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Service cantonal de la population, route de Chancy, mardi 2 octobre 2018, 11h30
La BMW X6 noire montait sur la rampe de la route de Chancy. Sur les voies du tram. Sirène enclenchée. Amir Bendi, trouvait maintenant la situation tout à fait excitante. Il s'en passait des choses dans sa vie depuis vendredi, qu'il pourrait raconter aux copains, impressionner des meufs, et en emmener encore plus dans son lit!
Voilà maintenant qu'il fonçait dans une superbe voiture de flic, sirène allumée en compagnie de deux inspecteurs ! C'était comme dans une série sur Netflix ! C'était vraiment trop cool ! Il était assis à côté de la superbe inspectrice, à l'arrière. Il se demandait d'ailleurs pourquoi elle n'était pas devant, à la place du mort. Peut-être pour le surveiller? Quand même, on ne sait jamais. S'il chercherait à s'échapper ? Pas de risque. Fuir une compagnie aussi excitante ? impossible ! Il en profitait d'ailleurs pour se rincer l’œil : ses jambes étaient bronzées, la jupe noire, en position assise légèrement en arrière dans le cuir de la BM, montait quelque centimètres au-dessus des genoux. Amir s'imaginait la suite et eu un début d'érection. Son chemisier, il faisait très chaud pour un début octobre, était déboutonné de trois boutons. Discrètement, il essaya de voir un bout de poitrine. Mais Alice Noît ne portait pas de tenue provocante.
Amir avait un étrange sentiment. L'inspecteur Pfäfi et l'inspectrice Noît étaient-ils en couple ? Non. Apparemment. Mais cependant, Amir, qui avait un sixième sens pour détecter les désirs sexuels des êtres humains, ressentait une alchimie de l'ordre érotique entre les deux inspecteurs. Il avait nettement l'impression que les deux pouvaient et désiraient, secrètement, coucher ensemble, mais qu'ils se l'interdisaient. Sans doute étaient-ils déjà en couple chacun de leurs côtés. Ceci pouvait expliquer cela. Quel dommage, quel gâchis de ne se réserver que pour une personne ! C'était la philosophie d'Amir : la vie est trop courte pour ne manger que d'un râtelier ! Il avait 23 ans ! Hors de question et d'intérêt pour lui de chercher à construire une relation durable même si parfois, certains jours, une certaine amertume planait au-dessus de lui et s’incrustait dans son être. À chaque rupture, en fait. Mais la solution était toujours la même : une autre relation, nouvelle, éclipsant l'ancienne, et la vie redevenait excitante, pleine de saveur, que l'on croque à pleines dents, sans se soucier du passé et de l'avenir. Amir se fit alors philosophe : il vivait l'instant présent, voyons ! Et tout lui souriait ! Mais une meuf lui avait fait la remarque, un jour, de rupture, que la vie n'était peut-être pas faite pour aller tout le temps dans le sens que l'on souhaite, et qu'il était facile de faire l'apologie de l'instant présent lorsqu'on s'arrange pour que celui-ci ne regorge que de choses qui nous conviennent ! Autrement dit, qu'Amir trichait. Il s'était sentit mal. Un peu plus que d'autres fois, après d'autres ruptures, mais avait finit par retrouver une meuf qui ne s'embarrassait pas de philosophie.
Personne ne parla durant le trajet, extrêmement court il est vrai, Genève était une petite ville. Hans gara sa voiture sur le bord du trottoir, devant le service cantonal de la population. Il éteignit la sirène. Des gens s'était arrêtés, curieux de ce remue-ménage. Tous les trois descendirent du véhicule et entrèrent par la porte-tambour.
- Alors, est-ce que vous pouvez nous désigner la personne qui vous a servit le jour où vous avez déposé votre demande pour le poste de l'Hôtel-de-Ville, demanda Hans.
Amir passa devant les guichets, parcourant du regard les employés, suivit par Hans et Alice. Au quatrième guichet il s'arrêta. À voix basse, il désigna à Hans la femme d'une quarantaine d'année qui y officiait. Cheveux court, fausse blonde, des lunettes à monture brun foncé. Elle ne semblait pas savoir que le sourire participe grandement à rendre les journées moins longues.
Elle servait actuellement un jeune homme, gringalet, l'air peu rompu à l'exercice de la confrontation à un bureau administratif. La guichetière ne s'en émeut guère et balança d'une voix forte au jeune homme qu'il devait aller au troisième étage, au guichet trois avec le formulaire rose G3. D'une voix si forte que Hans et Alice qui se trouvait pourtant en retrait, auraient put s'y rendre à sa place.
Le jeune gringalet partit donc, direction l'ascenseur, et Hans s'incrusta.
La guichetière s'en offusqua :
- Vous n'avez pas de numéro, monsieur ! Vous devez prendre un ticket à l'entrée, fit-elle, sèche et sans sourire.
Hans sortit sa carte de police :
- Inspecteur Pfäfi, vous pouvez appeler le responsable, s'il vous plaît ?
