Chapitre 4

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Le papillon était parti avec la satisfaction du devoir accompli. L’araignée, elle, avait soigneusement préparé ses affaires. D’ordinaire casanière, elle n’était pas mécontente de partir à l’aventure. Mais les paupières mi-closes, le visage offert aux rayons du soleil, la jeune femme n’était pas pressée de s’en aller. L’araignée commençait à trouver le temps long, d’autant plus que les pies jacassaient :

— C’est un drôle d’oiseau, celle-là !

Les abeilles jubilaient :

— Ses cheveux sont couleur miel.

Les lapins s’interrogeaient :

— Avec de si petites oreilles, elle ne peut qu’être sourde.

C’était une vraie cacophonie. Bien décidée à précipiter le départ, elle descendit de son arbre en toute hâte. La jeune femme fit un bond en sentant de petites pattes velues parcourir sa peau en long, en large et en travers. Sur le qui-vive, elle s’éloigna tout en se passant régulièrement une main dans le dos pour s’assurer qu’il n’y avait plus rien. L’araignée, qui se félicitait d’avoir pris le taureau par les cornes, s’était nichée dans un endroit loin de tout soupçon.

L’araignée bâilla. Le chemin avait été si long que même le soleil était parti se coucher. Elle avait eu tout le temps de réfléchir à ce qu’elle était en train de faire, et elle était arrivée à la conclusion que c’était de la folie. Mais il est sage d’être un peu fou de temps en temps.

Une fois parvenue à destination, elle prit connaissance des lieux. À l’orée de la forêt, plusieurs générations se partageaient un même toit. Aussi, les têtes blondes galopaient d’un bout à l’autre de la maison en évitant de justesse les têtes blanches qui, elles, avaient bien du mal à mettre un pied devant l’autre. L’araignée poussa un soupir d’aise : il faisait bon vivre, ici. Elle ne sentait même pas l’humidité de la pluie qui s’était mise à tomber au dehors. Perchée au plafond, une bestiole lui fit un accueil chaleureux.

— Sois la bienvenue.

Ses immenses pattes, plus fines qu’une aiguille de pin, avaient tout l’air de porter son corps glabre à bout de bras. Pour ne rien arranger, sa tête était criblée d’yeux.

— Si je peux me permettre un conseil : ne gaspille pas ton temps à te bâtir un palais de soie. Ils ne peuvent pas s’empêcher de détruire nos toiles, même les toutes petites, les toutes mignonnes, celles qui ne gênent personne, dans les plus infimes recoins du plafond ! La dernière fois, […]

Elle n’arrêtait pas de bavasser.

C’est vraiment la créature la plus hideuse que j’aie jamais vue, conclût l’araignée avant de retourner à ses affaires sans faire de politesses. Fort heureusement pour elle, l’araignée ne s’était jamais vue dans un miroir.

Elle jeta un coup d’œil à la jeune femme. Il n’en fallait pas plus pour voir qu’elle était épuisée par le long trajet auquel elle avait soumis son corps, qui portait le poids d’une nouvelle vie dans son ventre. À table, elle se contentait de plonger le nez dans son assiette sans échanger le moindre regard avec les autres. Personne ne pipait mot ; le silence était tel que l’araignée percevait les battements de cœur de l’enfant à naître. Elle, qui s’était toujours complu dans la solitude, songea à ce qu’aurait été sa vie si elle avait eu des rejetons. Pour chasser le sentiment désagréable qui était en train de gagner le bras de fer dans lequel sa raison s’était engagée, elle pensa à ce qu’elle voyait se produire chez les oiseaux qui vivaient quelques branches plus haut, au bord du lac.

De toutes façons, ils auraient quitté le nid sitôt qu’ils auraient appris à voler de leurs propres ailes.

Ainsi, aussi fuyant qu’une étoile filante, le regret ne laissa pas de trace dans son cœur.

Quand le repas fût terminé, tout le monde partit se coucher. Il ne restait plus qu’un couple de mulots, qui se disputait les miettes de pain tombées entre les lames du parquet.

— Tu devrais arrêter de t’en mettre plein la panse, tu es tellement grosse que tu ne pourrais même pas t’enfuir si le chat en avait après toi.

— Il vaut mieux faire envie que pitié ! Tu es tellement maigre que le chat ne prendrait même pas la peine de te manger, cru ou assaisonné.

L’araignée, pensive, les regardait sans les voir.

C’est décidé ! Si je dois attacher un cœur à un autre, ce sera celui d’une mère et de son enfant.

Ses petites pattes s’activèrent, aussi pressées qu’elle ne l’était d’atteindre la chambre à coucher de la jeune femme.

Avec une infinie précaution, elle se mut sur les courbes voluptueuses de la future mère. Sa peau était si douce que les pattes de l’araignée glissaient, comme sur le lac lorsqu’il est gelé en hiver. Sa poitrine se soulevait à intervalle régulier, la jeune femme dormait à point fermés. Alors, l’araignée se faufila à l’intérieur de sa bouche, descendit le long de sa gorge, atteint les poumons et s’engouffra dans la poche du cœur, qui battait la chamade. Comme il faisait chaud, là-dedans ! Elle avait plutôt intérêt à se dépêcher. Déroulant le fil qu’elle avait tissé à partir de la larme de la lune, l’araignée ne ménagea pas ses efforts.

Une fois le cœur suffisamment enveloppé, elle se fraya un chemin jusqu’à l’enfant. Lui n’avait pas sommeil ; d’humeur joueuse, il appuyait ses minuscules orteils sur les organes alentours. Elle prit une longue inspiration avant de plonger dans la bulle d’eau qui le protégeait de toute l’agitation du monde, et se laissa flotter jusqu’à sa bouche entrouverte. Là, elle dansa autour de son cœur pour former le nœud le plus résistant de l’univers.

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