Scène 10-11

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Scène 10

Thilas désignait du doigt une île au nord d'Albar, à l’autre extrémité de la baie.
Elle était recouverte d’une multitude de tourelles hérissées et d’habitations diverses, érigées sur plusieurs niveaux. Cette vue lui rappela la forêt qui tapissait les collines avoisinant son village.
L’ensemble recouvrait l’île toute entière, protégé par une muraille qui surplombait de très hautes falaises abruptes malmenées par le ressac des vagues.
Au nord-est de la ville, un immense pont de pierre blanche reliait le continent à l’île.
À peine visible avec la distance, l’elfe distingua une foule qui se massait sur une place à l’entrée de l’île, dominée par une large porte en bois sombre, elle-même encadrée par deux grandes tours de garde.
Caevanne remarqua une étrange structure à l’autre bout de l’île, face à la baie. L’architecture de l’édifice ne ressemblait en rien à celle des autres. L’elfe remarqua notamment la forme arrondie de la toiture et la présence d’une grande terrasse soutenue par de gigantesques colonnes blanches dont la base disparaissait dans l’écume des vagues.
Enfin, elle la vit. Derrière cet enchevêtrement de tours et de somptueuses bâtisses dominait une structure plus grande et imposante encore, la citadelle.
Flamboyante, ses murs étincelaient d’une couleur or, soutenus par de larges contreforts. Des étendards d’un rouge pourpre flottaient fièrement du haut des remparts. Plusieurs arches venaient s’entrelacer le long des parois d’une tour et se rejoignaient en spirale au sommet, comme une flamme visible depuis toute la baie. Le bâtiment à sa base formait un croissant de lune.

— Le Baron dirige aussi cette île ?

Elle comprit au regard agacé de Thilas qu’il fallait éviter de revenir trop souvent sur ce sujet.

— Même si c’est pourtant le descendant des fondateurs d’Albar, Glen n’a aucun pouvoir sur la citadelle. Il est cependant à la tête d’une assemblée qui siège dans la tour que tu as vue tout à l’heure.

Longeant les quais, Caevanne le questionna à nouveau.

— Il y a donc un autre homme qui dirige la citadelle?

Thilas afficha un sourire sarcastique.

— On ne sait pas vraiment. Le seul représentant de la citadelle qui vient jusqu’ici, c’est Dalin, un viel homme. Il devait être là quand vous êtes arrivée hier soir, non?

Caevanne revit le magicien au visage pâle.

— Je crois que oui, c’est lui qui nous a réparti dans la ville.

C’était surprenant de voir ce personnage, semblant si faible et fatigué, diriger toute la troupe de soldats.

— On ne sait pas beaucoup de choses sur l’endroit, les habitants ont l’interdiction de s’y rendre sans autorisation spéciale, il est très difficile d’y aller.

Caevanne aurait voulu en apprendre davantage sur la ville mais le silence de son guide l’intimida. Il continuèrent la marche sans reprendre la parole.

En l’observant, elle remarqua qu’il semblait absent, son regard songeur flottait loin devant eux. La jeune elfe se demanda à quoi il pouvait bien penser. Un instant, elle comptempla avec lui le panorama qui s'étendait devant eux. Une multitude de questions envahirent ses pensées.

Scène 11

Lorsqu’elle arriva dans la cuisine, une agréable odeur de poisson grillé provenant de la cheminée enveloppa la jeune elfe. Remarquant leur présence, Jolianne se tourna vers eux, un grand sourire au lèvres.

— Merci à vous deux, les réserves commençaient vraiment à s’épuiser. Alors ? Dis-moi comment as-tu trouvé Albar ?

L’air interrogateur de Caevanne amusa la jeune femme.

— C’est le nom de la ville ! elle se tourna vers Thilas. Tu ne lui as pas dit ?

Le jeune elfe fit la moue mais Jolianne avait déjà reporté son attention sur Caevanne.

— L’endroit est très joli et surtout très grand, je n’ai jamais vu un marché comme celui-là.

L’humaine sourit, l’air satisfait.

— Je suis contente que tu te sentes bien ici. Installez-vous, je vais chercher Ogan pour le repas.