Ses yeux s'allumèrent d'un coup ! Et, elle sourit ! Hans en avait déjà fait l'expérience. Il y a des gens qui ont peur, sont intimidés par la police. Et d'autres à qui la vision d'une carte d'inspecteur de la police criminelle crée une excitation. C'était le cas de notre employée désenchantée.
Trois minutes plus tard, celle-ci s'était fait remplacer à son guichet, et répondait dans un bureau du deuxième étage aux questions de Hans et Alice. Et même d'Amir.
- Alors, je vais être honnête avec vous, dit-elle à Amir. Je trouve effectivement pas normal que vous ayez eu ce poste à l'Hôtel-de-Ville ! Je connais des gens, des genevois, de votre âge, avec autant de compétences que vous qui auraient souhaité avoir ce poste. Maintenant bon. Moi je parle fort, c'est comme ça ! Je fais ça avec tout le monde...
- Nous nous en sommes rendus compte, se permit Hans.
- Ah bon ? fit-elle légèrement gênée tout de même.
Hans lui sourit :
- Oui, vraiment ! dit-il.
Caroline Frank, c'était son nom, en eut les joues rosies.
- Maintenant, ce qui m'intéresse, c'est plutôt de savoir si vous avez remarqué quelqu'un, ou quelque chose au moment où vous avez traité le dossier d'Amir Bendi. Un petit détail inhabituel?
Caroline regarda le bureau, s'avança sur la chaise. Elle réfléchissait.
- ça ne date pas d'hier, inspecteur, tout de même !, fit-elle l'air embêtée.
- Je sais mais bon, des fois...
Madame Franck se tâtait. Comme si elle avait vu quelque chose.
- Dites toujours, fit Alice cette fois. Il vaut mieux trop en dire que pas assez...
La guichetière se redressa :
- Alors bon. Je me rappelle que monsieur Bonnetière...
- Monsieur Bonnetière ! s'exclama Hans.
- Oui. Jérôme Bonnetière travaillait ici à l'époque. Il a été muté à l'emploi au mois d'avril.
Hans et Alice furent un peu abasourdis par cette nouvelle.
Madame Franck s'en étonna :
- Oh mais c'est tout à fait normal. Régulièrement il y a des rocades dans les postes à responsabilités de l'état. Heureusement d'ailleurs. Et franchement je ne suis pas surprise que c'est une femme qui l'a tué, Jérôme ! Si vous saviez...
- Mais nous vous écoutons, fit Alice.
- Hum...les hommes réfléchissent avec la queue, dit-on. Et monsieur Bonnetière en avait trois, j'ai l'impression ! Il a couché avec presque toutes les filles du service cantonal de la population, et sans doute que c'est juste le temps qui lui a manqué pour en faire de même à l'office cantonal de l'emploi...
- Pardon mais....vous.....vous avez aussi couché avec lui ?, demanda alors Alice.
Hans n'aurait pas osé.
Caroline Franck fut légèrement prise au dépourvu, mais sans être trop gênée. Elle répondit avec une certaine fierté même :
- Oui, j'ai couché avec lui une fois. Je suis pas canon, je le sais, mais il a quand même bien voulu de moi. Mais c'était pas un bon coup, mademoiselle, vous n'avez rien raté...
Alice sourit :
- Oui, je m'en doute un peu. Qui trop étreint, mal embrasse...Mais revenons à ce que vous disiez. Qu'a t-il fait ?
- Il est venu me voir au guichet un quart d'heure avant mon repos de midi, et m'a demandé les dossiers pour le poste de responsable multimédia de l'Hôtel de Ville, et à ce moment-là, j'ai remarqué un couple, debout au guichet d'à côté qui était fermé. La femme m'observait. Lui était sur son natel. Et je me rappelle que je me suis demandée ce qu'ils foutaient là. Ils n'avaient pas pris de tickets apparemment. Et puis bon. Ici, il n'y a rien à faire si tu prends pas ton ticket.
- Ils vous ont dit quelque chose ? demandé quelque chose ?, fit Hans.
- Non. C'est moi qui leur ai demandé si je pouvais les renseigner sur quelque chose !
- Et....
- Ils m'ont dit que non. La femme était assez souriante, plus que l'homme, un peu renfrogné, elle m'a souhaité une bonne journée, je me rappelle.
- Vous pourriez faire une description physique ?
- Hum....alors...la seule chose dont il me semble me souvenir, c'est qu'ils portaient tous les deux des bonnets. Il faisait assez froid, on était au mois de janvier.
- Et l'âge ?
- Oh...entre quarante et cinquante ans, je dirais.
Hans avait sorti son carnet et notait les informations que madame Franck venait de lui fournir.
- Et vous avez trouvé bizarre que monsieur Bonnetière vienne chercher expressément les candidatures pour le poste à l'Hôtel de Ville ?
