Chapitre 2 : Le Favori de la Reine, Partie 2

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Les runes gravées sur cette dernière s’illuminèrent alors d’un éclat doré, et l’ascenseur décolla aussitôt vers le ciel. Il n’y avait pas d’escalier central desservant tous les étages de la tour royale (bien qu’il en existe tout de même un bon nombre reliant directement certains étages entre eux). La navigation verticale se faisait donc principalement grâce à ces ascenseurs magiques, disséminés à des endroits stratégiques de la Lance. Cela permettait d’économiser un espace non négligeable… que la reine s’était empressée de garnir de statues d’elle et de sa famille, quand ce n’était pas des fresques épiques relatant ses exploits.

Au bout de quelques minutes, la plateforme s’immobilisa devant des portes de verre qui s’ouvrirent comme par magie. Le cœur battant la chamade, je parcourus aussitôt le grand couloir qui s’étendait devant moi pour aboutir à une grande antichambre remplie de monde, juste devant les massives portes dorées de la Salle du Trône. Elles étaient gardées par une escouade de shinobis armés de lances noires et de boucliers, et dont les tenues étaient rehaussées par des armures argentées. La reine tenait une audience privée. C’est pourquoi sa cour, quémandeurs comme simples courtisans venus flâner aux palais, attendait dehors.

Avec un air de mépris pour ces nobles nosferatus que je considérais comme toujours bien inférieurs à mon statut, je me suis frayé un chemin à travers la foule pour arriver devant les portes dorées. J’ai ensuite donné mon nom au héraut royal positionné près des gardes, lettre de Sa Majesté à l’appui. Ce dernier s’empressa de se faufiler entre les portes massives pour avertir Némésis de ma présence.

Je sentais les regards et les murmures hostiles dans mon dos, mais ils ne firent rien de plus que me soutirer un sourire amusé. Qu’ils complotent autant qu’ils veulent contre moi : dans quelques minutes, la reine me recevrait en privé, pendant que ces misérables attendraient dehors.

C’est alors que j’aperçus du coin de l’œil un homme adossé au mur, le regard sombre tourné vers le sol. Contrairement aux autres nobles, parés des vêtements les plus riches et discutant avec animation en groupe, ce dernier était seul, comme moi… mais avec des vêtements de cuir complètement noirs, sans aucuns ornements et d’une neutralité consternante pour un seigneur vampire. A vrai dire, sa tenue tenait plus du mercenaire que du noble. Néanmoins son aura était sans erreur celle d’un puissant nosferatu. Il avait des cheveux blonds coiffés vers l’arrière, et arborait une petite barbe soigneusement taillée qui irritait grandement la noblesse vampire (la barbe étant perçue comme la marque des plébéiens sans dignité). Son regard, obstinément baissé vers les motifs dessinés par le marbre, semblait apathique, comme si toute cette richesse qui l’entourait l’écœurait profondément.

Mon sourire s’agrandit. Voilà qui allait tromper mon ennui en attendant le retour du héraut royal ! Sans hésiter, je fendis la foule pour venir me planter devant lui. Le nosferatu releva les yeux avec curiosité… avant de changer immédiatement d’expression quand il croisa mon regard.

  • Comte de Solaguna ! m’exclamai-je d’un ton joyeux. Quel plaisir de vous revoir !
  • Le plaisir n’est pas partagé, Comte Sanglant, rétorqua froidement mon interlocuteur.
  • Oh ne dites pas ça… Entre indésirables, nous devons nous serrer les coudes, non ? ironisai-je en balayant mes semblables nosferatus du regard. Toute cette bande d’incapables nous déteste, nous jalouse… ils nous envient notre position et rêveraient de nous voir tomber en disgrâce…

Reportant mon attention sur mon interlocuteur qui m’ignorait délibérément, je continuais d’un ton perfide :

  • Ceci dit, je peux comprendre leur jalousie à votre égard : un ancien esclave qui devient le favori de la reine… Beaucoup seraient prêts à tuer pour un tel honneur ! Et j’avoue que je ne serais sans doute pas le dernier à me salir les mains…

Malgré mon sourire et mon ton amusé, je ne plaisantais absolument pas. Si beaucoup de nosferatus enviaient ma position, moi… j’enviais celle de Jorenn Aleyran. Et j’aurais été clairement prêt à tuer pour être à sa place.

Ancien esclave servilis devenu gladiateur, il s’était très vite hissé au rang de champion incontesté de l’arène d’Adamas, où Némésis aimait à organiser des jeux sanglants en son honneur, évènements oh combien appréciés par la noblesse vampire qui n’hésitaient pas à acheter leurs propres gladiateurs et à parier des fortunes sur les combats, par pur plaisir. Si nombre de combattants étaient forcés de se battre dans l’arène et finissaient par y mourir, certains se démarquaient du lot et gagnaient en réputation. Ils devenaient parfois si populaires et si riches grâce aux cadeaux dont les couvraient leurs fans nosferatus, que certains avaient même pu racheter leur liberté. Ces anciens esclaves constituaient une sorte de sous-catégorie privilégiée de servilis : sans être les égaux des nosferatus, ils ne dépendaient pas d’eux et vivaient très confortablement grâce à leur popularité, profitant de cette dernière pour vendre leurs services aux plus offrants.

