Chapitre 9
- Ne vous en faites pas, les tourtereaux, lance amèrement Suzanne. Ce n’est que moi. J’avais oublié ma veste.
Elle repart et Jun-Woo soupire.
- Jiwoo, j’ai pleins de trucs à te dire… Mais je ne peux pas le faire ici. Ce n’est pas discret, pas sécurisé. On est peut-être sur écoute.
À ma mine horrifiée, Jun-Woo hoche la tête.
- Je sais, ils sont vraiment fous ici. Bref, retrouve-moi à 18 heures au restaurant Allen. Tu demanderas à Manager Park de sortir faire un tour, ils ne te le refuseront pas, vu que personne ne te connaît.
- Ok…
- Je dois y aller, salut.
Il se penche pour me faire la bise et part. Attends, il s’imaginerait pas des trucs, là ? Enfin bon, j’ai un rendez-vous dans deux heures… Jiwoo, réveille, t’as aussi une chorégraphie à inventer ! Pas grave, Jun-Woo est plus important que ma carrière.
Je monte discrètement à la chambre et prends un bain, avec du lait de coco et des pétales de rose. Je sors au bout de trente minutes et applique des crèmes hydratantes puis une base sur ma peau pour ne pas que le maquillage l’abîme. J’enfile une mini-jupe en cuir noire, un top en tissu noir. J’emprunte les bottines à talons (noires aussi) de Ha-Rin puis je descends dans le couloir. Mes cheveux sont ramenés en un chignon sur ma tête, des mèches folles s’échappent sur le devant de mon visage et ma frange effilée balaye mon front. Je rajoute une couche de gloss rouge cerise.
- Jiwoo ?
Oh non, Manager Park.
- Tu fais quoi comme ça ? Tu vas où ?
- Je vais me promener… dans Séoul.
Elle croise les bras et m’observe sévèrement.
- Tu as des examens à préparer, et tu vas te promener ?
- Vous allez trouver ça étrange, mais me promener m’aide à trouver l’inspiration pour danser.
Elle me fixe par-dessus ses lunettes puis soupire.
- Sois de retour avant 20 heures.
Je souris et regagne la ville. Ouah, ça faisait genre… 7 mois que je n’avais pas quitté PYZ. Déjà 7 mois. Je suis ici depuis octobre, et nous sommes en mai. Cela veut dire que le groupe sera lancé en juillet.
J’arrive au Allen Restaurant à 18h02, et Jun-Woo y est déjà, caché derrière une casquette de base-ball et un masque chirurgical noir.
- Allons dans les toilettes, murmure-t’il. Ils sont mixtes.
Devant mon air incrédule, il ajoute :
- Pour parler en privé.
Je hoche la tête et le suis. On arrive dans un petit espace et on s’enferme dans une cabine. Il retire son masque et sa casquette puis éponge son front.
- Waouh. Ok. Alors… Tu y as réfléchi ?
Je rougis subitement.
- Pas vraiment… Avec les entraînements sur Black Mamba et Suzanne…
- Elle t’a pourri la vie ?
- Non, c’est pas ça… Mais c’est Suzanne quoi. Et sinon, Londres ?
- Très beau. Les stéréotypes sont vrais, il pleut tout le temps !
- Génial, le M/V sort quand ?
- Hmm, après-demain. Ils doivent encore bosser sur le montage. Sinon, j’ai la vidéo de votre prestation de Black Mamba.
Il sort son téléphone et me la montre en entier. Oh my god, je ressemble à une quiche quand je danse. Et ma voix sur l’enregistrement est horrible.
- Rassure-moi, je n’ai pas cette voix-là, si ?
Il émet un petit rire.
- Non. Franchement, j’aime beaucoup votre groupe. Ce serait bien que ce soit vous qui débutiez.
Ouah, un compliment de la part d’une idole de K-pop… Qui est Jun-Woo, en plus !
- Merci. J’ai vraiment hâte de voir votre M/V.
- Oh oui, moi aussi. Surtout le moment où Su-Ho prend un air mélancolique assis dans un train, c’est hilarant de le voir comme ça. Lui qui est si froid.
Beurk, Su-Ho, je ne l’aime pas. C’est lui qui avait pris la grosse tête lors de notre rencontre avec les Korean Boys.
- Jiwoo… Tu devrais vraiment y songer… à nous deux, je veux dire.
- On a qu’à… essayer.
Il me regarde droit dans les yeux.
- Je te plais ?
Sa voix est hésitante, mal assurée.
- Un peu…
Il sourit timidement et m’attrape les mains.
- Ce sera plus difficile quand tu seras idole et que tout le monde te connaîtra, Jiwoo.
- Ou quand je repartirai en Amérique, et que je redeviendrais Alice Johnson.
Il grimace.
- Je ne pense pas que le groupe de Suzanne va gagner.
- On ne sait jamais.
Et puis, si le groupe de Suzanne est resté en compétition jusque là, c’est qu’il est suffisamment fort.
- Enfin bref… Tu me plais vraiment, Jiwoo.
C’est à mon tour de sourire. Il m’entoure de ses longs bras et enfouit sa tête dans mes cheveux.
- Bain de coco et de pétales de rose ?
- Oui. Tu t’y connais, dis donc.
- Ma mère faisait la même chose.
Il sourit à ce souvenir.
- Elle est morte ?
Il me regarde avant d’exploser de rire.
- Non, non ! Nous ne sommes pas dans un film, Jiwoo !
- Les mères ne meurent pas que dans les films, réponds-je.