Acquiesçant d’un signe de tête, Caevanne prit place aux côté de Thilas à la petite table de la cuisine.

Au moment où Jolianne disparut dans le couloir, la jeune humaine aux cheveux blonds arriva de la grande salle. Lynell, se rappela la jeune elfe.

Celle-ci s’approcha du feu et retira le plat. Elle le déposa en bout de table alors qu’Ogan arrivait dans la pièce, suivi de sa femme, Jolianne. L’homme interpella la servante dans la langue locale et désigna la grande salle du doigt. Lynell prit une cruche de vin et disparu dans la pièce voisine. Caevanne entendit plusieurs voix et rires, c’étaient des clients. La jeune humaine réapparut et prit de nouveau place à la table.

Comme Thilas, la jeune elfe entama la soupe de poisson qu’on lui avait servie.

— J'imagine que tu mangeais pas mal de poisson, là-bas, non?

C’est Jolianne qui venait de l’interroger.

— Oui, mon père était poissonnier, lui répondit Caevanne.

La jeune elfe se rendit compte qu’elle n’avait pas spécialement envie de parler de sa vie sur l’île. Elle allait désormais vivre ici.

Caevanne plongea son regard dans son bol face à elle et, à son grand soulagement, Jolianne ne lui posa pas de nouvelles questions.

Assis en bout de table, Ogan avait l’air préoccupé.

Il se tourna vers Thilas et prit la parole.

Caevanne l’écouta parler, imaginant ce qu’il pouvait dire.

Contrairement à l’elfique, chacune des syllabes étaient appuyées et distinctes. Cela rendait son ton lourd, beaucoup moins fluide que sa langue, presque pesant. Peut-être que cette impression ne venait que de la façon dont parlait Ogan, de sa voie grave et lente ?

La jeune elfe ne fut pas mécontente de reconnaître dans ses phrases quelque mots qu’elle avait entendu un peu plus tôt au marché.

Ogan avait l’air grave, ce qu’il disait devait être très important et Caevanne regretta de ne pas pouvoir le comprendre. Jolianne prit la parole à son tour, elle semblait appuyer ce que disait Ogan.

La jeune elfe eut beau se concentrer sur le ton de leur voix, sur les expressions de leur visage, elle ne devinait rien de ce qu’ils pouvaient dire.

Contrariée, Caevanne se jura intérieurement de comprendre cette langue le plus vite possible. Après tout, si elle avait appris dès huit ans la langue des anciens elfes, en assimiler une nouvelle à presque quinze ans était tout à fait envisageable.

Peu après le repas, Caevanne s’attarda dans la cuisine et Jolianne lui raconta ce que Ogan leur avait dit.

— Quelques jours avant que tu arrives, Ogan a retrouvé d’anciennes connaissances, des marchands avec qui il a beaucoup voyagé il y a une vingtaine d’années.

Jolianne lui fit signe de s’asseoir et reprit son récit.

— Au moment où son père, Bhram, est mort, lui et moi nous nous sommes installés ici, à l’auberge. Contrairement à ses compagnons de voyage, Ogan n’a pas eu l’occasion de devenir un marchand aux services de la citadelle.

L’humaine fit une pause avant de conclure.

— Ogan leur a beaucoup parlé et, d’ici un mois ou deux, nous aurons peut-être la chance de nous installer là-bas, nous aussi.

Se réjouissant de leur éventuelle réussite, Caevanne se demanda cependant ce que pouvait en penser Thilas.

La jeune elfe n’eut pas le temps d’y réfléchir davantage, Jolianne l'interpellait de nouveau.

— J'aurai maintenant une proposition à te faire.

Caevanne attendit sans comprendre.

— Tout à l’heure, je t’ai observé pendant qu’il parlait et tu n’avais pas l’air d’aller très bien. J’imagine que les derniers jours n’ont pas dû être faciles pour toi mais je pense que tu dois passer à autre chose, je pense que ta vie est ici maintenant.

Jolianne s'arrêta, elle la regardait droit dans les yeux.

— Je vais t’apprendre notre langue.

Un sourire se dessina sur les lèvres de la jeune elfe.

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