Chapitre 7
Sans surprise, Manager Park nous réveille en disant «dépêchez-vous, une longue journée vous attend». Je sors de mon lit mollement et me dirige vers la salle de bain. Je ne ressemble à rien, à force d’entraînement, de ne pas manger et de ne quasiment pas dormir. Ma peau est pâle, des grosses cernes violacées sont dessinées sous mes yeux, mes joues sont un peu plus creusées, j’ai énormément maigri (mais apparemment pas assez) et mes pieds sont rouges et remplis d’ampoules. La douleur n’est pas que physique. Je me compare constamment avec les autres apprenties. J’ai l’impression d’être ratée, en tant qu’américaine. Après tout, je ne connais rien à la culture coréenne. Ce n’est pas ma passion pour la K-pop, le fait d’avoir regardé tous les K-dramas disponibles sur Netflix et de savoir parler coréen qui va m’apprendre à me comporter comme une coréenne ou une idole. J’ai pourtant passé des heures à me documenter. Je suis passionnée par ça depuis 10 ans. On pourrait me traiter de koreaboo. Vous savez, ces personnes obsédées par la culture coréenne et la K-pop et qui n’ont aucune origine coréenne. Dans ce cas-là, Suzanne est-elle aussi une koreaboo ?
- Jiwoo, arrête de rêvasser, bon sang. La journée va être longue.
Les filles et moi sortons vers la salle de danse, prête à faire pour la centième fois la chorégraphie de Black Mamba. Elle est vraiment compliquée, étant donné qu’après avoir passé six heures hier à la travailler, on arrive seulement le premier couplet et le refrain. Je suis les mouvements mais comme je suis épuisée, je suis à la ramasse.
- Bouge toi, Jiwoo ! Les autres filles sont toutes aussi épuisées et elles y arrivent ! hurle Wang. Allez, ici, tu comptes, un, deux et trois !
Il répète «un, deux et trois !» en clapant des mains à chaque fois. Je finis par entrer en rythme et Wang s’affale sur sa chaise.
- Enfin, on va pouvoir passer au deuxième couplet.
Après, pour le chant, on est encore avec Wang. On martèle les paroles jusqu’à ne plus avoir de voix, et c’est avec excitation qu’on rejoint le studio de mise en beauté de SoRa, avec tous les produits de K-beauty et la marque Korean Beauty Boo qu’elle a lancé et que le groupe de filles sélectionné va promouvoir.
SoRa est à nouveau incroyable, dans son jean slim bleu, son chemisier blanc à motifs floraux et ses escarpins noirs. Moins extravagante, cela-dit.
- Okay, les filles. La dernière fois, vous aviez un look qui déchirait sur scène. Pour Kill this love, des vêtements noirs et rouges étaient pas mal, mais pour votre nouvelle choré, on va devoir changer un peu. Rappelez-moi la musique.
- Black Mamba de Aespa, souffle Manager Park, exaspérée.
- Ah oui, dit SoRa en frappant des mains avec excitation. Le travail va être super, je vois déjà Ha-Rin avec des extensions de cheveux rouges… Non, pas de rouge… Dans le titre il y a «black» en revanche, donc le noir sera une couleur mise en avant…
SoRa se tapote le menton.
- Okay les filles. Aujourd’hui, on ne va pas faire les looks finaux, on va juste expérimenter. J’ai aussi du travail avec les autres groupes alors il faut que je me garde deux trois accessoires qui seront peut-être plus utiles dans leur choré que dans la votre. On commence par toi.
SoRa désigne Su-Ah et l’amène près des miroirs. Elle la maquille en noir et vert, sa couleur préférée. Elle l’habille et nous la montre. Elle s’occupe des autres filles puis de moi.
- Oh my god, ma jolie, c’est quoi ces cernes ? Tiens, tu appliqueras ça tous les matins et soirs.
