Chapitre 3

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Cela fait près de deux mois maintenant que je me rends régulièrement au Stormy Weather. Je n'y vais plus seulement pour boire, mais avant tout pour discuter avec le barman.

J'ai repris le strip-tease il y a quelque temps, encouragé par Hugo qui trouve que c'est franchement sexy comme métier. Je me demande aujourd'hui si ce n'est pas cela qui m'a aidé à me décider. En tout cas, sous ses conseils, j'ai vite repris du service. Même si pour le moment, je me contente de quelques petits contrats dans le milieu privé.

Il a aussi dit qu'il se considérerait chanceux s’il avait un jour un petit-ami exerçant cette profession. Sur le coup, je me suis senti rougir violemment, je sais qu'il essayait de me faire passer un message mais, à part se jeter des regards et des sourires charmeurs, il ne s'est jamais rien passé entre nous.

En fait, je suis conscient qu'on se plaît mutuellement, mais je ne cesse de fuir et lui ne fait rien pour m'empêcher d'agir ainsi.

Quand ce n'est pas lui qui fait des sous-entendus, c'est moi qui le drague ouvertement et puis, je culpabilise et je me ferme totalement. Je crois que j'ai peur d'aller trop loin et lui semble ne pas vouloir me brusquer, pourtant je meurs d'envie de me laisser aller avec lui, mais je n'y arrive pas. J'ai l'impression de passer mon temps à jouer au chat et à la souris.

C'est ridicule d'agir de cette manière, on a l'air d'être sur la même longueur d'onde, et puis Hugo est quelqu'un de gentil et attentionné, et ce ne sont pas les seules qualités qu'on peut lui attribuer.

C'est certainement étrange à dire, mais lui et moi nous nous sommes beaucoup rapprochés, et même si on ne s'est jamais vu en dehors de son lieu de travail, nous avons quand même tissé des liens.

Cette situation me convenait parfaitement jusqu'à présent, mais là, je crois que je veux plus. Je ne sais pas, je me dis qu'on pourrait se voir dans d'autres circonstances, seuls, sans que je ne doive le partager avec d'autres personnes sous prétexte qu'il travaille et qu'il ne peut pas passer tout son temps à discuter avec moi.

C'est avec ces pensées en tête que je m'engouffre, comme à l'accoutumée, dans le Stormy Weather. Immédiatement, mes yeux se posent sur le barman, cette image me réchauffe de l'intérieur. Juste de le voir suffit à éclairer ma vie bien morose depuis que Flynn est parti.

En l'observant s'agiter comme il le fait avec son shaker à la main, une détermination nouvelle s'empare alors de moi. Plus ! Il me faut plus !

Alors, c'est décidé, ce soir je prends mon courage à deux mains et je l'invite à sortir.

Le cœur battant à tout rompre, je m'assois au comptoir et fixe intensément le brun. Lorsqu'il m'aperçoit, un sourire se dessine sur ses lèvres, m'arrachant un rictus gêné mais ravi.

Je n'attends pas longtemps avant qu'il ne se dirige vers moi, posant un whisky sous mon nez.

- Salut toi !

- Salut.

- Je te trouve éblouissant, Jay...

Mes joues se teintent rapidement de rouge, je le sens à la chaleur qui me prend au visage, je détourne alors les yeux, totalement déstabilisé mais, n'en oublie pas pour autant de le remercier.

Une tension s'installe entre nous et je décide de profiter de cette dernière pour lui parler, sans détour.

- Dis, tu…

- S'il vous plaît, lance un homme un peu plus loin, me coupant complètement.

Hugo me lance un sourire désolé avant de se diriger vers l'inconnu. Je croise les mains que je pose sur mes cuisses et lâche un long soupir, à la fois frustré et soulagé.

Frustré parce que le moment était parfait à mon goût et que je ne m'attendais pas à ce qu'il me soit arraché aussi vite.

Soulagé parce que c'était peut-être un signe du destin ? À y réfléchir un peu plus, je suis certain que j'allais m'y prendre comme un pied. Et puis...et s'il disait non ?

L'adrénaline retombe soudainement, entraînant mon courage avec elle. Bon sang, qu'est-ce que j'étais sur le point de faire ?

J'attrape mon verre et le vide cul sec en grimaçant, je ne suis plus tout à fait sûr de moi. Le doute s'installe, j'ai peur de ce que pourrait être sa réponse mais aussi de ce qu'il pourrait se passer par la suite. Je ne sais plus, je suis perdu.

