Chapitre 3
L’araignée avait de l’expérience en la matière. Elle savait qu’elle devait accorder un soin tout particulier au point de départ de sa toile. Plus que jamais, elle devait se montrer méthodique. Alors, elle passa en revue tous les êtres qui avaient un jour croisé son chemin, le plus souvent sans même la remarquer.
— Les fourmis sont trop petites, les oiseaux trop volages. Les écureuils n’ont d’yeux que pour les noisettes, les grenouilles ne tiennent pas en place …
Il faut dire qu’elle était perfectionniste sur les bords.
— L’ours est pantouflard ; le loup, un poil impulsif. Le hérisson est timoré à souhait, le cerf vaniteux …
Elle se souvint de la fois où elle en avait vu un faire semblant de boire pour admirer le reflet de ses bois sans s’attirer les foudres des biches. Elle poussa un long soupir exaspéré. La liste des prétendants s’était allongée jusqu’à ce qu’elle perde le fil, ce qui était plutôt rare pour une araignée. Sans plus tarder, elle décréta :
— Une pause s’impose !
Son estomac se mit à gargouiller. Un papillon était en train de se débattre dans la toile qu’elle avait tissée juste avant que la lune ne mette l’avenir du monde entre ses pattes. Il était rouge, sa couleur préférée. Alors qu’elle s’apprêtait à lui infliger une morsure fatale, le papillon tenta le tout pour le tout :
— Hé, l’araignée. Vous faites des plans sur la comète, toi et la lune ! C’est bien beau de rêvasser, mais elle est clouée au ciel. Quant à toi, je ne sais pas combien de pattes tu as mais ce que je sais, c’est qu’elles ne t’emmèneront pas aussi loin que mes ailes.
Mais pour qui se prenait-il, ce papillon ?
— Si tu m’épargnes, je volerai jusqu’à l’autre bout de la terre pour trouver la perle rare.
— C’est bien la première fois que mon repas se permet de fourrer ses antennes dans mes affaires !
Certes offusquée, elle n’en était pas moins interpellée par la proposition de l’insecte.
— Je voudrais être bien sûre que tu ne vas pas disparaître dans la nature.
— Un papillon n’a qu’une parole.
— Admettons. Je ne vois pas comment tu ferais pour conduire l’heureux élu jusqu’à moi !
— Un papillon ne dévoile jamais ses méthodes.
Il ne manquait pas d’assurance. C’était un trait de caractère que l’araignée savait apprécier, alors elle prit le risque de lui faire confiance. De toutes façons, leur conversation lui avait coupé l’appétit.
⁂
Le lendemain, elle le vit virevolter sur les berges du lac.
— Le fainéant ! Il ne se gêne pas pour prendre du bon temps sous mon nez.
Elle fulminait.
— Maudit papillon, il se joue de moi ! Je n’aurais pas dû croire un traître mot de ce qu’il racontait.
Une curieuse odeur lui monta au nez, à mesure que le bruissement des feuilles et le craquement des branches gagnaient en intensité. Une jeune femme, aussi éblouissante que le soleil quand il est au zénith, avec un ventre aussi rond que la lune quand elle est pleine, était en train de se frayer un chemin dans les fourrés. À grand renfort de pirouettes, le papillon était parvenu à l’attirer sur la plage de galets. L’araignée était bouche bée, mais ne voulant pas perdre la face devant le papillon fanfaron, elle prit l’air désabusé.
— Pour moi, ce n’est qu’un singe qui se tient debout.
Une question lui zébra l’esprit avant de disparaître, comme un éclair qui n’a pas envie d’entendre le bruit du tonnerre : comment savait-elle à quoi ressemblait un singe ?
— Une araignée qui file le cafard, c’est plutôt rare. Hier, je n’étais qu’une chenille. Aujourd’hui, je suis un papillon. C’est toute la beauté de l’évolution !
— Pour moi, tu n’es qu’une chenille avec des ailes bariolées.
Le papillon sourit. Sans le vouloir, l’araignée avait tendu un fil entre leurs deux cœurs. Une amitié venait de naître.
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