Elle fourre une crème dans la poche de mon sweat et me désigne d’autres vêtements. À la fin, je ne nous reconnais plus. Je ne vois plus les filles du groupe 4, mais quatre filles féroces et déterminées. Nous avons toutes du noir et notre couleur préférée : le vert pour Su-Ah, le violet pour Eun-Kyung, le bleu pour Ha-Rin et le rose pour moi.
- Supeeeer, les filles. Aleumdauseyo !
Aleumdauseyo se traduit par «vous êtes belles».
- Vous pouvez toutes y aller, sauf notre petite Jiwoo, que je garde pour sa chirurgie.
SoRa me fait un clin d’oeil et les filles partent. Elle me démaquille.
- Tu es prête ? On m’a fait un petit brainstorming sur ce que je devais arranger chez toi. Tes yeux, ton nez et ton visage. Okay, ma belle. On va commencer. Assieds-toi ici et garde les yeux ouverts, okay ?
Je suis légèrement stressée parce que je ne sais pas comment se passe une chirurgie esthétique. SoRa s’approche avec une pince bizarre et me détruit les yeux. J’ai hyper mal, je dois me retenir de ne pas hurler. La souffrance est atroce, je finis par crier.
Quand je me relève, elle me tend un miroir. J’ai les yeux d’une vraie asiatique. Je les tripote pour vérifier que c’est vrai, qu’elle a pas juste rentré ma double-paupières quelque part. Mais non, elle a vraiment fait un truc qui fait que j’ai l’air coréenne.
Elle me détruit le nez pour l’affiner et la même chose pour mon visage. Ah lala, je souffre mais je finis par être magnifique. Comme quoi, il faut souffrir pour être belle. Je me sens belle, neuve et séduisante. Je suis coréenne, maintenant (du moins avec mon physique).
- Eh bien voilà. Les autres vont halluciner. Je te verrai bien en visuel, chérie.
Moi, le visuel du groupe ? Je ne pense pas. Surtout qu’on a une chance sur quatre d’être sélectionnées.
Je rejoins la chambre, épuisée. J’ai juste besoin de repos. Et sachant que demain, une nouvelle séance danse-chant m’attend, je n’en peux déjà plus.
La journée se déroule sans embûches. Je suis encore fatiguée, mais je commence à m’habituer. Les filles ont été impressionnées par la réussite de ma chirurgie.
- Hé, demain, c’est la rencontre des Korean Boys, susurre Su-Ah, excitée.
- Ouaaah, clame Ha-Rin. Mon bias, c’est Tae-Hoon !
Ha-Rin fait un coeur avec ses doigts et imite la mimique de Tae-Hoon.
Quand Manager Park entre dans notre chambre ce matin, c’est trois filles surexcitées qui sortent de leur lit. Elles filent tout droit prendre des bains et faire des rituels beautés chacune leur tour, elles se pomponnent pour la rencontre avec les Korean Boys, nos sunbaenim. Bien sûr, elles me forcent à faire de même donc elles me plaquent des tonnes de crèmes hydratantes sur le visage, me font essayer dix mille tenues avant d’opter pour la même que la leur et Eun-Kyung accepte de me maquiller.
C’est donc quatre filles habillées en mini-robe rose flashy moulante (avec un short de sûreté en dessous), coiffées chacune d’une façon différente et maquillées qui sortent de la chambre pour aller à l’étage 92 où nous attendent les Korean Boys.
On arrive à l’étage en piaillant, et Manager Sang, le manager des Korean Boys, ouvre la porte, révélant les cinq magnifiques garçons de ce groupe.
Jun-Woo et Tae-Hoon sont assis à côté, le regard dans le vide. Su-Ho est tout seul dans un coin et Seo-Jun et San-Woo sont en train de faire des vocalises. Quand on entre, leurs yeux se tournent vers nous et un large sourire apparaît sur le visage de Jun-Woo, le centre du groupe.
- Bienvenue, bienvenue, bienvenue ! Vous êtes donc le groupe 4, n’est-ce pas ?
