18
Tout allait bien, et puis quand j'ai entendu la voiture arriver, j'ai paniqué. J'avais confiance dans mes parents, mais c'était quand même de l’extra lourd que j'avais à leur vendre.
J’ai regardé Toumaï en lui disant :
— Tu ne mouftes pas. Tu me laisses causer. OK ?
En fait, il n'avait pas l'air plus courageux que ça.
Je me suis levé et j'ai été ouvrir la porte. Bien sûr maman est entrée en coup de vent, se plaignant des embouteillages, du GPS, de la semaine, les bras chargés de paquets, de sacs de provisions. Bref, la crise habituelle. Je suis habitué. Elle me fatigue.
J'ai quand même remarqué son coup d'œil à Rob et sa surprise. Ça l'a calmée direct. Puis papa est entré et le calme est revenu.
— Bonsoir
— Bonsoir
Ils retirent leurs manteaux et s'asseyent à la table.
— Zozo, tu nous présentes ?
— Mon père, ma mère, Robert
Silence. Apparemment, ils en veulent plus. Je m’assieds à mon tour et Rob se met tout contre moi, vraiment tout contre moi. Maintenant, c'est normal pour moi, mais je vois les yeux de maman. Elle doit se poser trop de questions !
— Voilà. Je dois vous dire…
— Oui, mon cœur, tu sais que tu peux tout nous dire…
Elle va pas le fermer ! C'est assez dur comme ça.
— Bon ! L’autre soir, y a eu un orage terrible. Y a des tuiles qui sont tombées et le noyer du père Jean a été foudroyé.
Papa se lève, mais maman le retient.
— Mais pourquoi tu nous l'as pas dit ?
— Y'avait plus de réseau, et après, j'ai oublié. Bon. En sortant pour voir s'il n’y avait pas le feu…
— Oh, mon pauvre Zozo !
— J’ai trouvé Robert qui était trempé et choqué et je l'ai fait rentrer.
— Tu as bien fait ! Tu as toujours été gentil et généreux.
— Il était mal en point, les vêtements déchirés, des plaies partout. Alors, je l’ai soigné et je lui ai prêté des vêtements.
— Tu as bien fait ! C'est normal. Ton père va regarder si c'est grave.
On arrive au plus dur. Elle pourrait poser des questions, ça m'aiderait. Des fois, elle ne me comprend pas.
— Il ne pouvait pas rentrer chez lui. Alors il a dormi là.
Qu'est-ce que je dis maintenant ? Help !
Je me tais. Ils commencent à comprendre que ça ne va pas. Je retrouve l'article et je pousse mon phone vers eux.
— Regardez !
Je leur fourre sous le nez l'article de 1964. Aucune réaction. Ils sont lourds. Je m'énerve.
— Vous comprenez pas ? Roberto a disparu en 1964 et il a réapparu il y a deux jours. Ici !
J'ai pas envie de rire, mais franchement, ça le mériterait à voir leurs têtes.
— Zozo, vient voir. Tu es sûr que tu n'as pas eu le covid ? Des fois, ça attaque le cerveau… Vous avez bu ! Souffle pour voir ? Oh !, mon dieu, vous avez fumé…
— Maman…
Toumaï nous observe en silence, sans bien comprendre ce qui se passe.
— Papa, maman, il faut que vous nous aidiez ! C'est vrai. Il m'a raconté sa vie, il y a l’article. C'est tout ! En plus, il s'appelle Santos, comme nous !
Je me tais, car ils n'écoutent plus. J'espère que j'ai pas tapé trop dur. Ils se regardent, me regardent, regardent Rob, relisent vingt fois l'article. Ça leur prend du temps !
Enfin, papa réagit :
— Jeune homme, euh, Robert, je suis médecin, comme la mère d'Enzo du reste. Je peux t’examiner ?
— Oui, bien sûr Monsieur.
Ils s'en vont. Maman me regarde. Elle a pris un sacré coup.
