier. Une fois en bas, Esmé lui propose de s’asseoir dans le coin banquette ainsi qu’une tasse de thé qu’elle part chercher derrière son bureau. Il pose sa sacoche sur le sol, accepte de s’asseoir mais refuse le thé. Esmé hausse les épaules puis s’en serre une tasse quand même. Pendant ce temps, elle ne dit rien. Elle aime laisser à ses visiteurs le temps de s’imprégner de sa tanière. Comme tous les autres, Yvan regarde partout autour. Les bougeoirs sur les murs, les livres un peu partout, les pierres éparpillées, tout retient un peu son attention. Elle vient vers la table avec sa tasse fumante.
– Dites m’en plus, dit-elle simplement.
Il lui réexplique alors la raison de sa venue, elle l’écoute attentivement.
– Je voulais dire, dites m’en plus sur vous, sur votre intérêt pour l’ésotérisme, rectifie-t-elle.
Il lui récite alors un discourt bien rodé : relatant sans gène que la sorcellerie est une pratique à la mode et qu’il aimerait faire la lumière sur ces sorciers et sorcières qui prennent l’argent de pauvres gens en échange de belles paroles sans fond, ni preuves.
Esmé ne réagit pas tout de suite. C’est malheureusement la vision de beaucoup de gens en ces jours.
– Vous faites partie de ces pauvres gens ? demande-t-elle tout en se levant vers sa bibliothèque.
Il répond négativement.
– Et pourtant vous êtes là, dit-elle en souriant et revenant vers la table munie de son pendule favori.
Il explique donc qu’il est reporter et que c’est son métier d’aller sur le terrain tester les praticiens qui font débat.
– Ceci est un pendule en labradorite, commence-t-elle tout en gardant les yeux rivés sur son bijou, la labradorite à pour principale vertues d’éloigner les mauvaises ondes. Nous en avons besoin aujourd’hui, lance-telle en levant les yeux vers lui.
– J’ai déjà vu des pendules chez vos confrères, répond-il.
– Très bien ! Utilisez-le pour moi, le provoque t-elle.
Elle récupère délicatement la pointe dans sa main, attrape la main de son visiteur et y dépose la pierre.
Yvan, visiblement surpris, regarde la pierre rouler dans sa main.
– Que dois-je faire ? Demande t-il timidement.
– Ce pendule indique le oui quand il tourne dans le sens horaire, commence t-elle. Suspendez-le au-dessus de cette table. Tenez la chaîne entre votre pouce et votre index et laissez votre énergie nous répondre.
Elle marque une pause, il la regarde sans dire un mot mais s'éxécute, il laisse le pendule pendre de ses doigts.
– Videz votre esprit, concentrez-vous sur ma voix. Inspirez, expirez.
Elle place le bout de ses doigts dans la paume de sa main libre sur la table et glisse la deuxième sous le pendule encore immobile pour le moment.
Sentez l’énergie affluer. La mienne, la votre et celle du pendule, dit-elle dans un souffle.
Elle ferme les yeux.
– Pensez à une question simple pour le moment. La météo de ce matin ou le jour de la semaine pour tester le pendule.
Sommes-nous un jeudi ?
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