Chapitre 7
Une chouette rousse faisait les cent pas au clair de lune. Petite mais dodue, elle se tenait bien droit pour se donner de la contenance. Ses immenses yeux dorés étaient cernés de plumes brunes qui lui dessinaient des lunettes. L’air sérieux, elle se racla la gorge avant de prendre la parole :
— Nous avons étudié le processus d’éclosion de la graine. L’amour prend racine dans le bassin, court le long de la colonne vertébrale, s’épanouit dans la poitrine et fleurit dans la tête. En revanche, il met à mal plusieurs organes sur son passage. Le cerveau se la coule douce, le cœur s’emballe, l’estomac se noue. Certains prétendent même avoir des papillons dans le ventre.
La lune leva non pas un, mais deux sourcils.
— Nous avons toutes les raisons de croire que c’est à cause d’un fantôme qui ne veut pas tomber aux oubliettes. Celui du papillon qui a attiré la toute première victime de l’amour dans les filets de l’araignée.
— Vous êtes en train de me dire qu’il n’est plus de ce monde ?
La chouette hocha la tête, la mine grave.
— Son bagout l’a sauvé une fois, pas deux.
La lune observa une minute de silence. Le papillon était rentré à la maison. Elle aussi retournerait à la poussière, le moment venu ; et savoir qu’elle aurait un jour l’occasion de le remercier en personne soulageait son chagrin.
Le soleil, resté en retrait jusqu’alors, intervint :
— Assez bavardé ! Pouvons-nous nous débarrasser de l’amour ou allons-nous subir les conséquences de l’inconséquence de la lune jusqu’à la nuit des temps ?
— C’est tout feu tout flammes là-dedans, dit la chouette en pointant une aile vers son crâne. L’amour, c’est comme le chiendent. Une fois qu’il est là, bonne chance pour le déloger !
La lune avait toujours entretenu de bonnes relations avec les chouettes, qui lui faisaient des rapports détaillés de ce qu’il se passait sur terre. C’est qu’elles avaient le goût du travail bien fait. En revanche, elles avaient le soleil en horreur.
— Ton hibou cherche la bagarre.
— Qui est-ce que tu traites de hibou ?
Furieuse, la chouette vola vers le soleil jusqu’à s’en brûler les ailes. Mais de retour sur la terre ferme, affaiblie, elle se rendit compte qu’elle y avait laissé des plumes, – beaucoup de plumes.
Certaines batailles sont perdues d’avance. Ce n’est pas être faible que de renoncer à un combat que nous n’avons aucune chance de remporter, c’est être sage.
Le soleil perdit patience. Il s’approcha dangereusement de la terre, qui se mit immédiatement à suer à grosses gouttes. La lune n’avait pas réussi à lui faire entendre raison, aussi les fleurs se mirent à faner, les rivières à se tarir et les animaux à dépérir. Armé de sa couronne de rayons, le soleil était aveuglé par la conviction d’agir dans l’intérêt de tous. Le sol était si chaud que de minuscules braises surgirent ; le vent, qui voulait bien faire, souffla pour rafraîchir l’air sans se douter un seul instant qu’il leur donnerait l’élan nécessaire pour se muer en épouvantables incendies qui se mirent à ravager les quatre coins de la terre. Mais loin d’y voir un désastre, le soleil y vit une opportunité : celle de repartir à zéro.
Sourd aux supplications de la lune, et aux cris d’effroi des étoiles, le soleil se mit à douter lorsqu’il vit un vieillard pleurer à chaudes larmes devant une maison grignotée par les flammes. Un peu plus loin, il vit une oiselle dont la robe blanche était noircie par la cendre. Cramponnée au nid qu’elle avait assemblé une branche après l’autre, elle était incapable de choisir quel œuf sauver parmi ceux qui étaient disposés là, dans l’attente de voir le jour. C’est là que le soleil prit la mesure de ce qu’il était en train d’infliger à la terre, et recula.
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