Chapitre 5
Je me relève de mon siège et, tout en jetant un coup d'œil circulaire sur la salle, - qui se retrouve à nouveau éclairée par de faibles lumières -, je m'étire longuement après être resté assis pendant plus d'une heure et demie. Mon regard se pose sur une jeune fille, le visage enfoui dans le cou de son amant, je souris, amusé par la situation. Les films d'horreur, ça rapprochent vachement, enfin, seulement lorsqu'un des deux se trouve être un peu fragile et de nature peureuse. Dans mon cas, ça ne fonctionne pas. J'adore ce genre de film et l'ambiance glauque qui peut en découler. Cependant, il n'y avait rien d'extraordinaire au scénario, en fait, c'était même plutôt mauvais.
Une main se pose dans le bas de mon dos, je tourne alors la tête vers Hugo qui s'est aussi relevé et qui se tient désormais à mes côtés.
Son geste me provoque quelques frissons, ravivant en moi des sensations que je n'ai plus ressenties depuis bien longtemps. Pourtant, c'est tellement innocent et simple, mais je n'y peux rien. C'est ainsi depuis ce fameux soir où on a retrouvé ses amis à lui.
Après une longue hésitation, j'avais fini par accepter son invitation et je ne regrette pas.
Je n'ai pas eu à cacher qui j'étais, ni ce que je faisais, Hugo m'a présenté et leur a parlé de ma profession avec une aisance déconcertante, j'ai même décelé une sorte de fierté dans sa voix.
Avec Flynn, j'étais obligé de mentir, parce qu'au fond, je savais qu'il ne l'accepterait pas, ni lui, ni ses proches. Quant à mes propres amis, j'ai cessé de les voir pour ne pas à avoir à le présenter à ces mêmes personnes travaillant essentiellement dans le monde de la nuit. Je me suis isolé du reste du monde pour m'enfermer dans ma relation avec lui. Et depuis qu'on a rompu, c'est comme si je n'avais plus aucune relation sociale, alors sortir comme ça et rencontrer de nouvelles personnes, ça m'a fait un bien fou. Je pense renouer avec mes anciens amis, je n'avais pas réalisé avant ça à quel point ils pouvaient me manquer.
J'offre un sourire joyeux au barman et rapidement, le brun réduit la distance entre nous pour se pencher vers moi et me souffler quelques mots à l'oreille.
- On y va ?
- Ouais.
Agilement, je me glisse entre les sièges encore occupés et gagne rapidement la sortie avant de m'arrêter dans le grand hall du cinéma. Je me sens quelque peu confus, ça m'embête que le brun ait payé pour voir une daube pareille.
Je me retourne une nouvelle fois vers lui et me gratte l'arrière de la nuque.
- Le film était pas terrible, je suis désolé, m'excusé-je.
La petite moue naissante sur son visage suffit à me donner raison quant à la qualité de ce "chef-d'œuvre", me poussant une fois de plus à m'excuser.
- J'étais pas vraiment là pour le film. Tout ce qui compte à mes yeux c'est de passer du temps avec toi.
Lentement, il attrape ma main et la serre dans la sienne, je me fige sur place, des sentiments contradictoires m'envahissent. Ce geste venant de lui m'électrise sur place, il me fait autant de bien que de mal. Je n'ai pas envie qu'il me lâche et en même temps, j'aimerais m'éloigner au maximum de lui et ne plus avoir à sentir sa main dans la mienne. Une infime partie de mon cerveau espère qu'il ira plus loin dans ses actions alors que tout le reste veut lui crier de cesser immédiatement. Alors je ne bouge pas, bataillant avec moi-même pour mettre mes idées au clair.
