Second Fragment
Il restait là, à boire sans aucun répit possible, s'en délectait avec délice et ferveur. C'était sans fin. Et le jus semblait éternel. Il y en avait tellement, que parfois il le recrachait sans même s'en rendre compte, maintenant la boisson à sa teneur initiale, dans un cycle infini. Il ne cherchait pas véritablement à s'extirper de cette prison dorée, parce qu’il était si agréable d'avoir autant de jus, à portée de main, à chaque seconde.
Mais sa petite sœur, restée seule, à la portée du monde extérieur et impuissante, ne faisait que le regarder, tristement, mais toujours avec cette même lueur d'espoir dans son cœur qu'un jour son frère sorte. Là-dedans, c'était comme s'il était plongé dans un sommeil éternel. Il était bel et bien éveillé mais toujours ailleurs, et le liquide vaporeux l'empêchait d'apprécier pleinement la vue de son beau visage rassurant, pour elle. Il n'entendait pas exactement ce qu'elle lui racontait et de toute façon, enfermé là, dans du jus, le petit garçon était incapable de prononcer un mot. La seule chose qui les liait était la main gauche de la fillette qu'elle appuyait à la hauteur de son frère. Comme pour établir un lien qui dépasserait les frontières du métal froid.
Elle ne bénéficiait pas d'une goutte de boisson et s'en portait bien. Quand son frère était parti se noyer dans ce breuvage maudit, des gouttes avait éclaboussé vers l'extérieur, lors de son plongeon. Elle s'était tenue soigneusement écartée de cette pluie et attendait patiemment que les flaques ne fondent. Depuis sa naissance, elle voyait leur père en consommer, sans modération. Seule l'aversion lui inspirait son paternel, parce que jamais, elle n'avait reçu de câlin de sa part et les peu de fois où il daignait lui accorder quelques secondes, c’était pour la disputer. Et parce qu'il les avait abandonnés, elle ne voulait en aucun cas lui ressembler.
Mais il n'en restait pas moins, qu'elle était seule désormais, démunie, sans aucune vivre à disposition. Alors, elle pleurait. Étant jeune, elle ne parvenait pas trop à s'occuper d'elle-même. Donc la majeure partie de son temps était prise par des séances de larmes éternelles, qui finirent par faire fleurir une somptueuse prairie autour d'elle. Des roses, des tulipes et de multiples autres variétés de végétaux l'entouraient. Il y en avait pour toutes les couleurs et toutes les formes. Le petit garçon ne pouvait rien faire pour consoler sa sœur. Alors il se contentait de la regarder pleurer, pleurer, pleurer. Le goût du jus de raisin était bien trop agréable pour réaliser la portée du désespoir qui animait la fillette. Et la vision de cette étendue de fleurs lui était plaisante.
Ses larmes ne tarissaient pas et un jour, à force de vider ses iris de cette eau salée vitale, voilà qu'elle s'était retrouvée aveugle ! Son état l'empêchait de voir les jolies plantes qui poussaient autour d'elle, formant une rempart autour d'elle, qui prenait chaque jour plus de place. Ni de réaliser un danger imminent qui la guettait.
Malencontreusement, parce qu'elles n'étaient pas entretenues et enveloppées de l'énergie négative de la malheureuse enfant, cette radieuse végétation se mua en un enchevêtrement de ronces patibulaires.
Le petit garçon finit par intégrer que si sa sœur pleurait, que des plantes épineuses se formaient autour d'elle, c'est qu'elle était chagrinée alors lui aussi, se trouva affligé mais elle était si loin ! Et le jus l'aidait à vite couper court à tout sentiment déplaisant.
Il voulait l'aider, la sauver de cette barrière fleurie encombrante. D'elle-même, peut-être. Mais il ne pouvait rien faire. Quelque chose le retenait au fond de la bouteille. Le jus de raisin. C'était bien trop bon. Et il craignait de ne plus pouvoir en boire, s'il quittait la bouteille. Il était définitivement piégé.
Les choses s'aggravèrent un jour où une aura malfaisante passa, arracha les ronces, protégeant la fillette, sans se blesser, inexplicablement. Les enfants ne comprirent pas par quel miracle l'aura s'était exécutée mais avant de s'en aller, elle se matérialisa en un espèce de sorcier qui planta d'autres graines, autour de la fille, aux fleurs plus résistantes et meurtrières. Puis ennuyé de voir la fillette, la main collée à la bouteille, avec dévotion, il la lui trancha et repartit avec. Plus jamais, ils ne revirent cette main.
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