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Le lendemain matin, ils sont tranquillement en train de manger quand nous arrivons.

— Bonjour les garçons ! Bien dormi ?

— Oui ! B'jour p'pa, b'jour m'man

— Bonjour Madame, bonjour Monsieur !

— Ah, oui, ça va pas le faire ! On te l’a dit : appelle-nous par nos prénoms, Delphine et Manuel, ce sera plus facile.

— Oui, madame ! Je veux dire, d'accord. Merci Delphine.

Ils nous regardent manger. De toute façon, ils savent que le ventre vide, ils ne peuvent rien obtenir.

Je me sens vraiment bien. Robert à côté de moi, mes parents devant. J'ai complètement oublié ce qu'ils ont dit hier soir, quand ils commencent :

— Bon ! On a réfléchi, il faut qu'on cause. Maintenant ou après que vous vous êtes lavés et habillés ?

— De toute façon, Toumaï, il se lave pas !

— N'importe quoi !

Quand on redescend, ils sirotent leur café. On s’assied. Je sens que c'est du lourd. Papa attaque :

— Un : Robert, je te redis ce que nous t’avons dit hier soir : tu es ici chez toi, complètement, jusqu'à ce que nous ayons une solution. On parle même pas d'explication ! Aucun problème ! Tu peux prendre les vêtements de Zozo, il en a des tonnes.

— Je peux dire mon avis ?

— Bien sûr ! Mais tu es d’accord ?

— Oui, mais c'est moi qui lui propose.

— Zo ! Arrête ! Il y a plus grave.

— Wesh !

— Pour le matériel, la nourriture, pareil. Là-dessus, OK ?

On incline la tête.

— En fait, Robert, nous sommes très heureux de t'accueillir. Tu nous as transformé notre Enzo ! On a l'impression qu'il est beaucoup plus heureux.

Je moufte pas. J'en sais rien. Enfin si, mais c'est mon truc.

— Tu sais, on n'a jamais pu lui faire un petit frère ou une petite sœur. Je crois qu'il aurait aimé. En plus, comme on l'a raté, on a pas eu envie de faire pire !

— Hahaha !

Son humour, je supporte pas !

— Manuel !

— Mais on l'aime comme il est ! Je rigole !

— Deux. Je t'ai examiné hier. Tout va bien, mais je veux être sûr. Il faut faire un examen complet. On ne sait pas ce qui s'est passé, ce que tu as subi. Je vais demander à Georges de te faire un scanner, de la tête au pied. C'est le mieux.

À la tête de Rob, papa se croit obligé de lui expliquer ce que c'est. Avec ses mots graves pourris, je vois Rob partir en sucette.

— Kif pas ! T'es juste allongé dans un tube qui bourdonne et tu sens rien. Le reste, c'est leur affaire.

— C'est bien mieux expliqué !, sourit maman.

Papa prend le bras de Robert et enlève un pansement.

— C'est pas croyable ! C'est complètement cicatrisé. C'est ce dont je me doutais hier. C'est bizarre. Rien d'inquiétant, mais il faut vérifier.

Là, il commence à m'inquiéter grave. Qu’est-ce qu’il faut vérifier ? Je sais que je ne dois pas poser de question, mais il pourrait nous dire, nous rassurer.

— Trois : Robert, tu as l'air d'un garçon équilibré et de bien vivre cette situation bizarre. C'est quand même un choc. Je voudrais que tu ailles en parler avec une psy. Sophie est gentille, c'est une amie et on peut la mettre dans le secret. Devant la tête de Toumaï, il précise :

— Ah oui ! Une psychologue, c'est quelqu'un qui écoute parler et qui aide à aller bien dans sa tête.

Je vois Robert qui a les yeux qui chavirent. Ils sont en train de me le bousculer un peu trop. Je lui prends la main, le tire contre moi et je mets mon bras autour de lui.

Je le sens qui se détend. Les parents nous regardent, se regardent. Je crois qu'ils ont compris d'y aller un peu mollo, car maintenant ils attendent.

— Je comprends. Je vais faire ce que vous dites. J'ai aussi besoin de comprendre, même si vous êtes si gentils avec moi.

Je vois bien que le plus dur reste à venir.

— Quatre. Robert n'existe pas et ça, ce n'est pas possible.

Pourtant, le corps à côté de moi, sa chaleur, sa pression, je les sens bien. Qu’est-ce qu’il veut dire ? Cette fois, il explique :

— Roberto n'a aucun papier. Il ne peut rien faire. Or, il va pas rester enfermé. Pour tout ce qui est médical, y a pas de problème, on va se débrouiller ! Pour le reste… Tu es Français ?

— Ben, oui, je crois. Je suis né au Portugal…

— Tu as une carte d'identité ?

— Ben non, c'est pas obligatoire.

— Oh là, là ! De toute façon, si j'ai bien compris, tu n'avais rien sur toi. Je veux dire comme papier…

— Non.

— On a de la chance. Le cabinet médical est à Saint-Jérôme. Je suis sûr que je peux demander, disons des « conseils », à certains de mes patients, vu la population du quartier, je devrais pouvoir obtenir des papiers.

Il a compris qu’il faut tout expliquer à Toumaï. À sa façon :

— Une carte d’identité et une carte Vitale, au minimum.

Comme je ne sais pas très bien à quoi ça sert et comment on l’utilise, c’est moi qui pose la question.

En tous les cas, je comprends que je ne suis pas un adulte ! Tous ces trucs auxquels il faut penser. Ça doit être emmerdant. C'est bien qu’eux soient des adultes. Je ne sais pas si j'ai envie de le devenir. D’un autre côté, on ne va pas me demander mon avis. Misère.

— Même si ça nous coute quelques centaines ou milliers d'euros, ça n'a pas d'importance.

— C'est quoi des euros ?

— T’occupes ! On sort ?

— Attendez, les garçons. Une dernière chose. Vous ne dites à personne comment Robert est arrivé. Sinon, la police, les journaux, les médias vont s'en mêler. Surtout, Robert serait obligé de partir.

On se regarde effrayés.

— Enzo, tu n'as rien dit sur les réseaux ?

— Ben non ! Je ne savais pas quoi dire, alors je n'ai rien dit…

— Bon ! Silence absolu. On va voir comment en parler à certaines personnes. Allez vous amuser !

On sort. Quand Toumaï voit le SUV, il en est comme deux ronds de flancs. Il tourne autour, presque à le caresser. Papa l’a acheté en disant que c’était pour ses visites à domicile. Comme il reste dans le quartier, c’est nul ! Alors il m’a dit que c’était à cause du chemin de Tobion. Ou pour faire la route. Bref, j’ai compris qu’il voulait se la péter ! Tant pis pour le carbone ! Désolé, Greta !

Il me demande si ça coute cher. Qu’est-ce que j’en sais ? Une blinde, c’est sûr. Je lui balance un chiffre au hasard. Il ne comprend pas quand je lui parle des euros. Eux ils utilisent les nouveaux francs, même si maintenant ils appellent ça des francs. J'ai pas bien compris pourquoi il y en a des nouveaux qui ne sont plus nouveaux et lui ne savait pas très bien. En plus, chaque pays a sa monnaie ! Quand ils sont allés au Portugal, ils avaient des pesetas pour l'Espagne et des Escudos pour le Portugal. Ses parents avaient trois porte-monnaie, et il parait qu'ils se trompaient tout le temps.

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