- Oui, sunbaenim, couine Eun-Kyung en se tordant les doigts.
- Super. J’ai entendu parler de vous, il paraît que votre évaluation s’est bien passée ? J’avoue que votre représentation de Kill this love était assez impressionnante ! lâche San-Woo.
Genre, ils nous ont vu ? Ça me met la pression de savoir que des professionnels m’ont vu danser et chanter.
- Bref, ici, vous êtes là pour poser des questions sur le métier d’idole et tout ce que vous voudriez savoir, continue Tae-Hoon.
Ha-Rin se mord les lèvres et se retient d’hurler, j’en suis sûre.
- Tiens, toi. Avance. Je ne te reconnais pas, tu n’étais pas là lors de l’évaluation. Approche-toi de moi.
Jun-Woo me désigne. Il attrape mon menton et approche son visage du mien pour m’observer de près. Ok. Bizarre, quand même.
- Heu...Sunbaenim, je vous jure que j’étais là lors de l’évaluation… Je… Je suis Jiwoo Kim.
Jun-Woo me lâche et sa bouche forme un «oh». Il tape dans ses mains.
- L’américaine, n’est-ce pas ? Si votre groupe débute, il ne faudra pas que ça fuite, ça. Tu as eu recours à la chirurgie ?
- Heu… Oui, sunbaenim.
- Très bien, c’est allé vite ! Asseyez-vous, je vous en prie.
Il désigne le petit canapé où les filles et moi nous asseyons, toutes collées.
- Bon, des questions ? demande Su-Ho.
- Oui ! Votre premier M/V sort quand ? questionne Su-Ah.
- Haha, le M/V de Missing love va être tourner la semaine prochaine à Londres. La danse est déjà rendue publique sur YouTube et le tube est déjà sorti sur toutes les plateformes : Spotify, Deezer, AppleMusic, etc, répond Seo-Jun.
- Je suis sûre que ça va être un perfect all-kill ! lâche Eun-Kyung. Je suis une grande fan des Korean Boys.
Alors qu’ils ont à peine débuter ? Elle est sérieuse ? Fayotte.
- Merci, continue Jun-Woo.
- C’est pas trop dur ? Je veux dire, la pression et tout ? demande Ha-Rin.
- Par moment.
Le visage de Tae-Hoon s’assombrit.
- En fait, on était censé débuter à 6… Jung-Yeong s’est… enfin… Il a été viré du groupe. Peu de gens l’aimait et tout le monde considérait qu’il était en trop. Alors PDG Kang l’a enlevé du groupe. On lui a rendu son téléphone et il a accédé aux réseaux sociaux. Il a découvert qu’il était victime de cyberharcèlement, notamment sur Instagram et Naver. Enfin… maintenant, il...mange des pissenlits… par la racine…
Je suis choquée. Je ne savais pas qu’un sixième membre était censé débuter avec les Korean Boys. En même temps, vu l’harmonie qui règne entre les 5 membres du groupe, en ajouter un me perturbe.
- Changeons de disque, claque Jun-Woo. Tae-Hoon n’aime pas vraiment parler de Jung-Yeong, c’était son meilleur ami.
- Est-ce que… on a des chances de débuter, nous ? demande Eun-Kyung.
- Vous ? s’esclaffe Su-Ho.
Il se penche en avant et nous fixe.
- Les filles. Vous êtes de bonnes danseuses, de bonnes chanteuses. Oui, votre visuel n’est pas mal non plus. Mais laissez-moi vous dire une chose. Il faut beaucoup plus que juste savoir danser, chanter et être belle. Il ne faut pas être bon danseur, mais excellent danseur. Même un parfait danseur. Vous savez quel chemin j’ai dû accomplir pour être le danseur principal de ce groupe ? Je suis entré dans PYZ Entertainment à 10 ans, et j’ai débuté à 21 ans. 11 ans où j’ai appris à danser, alors que je pensais déjà avoir un bon niveau. Quand je revois des vidéos de moi à 12 ans, je me rends compte à quel point j’étais loin d’être bon. Pour en revenir à vous, vous n’avez pour le moment aucune chance de débuter. Il n’y a rien qui vous démarque des autres filles de cette entreprise.
