Troisième Fragment

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Ce drame rendit la petite fille encore plus malheureuse et le sang s'écoulant de sa main volée mêlé à ses larmes fit pousser des plantes plus terrifiantes, sinistres et imposantes qui la recouvrirent. Elle en est devenue invisible aux yeux du monde mais pas ceux de son frère.

Amputée de sa main si sauvagement, lui aussi était privé de la chaleur qu'elle lui procurait par sa présence. Parce qu'avec l'autre, elle essayait tant bien que mal d'essuyer les traces de ses sanglots.

Ils n'y étaient pour rien, n'en étaient pas responsables. Ils étaient victimes, impuissants et sans défense. Mais chaque jour, la sœur se reprochait cette attaque. Son frère s'en portait comme responsable et la tristesse qui l’accablait alors le fit s’abandonner davantage à la boisson éternelle.

La fille mangeait de l'herbe, pour survivre. Parce que c'est tout ce qu'il y avait à portée de main et son ventre criait si fort famine, que ses oreilles s'en retrouvaient bouchées et sifflantes. Alors elle avalait des herbes sales et fanées qui la faisaient vomir. Elle mourrait de faim, ce qui la fit continuer à manger pour vomir, puis manger et vomir, un cercle sans fin, comme celui où son frère était aux pris. Tel était le quotidien de la petite : manger, vomir et pleurer. Et puis, ces herbes étaient un moyen pour elle de se faire du mal, se punir de l'attaque de l'aura. Elle troqua ses jours par la nuit. Le jour, elle dormait, protégée, enfin elle pensait, par l'armure de fleurs vénéneuses. Et la nuit, elle pleurait.

Son frère voulait lui donner un peu de jus, parce qu'ainsi, les choses semblaient si lointaines et il planait tant que l’illusion d’aller bien persistait. Mais comment sortir?

Il avait cessé de dormir pour observer sa sœur endurer ses nuits solitaires et glaciales. La regarder ainsi, être le gardien de sa peine finit par planter cette graine, que sa sœur semblait cultiver en elle depuis des années. Lui aussi était tout aussi triste et ce, depuis déjà trop longtemps pour se rappeler depuis quand exactement. Il voulait partager sa boisson avec elle. Mais en était incapable. Parce qu'il avait essayé de sortir de sa bouteille !

Il nageait jusqu'à la surface et s'était rendu compte qu'il avait scellé l'objet à jamais derrière lui. Des années ont passé, la fille grandissant, une main manquante et les yeux meurtris. Le garçon ne trouvait plus aucun plaisir dans cette piscine et se maudissait lui et le jour où il en avait bu en cachette, pour la première fois. Il fut trahi par la gravité et son poids.

Son cœur s’était écorché à force de nager dans ce breuvage infini. Il finit par devenir amer, mais c’était tout ce qu’il connaissait et il était piégé dedans. Il se sentait inutile et idiot face au sort de sa sœur, aveugle et toujours triste, le bras calé à la bouteille froide. Ce qu'il ne savait pas, c'est que cette présence, même farouche, lui procurait un bien-être indescriptible.

Et un jour, encore des années après, quand les ronces avait recouverts entièrement sa sœur, si bien qu'il ne la voyait plus et que son corps était devenu celui d'un homme adulte, il se souvint de quelque chose que sa maman disait : s'il mettait assez de force sur ses pieds en sautant, terré au fond de l'eau, il aurait assez de force pour remonter. Il s’exécuta, bondit le long du récipient et réussit par la force de ses bras à retirer le couvercle ! Ce bouchon infernal s'envola à l'autre bout de la forêt.

Tout heureux, il atterrit en face de la prison de sa sœur. Il inspira, pris les ronces entre ses mains pour les arracher et la libérer. Mais en fait, elles ne piquaient pas, elles brûlaient ! Il hurla de douleur. Et il se rendit compte de son état à lui, tout aussi déplorable que celui de sa sœur d'après ses souvenirs : ses doigts, ses mains, en fait, tout son corps avait partiellement fondu à force de ce contact permanent avec du liquide, sur des décennies. Il apercevait des bouts d'os se dessiner à certains endroits.

Pourtant, sa sœur lui manquait atrocement. Des mois qu'il n'entendait plus sa voix, ni ses pleurs.

Il souffla, prit son courage à deux mains et arracha cette prison florale du sol, malgré la souffrance qu'elle entraînait. Il réalisa que celle-ci n'était qu'illusion, que sa peau n'en gardait pas une cicatrice. Alors il avait joué au jardinier, malgré les picotements jusqu'à créer une cavité suffisamment grande pour y faire sortir sa sœur.

A l'intérieur de ce cocon sombre et humide, se trouvait une jeune femme recroquevillée sur elle-même, profondément endormie. Sa sœur. Il n'en croyait plus ses yeux. Elle avait grandi ! Elle vivait encore, parce qu'elle respirait mais était déterminée à ne pas sortir de ce sommeil protecteur. D'ici, elle avait l'air plus amochée. Comme lui. Leurs joues autrefois douces et moelleuses s'étaient creusées.

Mais il s'en fichait et voulait trouver la beauté dans ce reflet : de long cheveux noirs d’ébène et de longues lèvres roses toujours prête à sourire. Il avait fait ce que personne n'avait pu faire : enrouler ses bras autour d'elle, pour la serrer contre lui, si vigoureusement, et en même temps si tendrement pour la porter sur son dos et quitter la forêt de la bouteille, malgré le poids de sa sœur et des trous sur son corps qui le torturait de douleur.

Il sentait que ce n'était plus la fillette d'avant la bouteille, elle était plus mince, les cheveux plus longs, tout comme lui. Et surtout, à son image elle avait perdu ses couleurs, comme sur une photo en noir et blanc.

Mais ensemble, le monde semblait moins dur. Elle était là, c'était ce qui comptait pour lui. Leur mère avait coutume de dire qu'à l'image du fer qui aiguise le fer, contrairement à la croyance générale, c'est la sœur qui aiguise le frère, Jusque là, c’était flou. Et aujourd'hui, il comprenait.

Il marcha jusqu'à trouver une maison vide aux briques rouges mais accueillantes, au sortir du bois qui ne faisait que les appeler. Il s'y installa. Se trouvait à l’intérieur deux lits doux disposés de part et d'autres. Là, il déposa sa sœur sur l’un deux, la couverte, et plus personne ne vint leur causer du tort. Durant tout ce temps, le frère veillait minutieusement sur sa sœur bien-aimée, attentif à ses moindres souffles ou mouvements.

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