- Mais il n’y a que dans les films où l’homme se rappelle d’un souvenir avec sa mère, un peu gnangnan, et que sa mère est morte d’un accident ou d’une maladie.
Je fais mine de bouder.
- Allez, je te ramène à PYZ, tu as un examen à préparer. Au fait, je vais être sur le tournage d’un film à gros budget. Il cherche encore une actrice, espérons que ce sera toi.
- Je suis apprentie, pas actrice.
- Espérons quand même.
Il me fait un clin d’oeil.
J’arrive à l’entreprise pile à l’heure, et Manager Park est étonnée de me voir avec Jun-Woo.
- Vous manigancez quoi, tous les deux ? Vous oubliez la règle numéro 1 ?
- Non, non.
- Jiwoo et Jun-Woo sortent ensemble, c’est évident, non ?
Oh, Suzanne. Cette petite peste. Manager Park ouvre des yeux grands comme des soucoupes.
- Pardon ?! Jiwoo, Jun-Woo, vous ne pouvez pas faire ça !
- Et pourquoi ça ? Si on s’aime ?
Je grimace. Aimer est un peu fort pour exprimer ce que je ressens pour l’idole. Je ne suis pas amoureuse de lui. Il me plait, certes, mais je n’ai aucun sentiment pour lui.
- Qu’est-ce que tu me racontes, Jun-Woo ? Tu es beau, tu es leader, tu es chanteur, danseur, tu es parfait ! À côté de toi, Jiwoo est un moucheron ! Tu ne peux pas aimer un moucheron. Et un moucheron ne peut pas aimer un être parfait !
Manager Park pique une crise.
- Et alors, je l’aime.
Comment ça, il m’aime ? Je croyais que je lui plaisais juste ! Je voyais ça comme une petite aventure de parcours !
- Et on va faire comment, Jiwoo ?
Quoi, pourquoi moi ? Ce n’est pas moi la responsable de cette histoire !
- Et si on disait juste la vérité aux fans… Je veux dire… il se passera quoi ?
- La réputation de Jun-Woo sera déjà morte alors qu’elle vient à peine de commencer. Les Korean Boys ont encore un contrat de 10 ans !
Elle se prend la tête entre les mains.
- Jun-Woo, comment as-tu pu faire ça ?
- Manager Park, je l’aime. J’aime Jiwoo. S’il vous plait, comprenez ça…
- Non, Jun-Woo. Vous ne l’aimez pas. C’est une illusion.
- Non, je comprends très bien ce que je ressens. De l’amour.
Mais je vais m’évanouir, là. Comment ça, de l’amour ? Jun-Woo, réveille toi !
- Laisser tomber. Vous ne pouvez pas, même si vous vous aimez. On ne peut pas se permettre ça alors que nous sommes sur le lancement du groupe de filles. Retournez dans vos chambres respectives, je vais discuter avec PDG Kang.
Je lance un dernier regard à Jun-Woo en soupirant, puis je monte dans ma chambre. Les filles – y compris Eun-Kyung – m’y attendent.
- On est toutes au courant, confesse Ha-Rin.
- C’est Suzanne qui l’a dit, ajoute Su-Ah.
Eun-Kyung, comme à son habitude, reste silencieuse, les bras croisés, la mine sombre et les lèvres pincées.
- Jiwoo, tu te rends compte que si le scandale se répand sur les médias, c’en est fini de toi, et donc par conséquent, de notre groupe. Et c’est le groupe de Suzanne qui débutera, lâche Eun-Kyung.
Je le sais. Suzanne me l’a répété maintes fois. Les filles soupirent en choeur.
- Ne désespérons pas, Manager Park et le PDG Kang vont chercher une solution toute la nuit. Concentrons-nous juste sur les examens, dit Ha-Rin.
- Oui, réponds-je.
Je vais retirer mon maquillage et me mettre en tenue de sport. Quand je reviens dans la pièce principale de la chambre, les filles sont toutes parties, sauf Eun-Kyung.
- Jiwoo, je sais que je n’ai pas toujours été agréable avec toi. Je pensais que tu allais faire rater tout le groupe, en tant qu’américaine.
- Ah…
- Mais tu n’es pas comme ça. Alors, oublions tout. Repartons du bon pied, toi et moi. Je vais t’aider à te sortir de la mouise avec Jun-Woo.
- Comment ?
Eun-Kyung réfléchit. Elle se gratte le menton de ses faux ongles puis se mord les lèvres.
- Je ne sais pas trop. Tout ce que je te conseillerai, c’est de l’oublier, et de ne plus vous voir. Mets-toi juste en tête que tu ne peux pas sortir avec lui. C’est une idole, et en tant qu’apprentie, tu as d’autres préoccupations que l’amour. Comme les examens.
- Merci, Eun-Kyung.
- Mais de rien. Allons travailler.
Si seulement c’était si simple de passer à autre chose. Qu’il suffise d’un claquement de doigt. Oublier quelqu’un que je vais voir tous les jours va compliquer la chose. Peut-être même que je n’y arriverais pas. Mais je veux au moins essayer.
Pour sauver la réputation de Jun-Woo.
Pour sauver les Korean Boys.
Pour sauver PYZ Entertainment.
Mais aussi pour sauver le rêve de Eun-Kyung, Ha-Rin et Su-Ah.
Évidemment, je ne suis pas la seule à devoir faire des efforts. Jun-Woo et moi devrons nous éviter. Il ne devra pas me parler, limite pas me regarder.
Allez, Jiwoo, ça va le faire. Tu vas y arriver.
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