La mine sombre, Su-Ho se redresse et se concentre sur ses magnifiques cheveux noirs. Quel crétin, celui-là. Il a pris la grosse tête, ce mec. Surtout que je connais de meilleurs danseurs que lui dans la K-pop, comme Ji-Min des BTS.
- Les questions sont terminées, annonce Manager Sang en voyant l’air affolé des filles. Allez, partez.
On se relève et on quitte la salle. Je me retourne une dernière fois pour observer un à un les membres de ce groupe. Je croise à nouveau le regard de Jun-Woo, et il le soutient. Il me sourit et je rougis.
- Jiwoo !
Je rejoins les filles rapidement. Jun-Woo est vraiment trop beau, je ne pensais pas que cela été possible.
Bon, c’est l’heure d’un entraînement intensif sur Black Mamba. Wang nous lance la bande son et on commence le premier couplet en dansant. Je m’active en secouant mes cheveux à droite ou à gauche en enchaînant les mouvements.
- Ouah, les filles, c’est bien, lâche Wang. On a progressé ! Si on continue comme ça, le groupe 4 sera encore sur la liste lors du troisième trimestre.
Wang nous fait un clin d’oeil et ajoute :
- A propos de ça, je vous spoile un peu l’évaluation du troisième trimestre, la dernière avant de choisir quel groupe va débuter.
Il tape dans ses mains, excité à l’idée de faire débuter un nouveau groupe.
- Vous allez créer une chorégraphie sur Missing Love.
Je m’attendais à tout, sauf à ça. J’étais prête à apprendre la choré de Hip de Mamamoo, comme elle est dure. Mais alors là… Je n’ai jamais fait ça.
Les doutes s’emparent de moi. Jusque là, la difficulté était quand même mince. Je veux dire, j’ai appris des danses beaucoup plus dures. À part la pression, rien n’était horrible. Mais inventer une chorégraphie, je n’avais jamais pensé à travailler ça. Et si on y arrivait pas ? On me renverrai en Amérique. Je ne débuterai jamais en tant qu’idole de K-pop, qui est devenu mon objectif de vie. Je pourrai peut-être me lancer dans une carrière solo en Amérique, comme Jessi. Ou alors me lancer dans une carrière solo en Corée, tiens, comme Iu. Papa et Maman me tuerait pour la dette que j’ai accumulé au cours de mon année en tant qu’apprentie idole.
Mercredi
Il est 20 heures, il est l’heure de notre rendez-vous avec Manager Park pour connaître les règles du label. Avec les filles, on rejoint une petite pièce sombre.
- Asseyez-vous. Voilà les règles du label et des idoles.
Elle fait coulisser le tableau où elle a inscrit les règles.
- Commençons. Je vous demanderai de ne parler aux autres idoles en aucun cas, sauf s’ils vous proposent un feat pour une chanson. Ce sont vos ennemis, dans l’univers de la K-pop, c’est de la concurrence en permanence. Ensuite, votre contrat durera 10 ans, et après, vous pourrez le renouveler pour 2 ans seulement. Vous aurez une dette. Vous n’avez pas le droit de quitter le groupe tant que vous n’avez pas passer une année dedans. Évidemment, les relations amoureuses sont interdites. Vous appartenez aux fans. Les managers et le PDG choisiront le nom du groupe, et si vous n’êtes pas d’accord, c’est la même chose. Ne sortez jamais sans quelqu’un, c’est dangereux, entre les fans, les haters et les sasaengs. Vous n’aurez pas vos téléphones. Et enfin, donnez le meilleur de vous-même pour être le meilleur groupe de K-pop féminin.
Je griffonne toutes les règles sur un bloc-notes.
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