Est-ce que je veux vraiment me lancer dans une nouvelle histoire maintenant ? En ai-je au moins le droit ? C'est vrai quoi, cela fait juste trois mois que nous sommes séparés avec Flynn.. C'est sûrement beaucoup trop tôt, je n'ai pas le droit de lui faire ça, ni à Hugo.

Oui, je sais que Flynn s'est déjà remis avec quelqu'un d'autre mais, justement, moi ça m'a fait énormément de peine. Qu'est-ce que lui en penserait s'il apprenait que je tente de faire de même après ce que je lui ai fait ? Je mérite d'être seul, pas lui. C'est moi qui ai merdé, pas lui.

Et puis, et si en étant avec Hugo je pensais en fait à lui ? C'est évident que mon ex est encore trop présent dans mon esprit...Je ne voudrais pas blesser le brun...

Non, je ne peux pas sortir avec Hugo, vraiment pas. Je devrais peut-être m'en aller pour de bon et ne plus revenir du tout ...

Oui, bonne idée Jay, va-t'en !

Putain, mais qu'est-ce que je suis con...

Lentement, je lâche le verre autour duquel j'avais serré les doigts plus que de raison et commence à me lever.

- Jay ?

Je cligne plusieurs fois des yeux en apercevant Hugo face à moi.

Au moment où sa main se pose sur la mienne pour me retenir, je n'arrive plus à faire un seul mouvement.

Je reste là, les fesses à moitié décollées de mon siège, fixant ses iris verts qui cherchent à me sonder.

- Tu t'en allais déjà ?

- Ou...oui, je...

Je me tais, ne trouvant aucune excuse à lui fournir puis, résigné, je finis par me rasseoir.

- Mais, tu voulais me dire quelque chose, je me trompe ? me demande-t-il tout aussi tôt.

J'avale difficilement ma salive, me sentant pris au piège. Je ne sais pas quoi lui répondre, je ne vais certainement pas lui avouer ce que j'étais sur le point de lui demander. Impossible !

Il faut aussi que je sois honnête avec moi-même, je ne veux pas connaître d'autres premiers rendez-vous, pas après Flynn, pas maintenant. Je ne suis pas prêt. Je ne sais même pas comment l'idée a pu m'effleurer une seule seconde.

- Non ! C'est-à-dire que...

J'étouffe, il fait soudainement plus chaud, j'ai besoin d'air, de me libérer de ce poids qui me bloque à ce moment même.

Calme-toi Jay, tu n'as rien fait de mal. Il ne s'est rien passé, tu ne le lui as pas demandé, alors...tout va bien. J'essaye de m'en convaincre sans grand résultat. Je me sens mal et affreusement ridicule.

Je dois sûrement ressembler à un fantôme ou pire vu comment il me regarde en fronçant les sourcils.

- Jay, est-ce que tout va bien ?

Je tente de me ressaisir et lui fais signe que oui, même si c'est faux. Avec un peu d'effort, mon malaise finira par s'estomper.

- Je trouve que ça n'a pas l'air d'aller! Tu sais quoi, un Hug'Killer te fera le plus grand bien.

Je force un sourire mais détourne les yeux. Si seulement l'alcool pouvait réellement régler mes problèmes, mais, j'apprécie l'attention qu'il me porte. Comme il le fait déjà depuis un moment d'ailleurs. Et moi, je ne suis même pas capable de lui rendre le dixième de ce qu'il me donne. Malgré moi, je lâche un soupir n'échappant pas au barman qui fronce une nouvelle fois les sourcils. Mais il garde le silence et je lui en suis reconnaissant pour ça.

- Merci, je souffle lorsqu'il me tend ma boisson.

- Y a pas de quoi !

Je prends de longues gorgées sous le regard de Hugo, savourant lentement le goût du cocktail, mais surtout la chaleur se propageant dans ma gorge.

- Hm...je me demandais, commence le brun, ça te dirait qu'on mange ensemble vendredi soir ?

Je manque de m'étouffer avec l'alcool. Si je m'attendais à ça !

Mon cœur bat à cent à l'heure, la panique m'envahit alors que mes yeux plongent dans les siens. Je me mets à secouer la tête énergiquement de droite à gauche.

- Je...

