Chapitre 10

8 minutes de lecture

Le M/V des Korean Boys est sorti. Manager Park a réunit mon groupe et celui de Suzanne dans l’auditorium et a lancé la vidéo.

La musique commence par Jun-Woo chantant le refrain mais version acoustique. Il est assis sur un rocher en plein milieu d’une forêt aux papillons roses et aux fleurs jaunes. Y a vraiment ça à Londres, où ils ont fait ça sur fond vert ? Dans tous les cas, c’est super réaliste.

Le premier couplet est entamé par Tae-Hoon, les cheveux au vent, debout sur un bateau, fixant la mer (sûrement la Manche) d’une façon mélancolique (très très exagérée). Ce qui vaut un petit couinement de la part de Ha-Rin.

Seo-Jun chante le pré-refrain d’une voix aiguë. Il se balance sur une balançoire au rythme du vent (très cliché tout ça).

Au moment du refrain, ils sont tous les cinq dans une plaine déserte à danser. Rien de vraiment ouf.

Début du deuxième couplet : un rap de San-Woo. Il est dans la ville, le soir, portant un jean large troué, où pend une chaîne depuis la ceinture. Une casquette est posé à l’envers sur sa tête, et il entre dans une de ces cabines rouges que tout le monde a déjà vue au moins une fois dans sa vie. Il attrape le téléphone, mime une expression peinée et le lance en arrière avant de claquer super rapidement un «wae na-ege daedabhaji anhneungeoya?», signifiant approximativement «pourquoi tu ne me réponds pas ?».

La fameuse scène de Su-Ho dans le train arrive. Il est assis sur une banquette en cuir marron, collé à la fenêtre, fixant la pluie qui s’écrase sur la vitre. C’est...profond. Et cliché.

Le refrain commence à nouveau. Les garçons sont cette fois sur un globe en train de parcourir la Terre entière pour retrouver cette fameuse fille.

Jun-Woo marche soudainement seul dans une grotte en chantant «missing loooove, ouuuh, missiiing loooove». Ri-di-cule. Et il tombe sur une anglaise aux cheveux blonds, à la poitrine sûrement rembourrée, et aux yeux verts.

Elle se lève et se jette dans ses bras tandis que les autres membres du groupe chantent le petit «youuuuuh youuuuuuuuh, youu-ouuuu-ouuuuh» de la fin.

Le fait de voir cette fille se jeter ainsi dans les bras de Jun-Woo – et que celui-ci semble apprécier – me fait frissonner. Mais ça ne semble déranger personne.

Manager Park arrête la musique.

- Alors ?

Tout le monde applaudit, et les Korean Boys entre en scène. J’évite le regard de Jun-Woo. Suzanne ricane dans mon dos.

- Merci du fond du coeur d’avoir regardé cette vidéo. On va faire défiler les commentaires.

Je n’ai jamais compris le concept des commentaires sur YouTube ou autre réseau social. Mais bon, c’est comme ça.

Le premier commentaire est de… Roman ! Il m’a manqué, celui-là.

Roman_ 7523 : Fiiiirst !!! Ouah, j’attendais les Korean Boys avec impatience, et franchement, le premier M/V tue ! Merci les mecs, c’est ouf ! PYZ me fait penser à mon amie Alice qui a rejoint le label, j’espère qu’elle va bien !

- Roman ? Genre Roman du lycée ? chuchote Suzanne. C’est un mec incroyable, celui-là.

Ouah, si Roman savait que Suzanne avait dit ça, il serait choqué.

Bref, ils font défiler le deuxième commentaire, celui de Betty. Je reconnais bien mes amis-là.

Betty_145 : De ouf, le clip est super. La musique me donne envie de danser, haha. J’adore les voix des Korean Boys, Su-Ho est trop mignooon ! Haha, sinon Alice me manque aussi.

Su-Ho, mignon ? Betty se trompe sur toute la ligne.

Ce qui me chagrine, c’est que personne n’a fait allusion à la danse sur les 100 commentaires que l’on a regardé. Mais les gens regardent quoi, dans un clip de K-pop ? La danse a quand même une grande place !

- Bref, assez. Les filles, vous avez toutes les sept un examen à préparer.