J'ai l'impression que tout est au ralenti, je le vois se rapprocher de moi, mon cœur bat la chamade et une sueur froide me parcourt l'échine, mais rien, je ne fais rien. Je reste là, et ne bouge pas d'un poil, jusqu'à ce que ses lèvres entrent en contact avec les miennes. Je suis surpris par leur douceur et la chaleur qui en émane. J'ai la sensation que cette même chaleur envahit tout mon corps, me traverse de part en part pour finir par se loger au creux de mon ventre. Puis, lentement, cette chaleur me quitte au fur et à mesure qu'il s'éloigne de moi. Mes yeux papillonnent, sous le choc tandis que le sourire de Hugo apparaît comme un mirage face à moi. Il semble...comblé par ce baiser et certainement ravi de voir que je ne l'ai pas repoussé. Mais j'en été tout bonnement incapable, ou peut-être que je n'avais pas envie de le repousser. Je n'arrive pas à savoir.
Soudainement, comme si je venais de me réveiller d'un rêve sans fin, je me reprends, ramène mes mains contre mon torse pour qu'il me lâche et recule d'un pas.
Hugo perd son sourire et mon cœur vient cogner encore plus vite dans ma cage thoracique, mes poumons se gonflent et se vident plus vite qu'à la normale.
- Jay...
- Il...il faut que...que j'aille pisser !
Sans le laisser dire quoi que ce soit, je tourne les talons, le laisse en plan et me précipite dans les toilettes pour hommes. Je fuis loin de lui car je ne sais pas comment réagir autrement. J'ai peur de faire ou dire quelque chose que je regretterai, j'ai besoin de me retrouver avec moi-même. Je suis soulagé de voir que le brun ne me suis pas et l'en remercie intérieurement. Je n'aurai pas supporté de l'affronter dans l'immédiat. Je n'aurai pas supporté de...de.
Oh putain Jay ! Arrête de te voiler la face!
Je m'engouffre dans une cabine libre et verrouille derrière moi. D'une main tremblante, je sors mon téléphone portable et parcours mon carnet de contact avant d'arriver sur le bon.
J'appuie sur la touche "appeler" sans plus réfléchir. Le nœud qui se forme dans ma gorge grossit au fur et à mesure que les tonalités résonnent à mes oreilles.
Il ne va pas répondre.
Pourquoi Flynn le ferait-il d'ailleurs?
Au moment où je m'apprête à raccrocher, sa voix résonne finalement.
- Jay ? Pourquoi tu m'appelles ? Murmure-t-il
Mon cœur se serre mais je prends sur moi.
- J'ai besoin de savoir...
- Savoir quoi ? fait-il visiblement agacé
- Je...est-ce que tu m'aimes encore ?
- Quoi ? Jay ! Putain, tu peux pas m'a...
- S'il te plaît. Je veux juste savoir si on a encore une chance toi et moi !
Je sens les larmes me monter aux yeux, ça fait tellement mal de l'entendre me parler si durement, encore plus de lui courir après une fois de plus. Les mots m'écorchent la bouche, sans parler de mon coeur qui s'émiette un peu plus. Je ne sais pas pourquoi j'insiste auprès de lui, pourquoi je m'obstine mais, c'est plus fort que moi. Enfin si, au fond de moi je sais...
- Je croyais avoir été clair...
Non, sinon je ne serais pas là à te le demander. Je me retiens de le lui dire, ça et le fait que je prie pour qu'il me dise que la page n'est pas tout à fait tournée. Je garde le silence, attendant la suite de sa réponse. Mais des bruits de fond se font entendre et j'arrive à capter ce qui se passe. Quelqu'un l'a rejoint, je peux entendre ce qu'il dit et reconnais la voix insupportable de ce Jérémy.
- Mon cœur, c'est qui ?
- Personne ! Répond mon ex.
J'ai l'impression que des centaines de milliers d'aiguilles viennent de s'enfoncer simultanément dans mon cœur. Personne, voilà ce que je suis à présent.
- J'arrive ! rajoute-t-il tout aussitôt.
Quelques secondes passent avant que le blond ne reprenne la parole.
- Écoute Jay, je suis désolé...
- Te fatigue pas, le coupé-je.
À quoi bon? J'avais simplement besoin d'enlever le reste des derniers doutes et d'espoirs. Avec ce qu'il vient de dire, je n'en ai plus.