  • Vous êtes libre d’essayer… me répondit alors le Comte de Solaguna en soutenant mon regard sans crainte. Cela, bien sûr, si vous n’avez pas peur d’affronter quelqu’un de votre taille, pour une fois… Contrairement à vos esclaves, je sais me défendre.

Un ricanement amusé m’échappa. Pour l’avoir vu combattre, je devais admettre que Jorenn Aleyran était probablement l’un des meilleurs champions qu’Adamas ait jamais vu. Il y a deux-cent-cinquante ans, l’ex-gladiateur était au sommet de sa gloire, adulé par toute la noblesse tel un dieu de l’arène. Il aurait pu combattre encore quelques années, racheter sa liberté et se retirer libre dans un appartement confortable de la capitale. Mais Jorenn Aleyran n’avait pas envie d’une existence paisible… C’était un idéaliste qui désirait briser les chaines de l’esclavage... et il était suffisamment charismatique pour convaincre les autres gladiateurs de se rebeller, entrainant avec lui un nombre conséquent d’esclaves servilis à travers la ville.

Les esclaves en fuite, talonnés par les shinobis de Némésis et ses nosferatus, avaient pu atteindre le port sous-marin et les vaisseaux qui leur auraient permis de regagner la Surface, loin du Royaume Submergé. Mais réalisant que la plupart d’entre eux risquaient de mourir avant d’avoir pu s’échapper, Jorenn Aleyran et une arrière-garde de gladiateurs avaient décidé de combattre les shinobis pour les empêcher d’accéder aux quais pendant que les autres s’échappaient à bord des vaisseaux volés. Ils avaient tenu en échec les shinobis pendant plusieurs minutes, permettant ainsi à nombre de vaisseaux de s’échapper… jusqu’à l’arrivée des nosferatus.

La puissance et la magie des vampires nobles avaient balayé la résistance de l’arrière-garde, laissant le champ libre aux soldats de Némésis qui foncèrent sur les esclaves encore sur les quais, les massacrant sans pitié. Cependant il s’était alors produit un événement insolite qui allait choquer toute la noblesse vampires. Dans le chaos du massacre, Jorenn Aleyran s’était retrouvé en duel avec l’ancien Comte de Solaguna. Entre un servilis même robuste et un puissant nosferatu doté de magie, l’issue du duel ne faisait normalement aucun doute. Et pourtant… Jorenn l’avait remporté en décapitant son noble adversaire.

De mémoire de vampire, c’était la première fois qu’un servilis arrivait à vaincre un nosferatu en duel… Un véritable exploit, qui mettait cependant à mal la suprématie de la noblesse vampire dans le Royaume Submergé. Capturé avec une centaine de rebelles ayant échappé au massacre, Jorenn avait été conduit devant Némésis. Tous les nobles s’attendaient à ce que la reine fasse un exemple de ce servilis qui avait osé commettre l’impardonnable. Et pourtant quand Jorenn Aleyran lui fut présenté enchaîné mais toujours aussi rebelle, au pont qu’il la maudit et cracha à ses pieds devant toute la noblesse vampire, Némésis… éclata de rire. Elle fit décapiter tous ses camarades pour l’exemple, et planter leurs têtes tout autour de l’arène. Quant à Jorenn Aleyran, elle en fit un puissant nosferatu et lui offrit le comté de Solaguna pour l’anoblir… ainsi que l’accès à sa chambre. C’est ainsi que Jorenn Aleyran, un misérable esclave servilis, devint l’un des plus puissants nosferatus du Royaume Submergé, et le favori de la reine.

  • Calmez-vous mon ami, lâchai-je en levant les bras d’un air théâtral. Ce n’était rien de plus qu’un trait d’esprit. Je n’oserai pas bien sûr abîmer le jouet préféré de Sa Majesté…

Un éclair de colère passa dans le visage de mon interlocuteur, qui se redressa d’un coup en serrant les poings… à ma plus grande satisfaction, ravi que j’étais de l’avoir piqué au vif.

En effet ce qui m'avait toujours stupéfié, c’est que malgré la puissance et les privilèges que lui avait accordés Némésis (enviés par plus d’un nosferatu…), Jorenn Aleyran n’avait absolument aucune loyauté envers elle. Il se pliait certes au moindre de ses désirs avec célérité… mais les regards de haine qu’il lui jetait, le ton de sa voix quand il lui parlait et jusqu’à la façon dont son corps se crispait quand Némésis était près de lui, ne laissaient aucun doute quant à l’aversion profonde qu’il lui portait. Ce n’était un secret pour personne dans la noblesse vampire que le favori de la reine la haïssait malgré tout ce qu’elle lui avait offert… Néanmoins la haine de son amant ne semblait qu’attiser l’intérêt que Némésis lui portait.