Je lance un regard aux trois filles qui composent le groupe de Suzanne. Elles semblent confiantes. Deux d’entre elles sont coréennes, et Suzanne est la seule américaine.

Je quitte l’auditorium en dernier parce que j’ai discuté un peu avec Manager Park de la réalisation du M/V. Je sors et Jun-Woo m’attrape le bras.

- Jiwoo.

Il me serre dans ses bras. Moi qui avait commencé à l’oublier, me revoilà fichue. Je m’imprègne de son odeur… Hmm… Vanille ?

- Attends, Jun-Woo…

Il se dégage et me regarde droit dans les yeux.

- On ne peut pas… Je veux dire, Manager Park me l’a fait comprendre, et Eun-Kyung aussi.

- Jiwoo, on s’en fiche d’eux. On a le droit de vivre notre vie, non ? Mon adolescence m’a été arrachée pour que je puisse devenir idole. J’ai 21 ans, et je n’ai jamais eu de petite copine. À partir de mes 11 ans, mes parents m’ont envoyé dans le label pour me faire devenir idole. Pour gagner de l’argent. Pour loger ma famille. Je suis endetté depuis mes 12 ans, Jiwoo. Je n’ai pas eu de vie.

- Si tu en as eu une. Tu as juste eu une vie différente des autres.

- C’est faux. J’appartiens aux gens.

- Et donc ? Il ne fallait pas devenir idole.

- Je n’avais pas le choix !

- Et puis, tu vas pas te plaindre. Tout le monde t’aime, tu es riche, tu as une vie de rêve ! D’autres voudraient être à ta place.

- Je leur cède volontiers !

Il grimace.

- Bref. Jun-Woo, je dois y aller. Salut. Et franchement, restons-en là avant que ça dégénère.

- Tu parles de quoi ?

- Tu le sais très bien.

Je m’en vais et rejoins le studio de danse. Suzanne y est.

- Tiens, tiens, chérie… ça faisait longtemps… Tu es venue danser ? Tu as eu une formation de danse, au moins ? Ou tu te contentais d’apprendre des danses Tik Tok et ça t’a suffi à te dire que tu avais le niveau pour devenir idole ?

- En fait, ça ne faisait pas si longtemps que ça. Ça remontait à genre… cinq minutes.

Je passe au coréen :

- Oui, je suis venue danser, ça te pose un problème ?

Suzanne glisse sa main dans la poche de son jogging et penche la tête en arrière en explosant de rire, révélant des dents blanches parfaitement alignées.

- Ouah, c’est direct. Tu ne respectes pas ta eonnie ?

- Eonnie? Et depuis quand tu es ma eonnie ?

- J’ai un mois de plus que toi.

Elle a raison sur ce point. Je dois la respecter.

- Ok, tu es ma eonnie. Sauf que jusque là tu parles et tu te comportes comme une américaine, et cette histoire de hiérarchie en fonction de l’âge n’existe pas en Amérique.

- Bref… Tu veux peut-être que je te laisse la salle pour danser ?

- Non, c’est bon, grince-je.

Suzanne secoue la tête, balançant sa queue de cheval blonde.

- Tu as des nouvelles de ton frère, Jiwoo ?

- En quoi ça t’intéresse ?

Elle soupire et s’assoit sur un banc. Elle tapote le bois à côté d’elle. Je la rejoins et m’assois.

- Ton frère, il est… vraiment sympa, en fait. Je le sous-estimais à cause de son physique. J’oublie souvent de ne pas juger les gens sur leur physique. Il m’a aidé l’autre jour, en cours. Il m’a donné une réponse en maths et… j’ai eu une bonne note. J’ai été détestable avec lui, je ne comprends pas pourquoi il commet des actes d’une telle gentillesse avec moi.

Je préfère ne pas révéler à Suzanne que mon frère en pince pour elle.

- Tu penses que je devrais laisser une chance à Thomas ?

Ses yeux sont légèrement plissés. Elle fixe le sol.

- Oui, tu devrais. Mon frère… t’adore. Il t’admire.

Suzanne esquisse un sourire.

- Cool. Si je retourne en Amérique… je ferai des efforts avec lui. Mais je veux juste qu’il comprenne que… ce n’est pas de lui que je suis amoureuse. Ni de Jun-Woo.

