Chapitre 2
Une fois la nuit tombée, pourtant pleine, la lune se sentait vide. D’un jour à l’autre, elle n’était jamais la même, forcée de croître pour finalement se ratatiner au gré du soleil. Vivre dans l’ombre d’un autre ne lui plaisait plus. Pour la première fois depuis longtemps, elle s’accorda un moment rien qu’à elle. En tête-à-tête avec son reflet, qui ondulait dans l’eau calme d’un lac, elle s’examina sous toutes les coutures. Elle ne se trouvait pas belle, ses tâches grises lui donnaient mauvaise mine. Dans le silence, son cœur faisait un raffut pas possible. C’est là qu’elle eût une idée.
Naturellement, la lune partageait plus d’affinité avec les créatures nocturnes. Comme elle, elles étaient accusées de tous les maux de la terre. L’homme, une bête loin d’être bête, avait même eu le toupet de se fabriquer un soleil pour les tenir à distance. Vu d’en haut, leurs cheminées ressemblaient à de minuscules taches de rousseur sur les joues rondes de la terre. Alors qu’une petite araignée était en train de tisser sa toile dans le creux d’un vieux pin, la lune se rapprocha pour lui faire une demande peu ordinaire.
— Tisseuse, es-tu capable de fabriquer un fil qui soit assez solide pour attacher un cœur à un autre ?
—Ce que j’unis, personne ne peut le désunir. Mais les malheureux n’auront de cesse de chercher comment s’en débarrasser.
La lune, qui avait l’intime conviction d’être sur la bonne voie, insista auprès de l’araignée.
— Je refuse de les enchaîner les uns aux autres. Il faut qu’ils soient libres de partir mais que, contre toute attente, ils choisissent de rester.
— Comme je le fais depuis si longtemps, murmura la lune.
Par chance, une famille de nuages qui avait tout l’air d’un troupeau de moutons noirs la déroba au regard de l’araignée. Ce n’était pas une mince affaire, étant donné que l’araignée n’avait pas moins de huit yeux. Mais elle n’était pas dupe.
— Je n’ai pas besoin de te regarder pour voir que tu es malheureuse comme les pierres. La souffrance est plus utile qu’on ne le pense.
La lune leva un sourcil. Elle ne voulait pas contrarier l’araignée, mais elle ne trouvait rien de bien à se sentir mal.
— Elle insufflerait un supplément d’âme à ce fil sur lequel reposent tous tes espoirs. Donne-moi une larme, je verrais ce que je peux en faire.
La lune n’avait jamais pleuré. Elle était bien embêtée, parce qu’elle ne savait pas où chercher ses larmes. Elle songea d’abord à regarder fixement vers le soleil, mais elle n’avait aucune envie de le revoir de sitôt. Alors, elle envisagea de plonger la tête la première dans la mer pour récolter une goutte d’eau salée, mais elle n’avait pas envie de se mouiller. Elle jeta un coup d’œil à la terre, sur laquelle les vies se croisaient sans jamais se rencontrer, et son cœur parla plus fort que sa tête. Une larme lourde comme le monde tomba. L’araignée s’enduit les pattes du liquide argenté, et se mit au travail.
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