Premier Fragment
Il était une fois, un petit garçon charmant, intelligent, aux petites joues roses douillettes, Ses parents l'aimaient. Pourtant, depuis le début de sa vie, ils ne l’avaient jamais hydraté. Ils le nourrissaient, lui donnaient l'affection dont a besoin un enfant et lui apprenaient à lire et à écrire. Ni plus ni moins.
A la maison, seul son père avait le droit de boire. Et la seule chose qu’il n'avait jamais consommé était du jus de raisin. C'était l'unique boisson qui existait à leur connaissance. Mais ni lui, ni sa mère n'en avait droit. Seul son père pouvait y goûter. La boisson lui faisait envie parce que son père en abusait, à chaque occasion. Si bien que parfois, il en oubliait de se nourrir ! Dans son esprit simple et enfantin, il en déduisit que ce devait être délicieux. Donc un jour, Il s'y essaya, loin du regard de son père et de sa mère. Et il adora. Il ignorait pourquoi elle n'avait rien en commun avec le reste. Alors toujours en cachette du contrôle parental, il continua à en consommer encore et encore. Et jamais son père ne s'en rendit compte, parce qu’il passait le plus clair de son temps à en acheter beaucoup trop pour réaliser qu'il en manquait. Pour lui, il était important de ne pas se faire prendre ; sans pouvoir se l'expliquer. Il le pressentait simplement.
Comme cette boisson au goût atypique, mais exquis était la seule qui n'avait jamais stimulé ses papilles gustatives, il n'était pas friand de découvrir d'autres saveurs. Celle-ci lui suffisait.
Le gentil garçon avait une petite sœur. Elle était un peu bête, pas très belle. Mais son frère, presque malgré lui, ne pouvait s'empêcher de ressentir pour elle un amour et une compassion sans limite, plus puissante que son attirance pour le jus. Il souhaitait la protéger. Son affection, il la lui témoignait en partageant tout ce qu'il possédait avec elle. Tout, sauf le jus de raisin.
Ses parents ne s'occupaient guère suffisamment d'elle, à l'exception de la mère, lorsque le père avait le dos tourné. Avec le temps, il avait fini par occuper l’entièreté de ses journées à boire du jus, ne profitant jamais de la présence de son épouse et de ses enfants, si bien qu’ils les oubliaient et la mère entretenait sa fille, à tout instant.
Puis, un jour, les deux enfants se retrouvèrent tous seuls, parce que les parents étaient partis rejoindre un monde trop lointain et abstrait pour leurs regards juvéniles. Le départ s'était fait subit et impétueux pour la mère, progressif pour le père. Lui, fondait toujours plus chaque jour, inexplicablement et un soir, toutes les parcelles de son corps se dissolurent dans les airs, comme s'il n'avait jamais existé. Lorsque l'absence s'éternisa, le garçon se sentit si triste, qu'il se mit à marcher, longuement, entraînant sa petite sœur dans sa promenade, elle qui était pieds nus. Le sol finissait par lui léser les pieds, mais elle taisait sa douleur pour continuer à accompagner son frère. Hélas, ils marchèrent encore un long moment, sans répit, si bien qu'elle égara son doudou en cours de route, sans véritablement le réaliser. Lui-même ignorait où il souhaitait se rendre, alors qu'en sa qualité d’aîné, sa sœur le voyait comme invincible, exempt de doute et de peur. Ainsi donc, il méritait sa confiance aveugle, quand lui-même doutait. Ses pas les guidaient machinalement quelque part. Un quelque part, loin d'ici, un ailleurs où être orphelins serait certainement moins pénible.
Il craignait de rentrer chez eux, de voir la maison vidée de la présence chaude de leur mère. Il avait fini par s’accoutumer à la disparition de leur père. Il savait qu’il ne reviendrait plus.
Le chemin devenait de plus en plus sombre et écorché. Mais la sœur tenait bon, elle n'avait plus que son frère. L'enfant pensait qu'ils étaient partis en quête de leur maman, qu'elle aimait tant. Ils s’étaient enfoncés au bout d'une forêt dont la pénombre dissimulait la lumière du jour, jusqu’à s'engouffrer dans une nuit éternelle.
Plus que jamais, la trace de leur maison avait disparu. Ils ne rentreraient plus jamais.
Au bout de cette balade interminable, Ils rejoignirent quelque chose de surréaliste : une gigantesque bouteille de jus de raisin. Les enfants n'en croyaient pas leurs yeux ! Surtout le petit. Il avait clos ses paupières, se les frotta rudement, allant jusqu’à se pincer pour être certain que la fatigue ne lui jouait pas des tours. Sa sœur lui affirma qu'une grande bouteille de jus de raisin se dressait bel et bien là, devant eux. Elle dépassait les arbres, dégageant quelques branches sur son passage. Ainsi écartées, elles laissaient se faufiler de faibles faisceaux lumineux. La bouteille par sa taille et sa forme imposante bloquait le passage pour poursuivre une quelconque marche.
Vite, il abandonna sa sœur, et s'en alla escalader le récipient, en retira le couvercle pour plonger dans la boisson. Juste avant, il promit à sa sœur de revenir, le temps d'une baignade désaltérante, à l'intérieur de cette piscine de bonheur. Il referma la bouteille, craignant que sa sœur ne le rejoigne et boive avec lui.
Annotations
Versions