Ouah, Suzanne est sérieuse là ? Pourquoi elle dit tout ça à moi ?

- J’aime Roman. C’est pour ça que j’ai harcelé Betty. Depuis la primaire, je suis amoureuse de lui. Sauf qu’il restait avec Betty : j’étais jalouse d’elle. Elle me semblait une cible facile, elle semblait faible, comme elle avait encore du mal à accepter sa personnalité extravagante. J’en ai profité. Je pensais que Roman allait me remarquer. Au lieu de ça, il me déteste maintenant. Et Betty aussi.

Roman ne déteste pas Suzanne. Il dit que – je cite - «je ne la connais pas assez pour pouvoir savoir si je l’apprécie ou non. Malgré ce qu’elle a fait à Betty, elle a l’air plutôt sympathique». Ce qui lui a valu un regard noir de Betty (dans les deux sens du terme, elle avait mis des lentilles noires).

- Vous devriez apprendre à vous connaître, avec Roman.

Suzanne lève des yeux incrédules vers moi.

- T’es pas bien, Alice. Il voudra jamais me parler.

- Je n’en suis pas si sûre. Si tu pouvais m’appeler Jiwoo, en revanche.

- Désolée.

Elle semble sincère. Et si Suzanne n’était pas la connasse qu’on a toujours cru ? Et si… Si on l’avait jugée trop vite ? Elle est peut-être égocentrique et arrogante, mais elle est aussi gentille, au fond.

Soudain, elle se lève, époussette son jogging et me lance un nouveau regard froid. Elle grommelle.

- Je dois y aller, raille-t’elle. Salut. Oublie tout ce que j’ai dit, je ne sais pas ce qui m’a pris.

Je hoche simplement la tête.

- Jiwoo !!!

Ha-Rin, Su-Ah et Eun-Kyung débarquent dans la salle de danse et me serrent dans leurs bras.

- Ca va ?

- Elle faisait quoi ici, Suzanne ?

- Tu as parlé à Jun-Woo ?

La dernière question venait d’Eun-Kyung. Celle-ci avait retrouvé son expression sévère habituelle.

- Oui, je vais bien. Suzanne dansait et je suis arrivée à ce moment-là.

Eun-Kyung me lance un regard perçant. Je grimace.

- Oui, j’ai parlé à Jun-Woo.

Elles lâchent un «ooooh» en choeur : exalté de la part de Ha-Rin, version «c’est trop chou» de la part de Su-Ah et horrifié de la part d’Eun-Kyung.

- Mais, Jiwoo ! Qu’est-ce qui te prend ?

- C’est l’amour, rêve Su-Ah en joignant ses mains.

- Non, non. Je m’y refuse. Les filles, je lui ai expliqué. Je lui ai dis que c’était impossible. J’ai eu tort ?

- Non.

- Si ! rétorque Ha-Rin et Su-Ah contre Eun-Kyung.

- Oh, excusez-moi, les fans de romance ! On n’est pas dans un film, livre, K-drama ou tout ce que vous voulez. Y a que là-dedans que le label accepterait leur relation. La vie n’est pas comme ça. Et puis, une rencontre sur un toit après s’être rouler une pelle avec une autre n’a rien de la grande romance que vous vous imaginez, répond Eun-Kyung.

- Et s’ils étaient prédestinés à être ensemble ?

- Raah, mais tu me casses la tête Ha-Rin ! C’est soit leur amour, soit le groupe. Soit Jiwoo fait l’égoïste, soit non.

Elles me lancent désormais toutes un regard noir.

- Alors, tu choisis quoi, Jiwoo ?

- Je...je… Je laisse tomber… Jun-Woo.

Ha-Rin me fixe, la bouche grande ouverte. Su-Ah gémit et se met à pleurer (on se demande bien pourquoi) et Eun-Kyung affiche un sourire victorieux.

- Tu as fait le bon choix. Les filles s’en remettront vite, ne t’inquiète pas.

Elles partent toutes ensembles. J’entends Su-Ah sangloter :

- C’est toi qui a fait l’égoïste Eun-Kyung. Nous, on était prêtes à sacrifier le groupe pour leur amour. Toi non.

Eun-Kyung se retourne et me lance un regard désolé.

- Peut-être bien.

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