Alors, je raccroche, le cœur en miettes. Je serre mes doigts autour de mon portable avant de le fourrer dans ma poche et de m'adosser contre le mur derrière moi. J'étouffe le sanglot qui me submerge et déglutit difficilement pour ravaler ma peine. Mon cerveau est en ébullition, je ne contrôle plus rien, ni mes émotions, ni mes pensées. Tout s'embrouille.
La seule chose dont je suis désormais sûr, c'est que Flynn ne veut plus de moi dans sa vie. Je me suis accroché à l'espoir qu'il reviendrait mais à présent, je commence à comprendre que c'est vraiment fini et même si je l'accepte très mal , je m'y résous...
Il ne veut plus de moi, il l'a dit lui-même, je ne suis personne pour lui maintenant.
Mais pourquoi diable je serais quelqu'un pour Hugo ? Pourquoi est-ce que lui voudrait de quelqu'un comme moi alors que Flynn, après des mois et des mois à me dire qu'il m'aimait, m'a finalement jeté. Hugo ne me connaît que depuis peu. Je suis cassé, amoché, je me sens affreux à l'intérieur comme à l'extérieur, alors pourquoi ? Pourquoi il semble autant s'intéresser à moi. Pourquoi est-ce qu'il est si doux ?
Il fait des choses que Flynn n'a jamais faites. Il me donne une place que je ne mérite pas et que je n'ai jamais eue auprès de mon ex.
Sa façon de me demander mon avis pour tout, de vouloir à tout prix savoir comment je me sens face à telle ou telle chose.
Flynn prenait des décisions pour nous deux, il ne me demandait pas si j'étais d'accord avec lui, si j'avais envie d'aller dans tel restaurant plutôt qu'un autre, je ne choisissais pas les films qu'on regardait au cinéma, jamais.
Pourquoi est-ce, Lui, il fait tout ça ? Je n'ai pas l'habitude, et ça me terrifie autant que ça me fait du bien. Ça me terrifie parce que j'ai peur que tout cela soit faux et ça me fait un bien fou parce que je me sens...important.
Mais je ne le suis pas ! Comment pourrais-je l'être ?
Je laisse échapper un soupir bruyant, comme si cela pouvait suffire à chasser tout mon mal être et fini par me redresser. Je ne peux pas rester indéfiniment enfermé dans les chiottes, ça fait déjà dix minutes que j'y suis, comme un con.
J'ouvre la porte et me poste devant les lavabos surplombés d'un grand miroir qui couvre tout le mur. J'ai une tête à faire peur, je me dégoûte moi-même.
J'attrape un bout de papier que j'humidifie pour enlever les traces de mon mascara qui a coulé à cause des quelques larmes qui ont réussi à s'échapper. Je ne veux pas faire attendre le barman plus longtemps, le pauvre doit s'imaginer tout et n'importe quoi à l'heure actuelle.
Je quitte finalement les sanitaires et cherche le brun des yeux. Il est de dos, posté près des affiches, je vois à sa façon de se balancer d'un pied à l'autre qu'il est nerveux. Il sort son portable, certainement pour regarder l'heure et se retourne finalement. Il se fige en me voyant et range son téléphone avant de se passer une main sur la nuque et d'avancer vers moi. Je le rejoins également alors qu'il fourre les mains dans ses poches. On se pose dans un coin du hall où il y a peu de passage. Je n'ai pas le temps de parler qu'il prend déjà la parole.
- Jay ! Je suis désolé ! Je ne sais pas ce qui m'a pris ! Je me suis laissé porter par le moment et j'ai...j'aurai dû te demander si t'étais d'accord. J'ai...
- Qu'est-ce que je suis pour toi ? le coupé-je sans me préoccuper de ses excuses.
- Pardon ?
- Qu'est-ce que je suis pour toi ? demandé-je plus bas.