Quant à savoir par quel moyen la reine s’était-elle assurée de sa docilité, lui qui ne rêvait que de mettre fin à son règne… le mystère restait entier. Cependant force était de reconnaître (à ma plus grande irritation) que même si Jorenn Aleyran haïssait Némésis, il semblait au moins lui donner satisfaction : généralement, les favoris royaux étaient rapidement remplacés suivant ses caprices… Et pourtant cela faisait maintenant plus de deux siècles que Jorenn était son favori principal, sans que la reine ne semble se lasser de lui… A mon grand désespoir.

  • -J’voue que je ne comprends toujours pas comment l’amant de la plus belle femme du monde peut paraitre aussi… déprimé, ai-je repris, continuant de piquer mon rival avec l’espoir qu’il me provoquerait peut-être en duel, me donnant ainsi l’occasion de le tuer en toute légitimité. Si j’étais à votre place…
  • Sauf que vous n’êtes pas à ma place, Comte Sanglant, me coupa Jorenn avec un bref sourire des plus irritants. Je suis peut-être le jouet de Némésis… mais je ne suis pas son chien qu’elle envoie à travers le monde accomplir ses quatre volontés, et qui revient ramper à ses pieds en quémandant une caresse.

Mon sourire se figea, tandis que ce fut à mon tour de serrer les poings. Me penchant lentement vers lui, je lui murmurais à l’oreille :

  • Profitez-en tant que cela dure... Vous n’êtes rien de plus qu’un caprice pour Sa Majesté. Elle apprécie pour l’instant de vous avoir en son pouvoir parce que vous la haïssez. Mais viendra le jour où elle se lassera de vous. Et ce jour-là…
  • Ce jour-là, je me réjouirais d’être enfin libéré de ses griffes. Vous semblez croire, Forlwey, que je partage votre obsession maladive pour les faveurs de Némésis… alors qu’en réalité elle m’indiffère.
  • Voyez-vous ça, ironisai-je. L’esclave qui se croit trop bien pour la Reine de la Nuit… On aura tout vu ! Sa Majesté a beau s’amuser de votre « excentricité »… la marque au fer rouge que vous et vos semblables arborez dans le dos ne ment pas : malgré le titre et la puissance que vous détenez aujourd’hui, vous resterez toujours un esclave. Draper un porc dans de la soie n’en fera pas un prince pour autant. Vous ne serez jamais notre égal, parce que vous n’avez pas une once de véritable noblesse en vous…
  • Vous pensez que la noblesse s’affiche avec un titre, Comte Sanglant, répliqua Jorenn avec hauteur. Moi je pense plutôt qu’elle se prouve par les actes ; et ce n’est certainement pas en abusant des plus faibles que vous en serez digne. C’est une chose que vous, Némésis et les autres nobles du Royaume Submergé, êtes encore incapables de comprendre. Vous méprisez les esclaves… mais ce sont eux qui font tourner ce royaume. Que serait la richesse des nosferatus, dites-moi, si les servilis n’étaient pas là pour l’amasser ? Si les esclaves sont des porcs à vos yeux, Comte Sanglant… alors cela fait de vous des sangsues incapable de faire quoi que ce soit tout seul, et tout juste bons à survivre en parasitant les autres.

J’ai serré encore plus fort le poing pour me retenir de le coller dans la mâchoire de mon interlocuteur. Jorenn Aleyran avait du répondant, je devais bien l’admettre : alors que j’escomptais le pousser à m’attaquer pour pouvoir lui régler son compte, c’était en réalité lui qui était sur le point de me faire perdre le contrôle de mes nerfs ! Or si c’était moi qui l’agressait, je subirai la colère de Némésis… car s’attaquer au favori royal, c’était s’attaquer à la reine. Si je voulais le tuer, il me fallait une raison légitime pour justifier mes actes… et la jalousie n’en était pas une.

Alors que je dévisageais Jorenn avec un sourire méprisant tout en m’imaginant lui arracher ses yeux pour les faire ravaler en même temps que ses insultes… les portes de la Salle du Trône s’entrebâillèrent de nouveau pour livrer le passage au héraut royal. Les conversations dans l’antichambre se turent aussitôt.

  • Sa Majesté va recevoir le Comte Forlwey d’Abyssombre ! annonça-t-il d’une voix forte.

Je sentais dans mon dos les regards et les murmures envieux de mes pairs, jaloux de mon crédit auprès de la reine. Sans me départir de mon sourire, j’esquissais alors un salut plein d’ironie à l’intention de Jorenn Aleyran.

  • Veuillez m’excuser, Comte de Solaguna, déclarai-je d’une voix moqueuse qui cachait assez bien l’irritation que j’éprouvais à l’égard de mon interlocuteur. Sa Majesté requiert ma présence pour discuter d’une affaire d’Etat de la plus haute importance. Je suis sûr qu’elle vous mettra dans la confidence… si elle l’estime nécessaire.

Se disant, je me détournais de lui pour me présenter devant la Salle du Trône.

A suivre...

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