- Écoute, je ne vais pas te mentir Jay, tu me plais. Mais, je sais, ou du moins je vois que tu n'es pas prêt pour sortir avec quelqu'un...

- Hugo...

- Non attends, laisse-moi finir !

Je déglutis et hoche la tête en signe d'accord, gardant le silence pour le laisser continuer.

- Je pensais qu'on pourrait aller manger un morceau...entre amis, rien de plus.

Je reste bouche bée face à sa demande. J'ignore comment réagir à la bombe qu'il vient de lâcher. Même si je le savais, je ne m'attendais pas du tout à ce qu'il me dise clairement que je lui plais. Bon sang !

Il ne peut pas me dire que je lui plais pour ensuite me demander de sortir entre potes, ce n'est pas logique. Non, non, je ne peux pas accepter.

- Hey Barman ! J'attends, s'écrie un homme passablement énervé.

Je profite d'un moment d'inattention pour prendre mes jambes à mon cou et me dérober à la conversation. Mais avant d'avoir fait deux pas, Hugo m'appelle. Je me stoppe net, pris en flagrant délit de fuite et me retourne vers lui.

- Vendredi, dix-neuf heures à la pizzeria d'à côté. Je t'y attendrai.

***

Vendredi 18h45

Face à mon reflet dans le miroir, je soupire une énième fois, une boule de stress me nouant l'estomac.

Je rajuste ma chemise, repositionne les quelques bijoux que j'arbore et fixe une nouvelle fois mes quelques mèches de cheveux rebelles. J'inspire un grand coup avant de souffler lentement, vidant entièrement mes poumons mais, rien n'y fait, ma nervosité ne me quitte pas.

Je prends sur moi et sors de la salle bain puis file vers l'entrée où je récupère mon portefeuille que je fourre dans la poche de mon jean.

Le temps s'est rafraîchi dehors, alors, j'enfile une veste et enroule précautionneusement une écharpe autour de mon cou avant de sortir et de verrouiller la porte derrière moi. Le vent frais me fouette le visage à peine ai-je mis un pied à l'extérieur. D'un pas lent, je parcours les rues pour me rendre au lieu de rendez-vous. Pour être honnête, je n'avais pas prévu d'y aller mais, j'ai fini par changer d'avis à cause de ce qu'il s'est passé quelques petites heures plus tôt.

J'étais posé devant la télé où était diffusé un des films favoris de mon ex et je ne sais pas ce qui m'a pris mais, j'avais besoin d'entendre sa voix, il me manquait tellement, il me manque toujours d'ailleurs, alors, je n'ai pas résisté plus longtemps et je l'ai appelé. Sauf que ce n'est pas lui qui a répondu, mais son petit-ami. Il m'a dit que Flynn était sous la douche mais qu'il pouvait lui transmettre un message de ma part si je le souhaitais, ce que je n'ai évidemment pas fait.

Cet appel m'a bouleversé un peu plus en sachant que nous avions une règle d'or lorsque nous vivions ensemble. On ne touchait pas au téléphone de l'autre, ni pour répondre aux appels, ni lire les textos. On évitait ainsi tout quiproquo et dispute inutile.

Tout semble tellement différent avec ce Jérémy, il a l'air d'être vraiment spécial pour Flynn et ça me brise de savoir que je ne suis pas cette personne spéciale dans sa vie. Je ne suis pas celui pour qui il revoit ses principes et ses positions.

Notre histoire ne devait pas compter tant que ça pour lui, JE ne comptais pas assez. Je ne vois pas comment expliquer ses réactions autrement, pourquoi cela a semblé si simple pour lui de me quitter et de se remettre en couple rapidement par la suite.

Je secoue la tête pour chasser toutes ces pensées et ne plus avoir à ressasser les évènements récents. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine lorsque je constate qu'en un rien de temps je me retrouve déjà face à la pizzeria où m'attend Hugo. Je jette alors un coup d'œil à l'intérieur et l'aperçois à une table, sirotant une bière tout en regardant l'heure sur sa montre. À mon tour, j'observe la mienne et constate que j'ai dix minutes de retard, ça va, ça aurait pu être pire. Oui, j'aurais pu ne pas venir du tout, comme je l'avais prévu au départ.