Il se tait et me fixe comme si j'étais un extraterrestre. Il reste silencieux pendant quelques secondes qui, à moi, me paraissent des heures tant le stress m'envahit. Il sort finalement de sa léthargie et referme la bouche qu'il avait légèrement entrouverte. Je détourne le regard, déstabilisé mais plonge à nouveau mes yeux dans les siens lorsqu'il se rapproche un peu plus de moi.
Il me prend les mains et les garde dans les siennes fermement mais avec tendresse.
- Tu es la personne avec qui j'ai envie d'être. Celui avec qui j'ai peur de tout faire foirer avec un simple geste, un simple mot. Tu es l'homme à qui je pense à chaque seconde. Ouais...c'est un peu niais, mais, c'est la vérité. Et je préfère me contenter de passer un moment en tant qu'amis à tes côtés plutôt que te voir disparaître complètement de ma vie.
Je baisse la tête, pas par gêne, mais parce que ça me touche plus qu'il ne peut l'imaginer. Jamais on ne m'avait parlé ainsi, mais ce ne sont pas des paroles en l'air, il les pense sincèrement, j'arrive à le voir dans ses yeux, à chaque fois qu'il me regarde en fait. Je le réalise petit à petit, ou plutôt j'accepte de le voir à présent.
Bien que touché par ses propos, je me sens encore plus mal car je ne ressens pas forcément les mêmes choses que lui et je ne suis pas certain d'arriver à lui rendre le quart de ce que lui m'offre. Et c'est tellement injuste pour lui. Non, vraiment je ne mérite pas tout ça.
Voyant que je n'ose plus le regarder, il me relève le visage pour me forcer à lui faire face.
- S'il te plaît, laisse-moi une chance.
- Hugo !
J'ai malgré moi un mouvement de recul, le faisant alors lâcher mes mains.
- Je ne suis pas parfait, mais je ne suis pas si nul comme petit-ami, enfin, moins que d'autres je suppose...
Je suis surpris qu'il en arrive à imaginer une seule seconde qu'il ne puisse pas être à la hauteur de ce rôle. Je sais qu'il le serait, ça n'a rien à voir avec lui. Le problème vient de moi. Et il est hors de question que je le laisse croire le contraire une minute de plus.
- C'est pas à moi de te laisser une chance. C'est à toi de m'en donner une.
- Quoi ? Je ne comprends pas...
- Je n'ai rien à t'apporter. Je ne suis pas prêt à te laisser entièrement entrer dans mon cœur parce qu'il est tout cabossé, encore brisé. Je suis abîmé. Je n'ai rien à te donner d'entier, de neuf et de...bien.
Sans que je ne m'y attende, il prend mon visage en coupe et colle presque son front contre le mien. On est si proche que je sens son souffle venir me percuter la joue. Mais je sais que ce n'est pas une tactique pour m'embrasser cette fois-ci. Non, loin de là.
- Je m'en fous de tout ça ! Je te prends comme tu es, avec tes blessures, ton passé et tes défauts. Je veux être celui qui t'aide à recoller les morceaux de ton cœur, je veux être celui qui t'aide à faire disparaître les nuages qui t'empêchent de rayonner totalement...
Ses mots me transpercent le cœur comme une flèche l'aurait fait. Une flèche enflammée qui vient me brûler l'organe, mais ce n'est pas un feu qui me tue, au contraire, il me réchauffe comme si je mourrais de froid auparavant. Il chasse le froid douloureux et le transforme en quelque chose de bien plus supportable.
- Jay...
Avant qu'il ne rajoute quoi que ce soit, je viens délicatement poser un baiser sur ses lèvres. C'est à peine si nos bouches se frôlent, c'est si léger que je me demande s'il l'aurait senti s'il avait les yeux fermés. Je voulais simplement lui faire cette promesse silencieuse que je ne le repousserait pas loin de moi, que je souhaite m'ouvrir à lui à l'avenir mais aussi lui montrer qu'il me fallait encore un peu de temps.
Il ne bouge pas tandis que je recule pour remettre une certaine distance entre nous.
- Merci, souffle-t-il tout bas.
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