- Non. Ça arrive. Justement pour l'Hôtel de Ville. Il arrive que la chancelière veuille les consulter. En fait, pour les postes de l'Hôtel de Ville, ce n'est pas tellement nous qui décidons, enfin, monsieur Bonnetière avant, et monsieur Durand maintenant. Je crois que le conseil d'état a son mot à dire. Et là, je pense vraiment, bon, je peux me tromper, mais je crois que pour ce poste de responsable mul-média, la chancelière devait être très concernée...j'ai entendu dire que la chancelière est vraiment super, que c'est quelqu'un qui en veut. Et c'est la première fois qu'une femme est à ce poste... !
- Oui, la première fois, confirma Alice.
Mais tout d'un coup, Caroline ouvrit grande la bouche en :
- Mais j'y pense, fit-elle en tendant les bras vers le plafond. Il y a une caméra de surveillance, au-dessus des guichets!
- Les images de vidéo-surveillance ne sont conservées que 72 heures au maximum. C'est la loi qui oblige à ensuite les détruire, expliqua Hans en soupirant.
- Ah bon....c'est bête ça !
- Oui, sourit Hans.
- Mais c'est la loi, et c'est bien comme ça, fit Alice. Les sociétés ultra-surveillées, j'suis pas pour !
- Ouais, moi aussi, fit Amir qui osa tout d'un coup ramener sa fraise.
Il était resté tout le long de l'interrogatoire à se demander à quoi il servait. Il avait désigné Caroline Franck. Et c'était tout ce qu'il avait pu faire. Et lui dire qu'il avait été gêné. Pour se faire sèchement remballer. Par ce thon qu'était Caroline Franck. Tout cela était moins excitant qu'auparavant , et Amir commençait donc à en avoir marre.
Cela tombait bien. Car pour Hans et Alice, il n'y avait pour l'instant pas grand chose de plus à discuter avec Caroline Franck. Ils lui laissèrent tout les deux leur carte, et puis rejoignirent la BM devant l'entrée principale. Les feux bleus étaient toujours enclenchés. Hans avait oublié de les éteindre.
- On vous dépose ?, demanda l'inspecteur en s'adressant à Amir.
Celui-ci refusa. À vrai dire, il avait envie de se retrouver un peu seul.
- C'est comme vous voulez, répondit Hans.
Alors les deux inspecteurs montèrent dans la grande et haute voiture de Hans et repartirent vers le commissariat.
- On mange un morceau ?, demanda Alice.
Sur le tableau de bord, l'heure s'affichait :
- 12h30 ! Eh ben oui, t'as raison Alice, c'est l'heure de manger !, fit Hans en rigolant.
- Alors tourne à droite là ! Y a une pizzeria excellente là ! La petite vendée.
- Ok ! Alors on tourne à droite.
- Hans, tu trouves pas que c'est compliqué de parquer ta grosse bagnole ?
Il allait lui répondre lorsque une place se libéra juste devant le restaurant.
- Eh ben non. Pas trop, tu vois, fit-il en souriant.
Mais il sentit qu'Alice avait quelque chose contre sa BMW X6. Et elle le lui fit savoir à l'instant :
- Tu sais, j'ai toujours eu de la peine avec les BMW...
- Tu sais que ta Mini...c'est une BMW en fait...
- Oui je sais, mais à la base, c'est une Mini quand même...
- Mais la marque Mini a été rachetée par BMW...
- Oui je sais, mais c'est quand même pas vraiment une BMW...
- Mais c'est quoi ton problème avec les BMW ?
- C'est une marque que je trouve arrogante ! Voilà ! Et toi tu n'es pas du tout arrogant ! Alors je trouve bizarre que tu roules en BMW ! Et en plus, dans la plus arrogante des BMW ! La X6 ! On dirait qu'elle a été faite pour écraser les autres usagers de la route !?
Hans, qui avait fini son parcage, avait enlevé la carte qui permettait de démarrer et d'éteindre la voiture, regardait Alice avec perplexité. Et en même temps, il devinait :
- Ouais... je crois que je vois ce que tu veux dire. Elle est un peu grosse...
- Pas un peu grosse, elle est obèse ! corrigea-t-elle.
Hans ne comprenait pas tout à fait pourquoi il percevait, s'il percevait juste, une petite colère chez la jeune femme. Ce n'était finalement qu'une histoire de voiture. Tous les goûts sont dans la nature, non ?
- En fait, tu trouves que cette voiture ne me va pas. Qu'elle ne correspond pas à ce que je suis, c'est ça ?
- Ouaips ! T'as compris, Hans, fit-elle en souriant cette fois.
- Mais peut-être que tu ne me connais pas vraiment. Et pour ce qui est de travailler ensemble, cela se fait depuis vendredi.
Il compta sur les doigts :
- Vendredi, samedi, dimanche, lundi, mardi : cinq jours !
Elle rit :
- Ouais ! Cinq jours !
- Et au bout de cinq jours, tu veux me faire changer de voiture !?, rigola Hans.
- Oooh mais non ! Tu peux la garder ta grosse bagnole d'arrogant, tant que tu ne le deviens pas !
Hans ne put s'empêcher :
- Ah les femmes ! fit-il.
- Ouaips ! Les femmes ! dit-elle en lui souriant franchement.
Ils entrèrent dans le restaurant.
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