Je m'avance vers la porte mais, au moment d'entrer, je me stoppe et hésite. Je me suis laissé porter par ma peine et l'amertume de mon âme, souhaitant oublier ce que ce Jérémy pouvait bien être en train de faire avec Flynn, ne pas imaginer la vie qu'ils mènent tous les deux. Et maintenant que je suis là, je trouve ça incorrect envers Hugo de me servir de lui pour oublier. Je ne veux pas lui faire perdre son temps et encore moins le blesser d'une quelconque manière que ce soit. Car je ne peux pas lui accorder plus que ce que nous partageons ensemble depuis quelques mois, tout simplement parce que mes sentiments envers Flynn sont encore beaucoup trop présents. Si jamais Hugo attend plus de cette soirée, il sera déçu et il ne mérite pas ça. Et c'est vraiment égoïste de ma part, mais j'ai peur de tout gâcher et de perdre la seule personne qui arrive à me faire me sentir bien le temps de quelques heures. Les choses devraient rester telles qu'elles le sont actuellement.

Alors que je m'apprête à faire demi-tour, la porte s'ouvre pour laisser sortir un couple. Derrière eux, je le vois, les yeux rivés sur moi, ses lèvres s'étirant en un sourire éclatant. J'avale difficilement ma salive et finalement m'engouffre à l'intérieur, les mains moites. Puisqu'il m'a vu, je ne peux plus faire marche arrière, il le prendrait sûrement très mal. Triturant mes doigts, j'avance vers la table du brun qui m'accueille avec son éternel sourire bienveillant. Je le salue rapidement tout en retirant veste et écharpe avant de m'asseoir face à lui.

- Je suis content que tu sois venu, me lance-t-il gaiement.

Je lui offre un sourire timide en guise de réponse avant de croiser les mains sur la table et de faire mine de m'intéresser au décor de la pièce.

Je me sens aussi à l'aise qu'un poisson hors de l'eau. Je n'arrive pas à me retirer de la tête que, même s'il m'a affirmé que ce n'était qu'une sortie entre amis, je sais que je lui plais et je me dis que ce n'est peut-être pas si anodin que ça de me retrouver ici, avec lui. J'avais moi-même espéré qu'un moment pareil se produise, mais à présent, ça me terrifie. Je suis complètement paumé.

- Ça va ? m'interroge le brun

Je pose les yeux sur lui avant de les baisser sur mes doigts que je ne cesse de tordre dans tous les sens. Quelques secondes après, j'ouvre enfin la bouche pour lui répondre.

- Oui...ça va !

Je sais qu'il n'est pas dupe et qu'il voit que je mens, mais il ne dit rien et fait signe au serveur avant de commander deux bières. Lorsque ce dernier s'éloigne, Hugo me tend la carte des menus.

Alors qu'il la parcourt des yeux, sa voix s'élève et sur un ton détaché, il me demande :

- Tu veux en parler ?

J'abaisse ma carte pour le fixer, croisant ses yeux verts. Il a vraiment l'air de se soucier de ce que je peux ressentir et ça me touche beaucoup.

On ne le dirait pas au premier abord mais c'est quelqu'un d'attentif et de très observateur. Sa façon de me cerner aussi vite m'a toujours épaté, d'autant plus qu'il ne se formalise pas de mes non-dits, de mes tentatives vaines pour ne rien montrer de mes états d'âme. C'est peut-être l'âge qui lui a apporté cette forme de sagesse, de maturité. Parfois, j'ai vraiment l'impression qu'il y a plus que six années qui nous séparent.

Du haut de mes vingt-et-un ans, j'ai le sentiment de n'être encore qu'un adolescent à ses côtés mais, pour autant, il ne me prend pas pour un gamin et en aucun cas il ne méprise ce que je peux ressentir. Au contraire, il y accorde une réelle importance.

Loin de moi l'idée de le comparer à Flynn, mais parfois je me sentais ridicule face à mon ex, surtout quand il s'agissait d'exprimer mes sentiments, car souvent il ne comprenait pas et disait que j'avais tendance à tout exagérer.

À ce moment précis, j'ai l'impression de compter pour quelqu'un, je ne me sens plus aussi minable qu'il y a quelques heures. Alors, juste pour ça, Hugo mérite de passer une bonne soirée sans avoir à se soucier de mes problèmes de cœur.

- Non, t'en fais pas !

- T'es sûr ? Parce que t'avais une petite mine...

- Oui ! je lui offre un sourire sincère. Je vais mieux...

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