— Maman, c'est pas une blague. Je sais que ça ne peut pas arriver. N'empêche que Rob est là, qu'il est dans une sacrée merde et qu'il faut l'aider.
Je vois bien que ça tourne dur. Et puis, cling ! Je retrouve ma super maman géniale !
— Bon ! C'est pas possible, ça n’existe pas, mais il y a un gamin de l'âge de mon fils qui a besoin d'aide ! Plus de question, on agit ! Mais, dis-moi, Zozo, y-a quelque chose entre vous ?
— Comment ça ?
— Vous étiez collés l'un à l'autre et il te dévorait des yeux, comme…
— Mais non ! N'importe quoi ! C'est vrai que je l'ai consolé, que je l'ai pris dans mes bras, que nous avons couché ensemble, mais c'est tout.
— Enzo…
— Mais je te dis que c'est tout. C'est vrai qu'on a beaucoup parlé et qu'on est devenus amis.
Elle me regarde à sa façon qui m'oblige à tout lui dire.
— Bon, je l'aime comme j'ai jamais aimé personne ! Mais comme un frère, un grand frère. Pas plus, mais beaucoup !
— Oui ! Normal que vous vous soyez rapprochés. Il a l'air aussi gentil que toi. Bon, et puis après tout, si tu es gay, c'est comme ça !
— Maman ! Tu ne comprends pas ! C'est vraiment pas ça, c'est beaucoup plus fort !
— Plus fort que quelque chose que tu connais pas ! Zozo…
Merde ! Des fois elle déraille complètement. Normalement, je calte, mais là, je n’en ai pas la force. Je me lève et je me blottis dans ses bras. Je peux enfin pleurer et me relâcher. Je ne savais pas que j'étais aussi touché par cette affaire.
Je me calme quand ils reviennent.
— Bravo, Zozo. Les pansements étaient super bien faits. Aussi bien que moi. Rien de grave.
Il s'arrête
— J'ai bien examiné Roberto. Il a bien quatorze ans, ou pas loin. Bonne santé, beau garçon.
Il s'arrête.
— On a un peu parlé aussi, c'est pour ça qu'on a traîné. Il est sincère. Comme c'est un garçon intelligent, qu'il a l'air honnête, je suis bien obligé de le croire, même si je sais que ce n'est pas possible. Vraiment pas. Je ne veux pas y penser, je vais éclater.
Il a vraiment une tête que je ne lui connais pas.
— Zo, je suis fier de ce que tu as fait pour Roberto. Je ne sais pas ce qu'on va faire, mais dorénavant, nous sommes quatre ! Roberto, tu es ici chez toi ! Bienvenue ! Euh, Delphine, ça te va ?
— Bien sûr ! Je dois ajouter que ces deux garçons se sont liés d'une façon incroyable avec cette aventure. Enzo vient de me le dire. Avoir directement un fils tout fait de quatorze ans, ça me va ! Bienvenue Robert !
Je vois bien que Toumaï est un peu retourné. Quand maman lui écarte les bras, il est complètement gêné. Après tout, il ne la connait pas. Maman comprend.
— Excusez-moi ! On a le temps de faire connaissance. Ah, on se tutoie. Tu m'appelles Delphine, lui c'est Manuel. Et lui, c'est Enzo, Zozo, il a dû te le dire !
— Et lui, c'est Robert, Rob, ou Toumaï !
— Toumaï ?
— Ben oui, c'est un préhistorique !
Le rire efface tout ça. Je trouve que j'ai des parents extras. Pas pour tout, pas toujours, mais quand c'est grave, ils sont là. Je le savais.
— Bon, les garçons, au travail ! Je prépare le diner, vous mettez la table.
Rob s'active aussitôt. On a l'impression qu’il est chez lui.
On mange en silence, enfin presque, parce que les parents posent des petites questions. On dirait qu’ils ont peur. Je crois qu’ils ne savent pas parler à un jeune, c’est tout. Même avec moi, ils comprennent pas toujours. Alors avec un ado d’une autre époque…
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