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Vendredi 23 novembre 2018, 16h30
Sylvie Delcourt entra dans l'allée de l'immeuble. Elle remercia son garde du corps.
- Mais qu'est-ce qu'il a encore commandé, Jean ? s'exaspéra-t-elle quand elle vit dans la boîte à lait un colis Netclick plutôt volumineux.
Mais elle le prit quand même, il n'était d'ailleurs pas si lourd, après avoir glissé le courrier du jour dans son sac. Dans l'ascenseur, elle regardait le colis. Ils avaient du s'y prendre à deux fois pour l'emballer, coller l'adresse, comme en attestait l'état du carton. Une partie du papier orange et beige avait été déchiré, laissant apparaître la couleur brune du carton. Elle vérifia l'adresse, le nom. C'était bien pour elle. Ou plutôt Jean. Elle ne commandait que des dvds, des livres, essentiellement en format de poche. Jamais quelque chose qui nécessite un carton si volumineux.
Quelques instants plus tard, debout à la table de la cuisine, Sylvie Delcourt, à l'aide d'une paire de ciseaux, coupait le large scotch transparent qui fermait le colis Netclick. Jean lui toucha l'épaule et l'embrassa sur la joue. Il avait été si discret que sa femme sursauta légèrement.
- Alors, c'est toi cette fois qui a commandé quelque chose ?
- Non. Mais c'est mon nom qui est inscrit dessus. Normalement c'est toujours le tien, non ?
- Oui mais il se sont peut-être trompé ? Ouvre ! c'est quoi ?
Jean devenait parfois légèrement enfantin quand il y avait des paquets à ouvrir. Sylvie le soupçonnait de commander autant de choses sur internet, il était accro à internet, en partie du moins pour le plaisir de recevoir des paquets et de pouvoir les ouvrir. Mais Sylvie l'admettait : tout le monde, quasi, aime le moment où l'on ouvre un paquet. Pour découvrir ce qu'il contient. C'est toujours une surprise même si l'on sait ce que c'est. Même si l'on sait qu'il s'agit du dernier livre de Joël Dicker, on ne sait pas encore, même si on a vu l'image du produit sur l'écran d'ordinateur, comment il est vraiment et ce que ce sera de le tenir dans les mains. Sylvie était intarissable là-dessus. Rien au monde ne remplacerait le livre sur papier. La sensation que l'on peut avoir au touché, lorsque l'on tourne les pages, l'odeur du papier et surtout, par-dessus tout, le plaisir de lire un livre sur papier était incomparablement supérieur à l'épouvantable et fatigante consultation d'un livre sur écran.
- C'est un cadeau ? fit Sylvie, étonnée.
Une lettre avec le logo de Netclick remerciait Sylvie Delcourt pour tous les achats qu'elle effectuait sur leur site. Le texte disait que cette fidélité méritait récompense. Sylvie tenait la lettre dans ses mains, tandis que son mari ôtait le plastique qui recouvrait le cadeau. Sylvie ne comprenait toujours pas pourquoi la lettre lui était personnellement adressée alors que leur compte client chez Netclick était au nom de son mari. Pour une erreur c'était une erreur qui n'avait pas de logique.
- Une paire de jumelle ! s'écria Jean presque émerveillé.
Oui, pour ce qui était d'ouvrir des paquets, il retrouvait une partie de son enfance semblait-il.
- Des jumelles, s'étonna Sylvie. Quelle drôle d'idée ?!
- Non mais. Sylvie, tu sais comment ça marche. Il se retrouve avec un gros stock d'invendus, sûrement de l'été dernier, et il décide de s'en débarrasser comme ça, en se faisant au passage une belle pub....c'est comme ça que ça marche. Une autre fois ce sera un mixer de table peut-être... !
Jean avait prit les jumelles et enlevait le film plastique qui l'entourait. Sylvie ne s'intéressait pas aux jumelles, et était de plus en plus perplexe en relisant la lettre.
- Il fait encore jour. Allons tester l'objet, fit Jean en partant en direction du salon.
Les Delcourts habitaient en attique, et avait une très belle vue sur les toits de Genève et pouvait même s'enorgueillir d'un petit bout du lac. Sylvie regardait le carton. C'était un emballage Netclick, il n'y avait aucun doute là-dessus, avec ses couleurs beige et orange et le logo. Mais ils avaient du s'y prendre à deux fois comme elle l'avait déjà relevé dans l'ascenseur. Elle prit le plastique qui avait servit à emballer les jumelles et que Jean avait laissé sur la table. Cela ressemblait à du simple film alimentaire. Normalement, Netclick emballait les articles délicat dans un sac en plastique à bulle d'air, et parfois elle ajoutait des bouts de sagex avec lesquels Sylvia adorait jouer. Ici, dans le carton, d'autres bouts de plastique, de simple sachet roulé en boules. Mais peut-être que le service qui s'occupait des envois de cadeaux n'avait pas, du moins ce jour-là, le matériel adéquat. Mais vu qu'il s'agissait de cadeaux, il réduisait les coûts, sans doute. Sylvie sortait les plastiques du carton en pensant à Jean qui allait sûrement revenir d'un instant à l'autre en vantant les mérites des jumelles. Peut-être même qu'il en avait profité pour céder à des penchants de voyeurismes ? Au fond du carton se trouvait un autre papier blanc. Sylvie le voyait apparaître à chaque fois qu'elle piochait dans les boules de plastiques, les écartant. Non. Sylvie en était convaincue maintenant. C'était bien la première fois que Netclik leur envoyait un paquet aussi négligé. Et ce n'était pas logique. Même les explications de Jean ne parviendraient pas à lui ôter cette idée : c'était pas logique et pas normal de la part d'une entreprise comme Netclick, la number one de la vente en ligne au monde ! Quelque chose était écrit sur le papier au fond du carton. Et le rythme cardiaque de Sylvie Delcourt s'accéléra soudainement. Et ce fut frénétiquement qu'elle sorti les derniers plastiques. Et du fond du carton, Sylvie Delcourt reçu, telle la plus grosse baffe qu'elle n'avait jamais reçue, la réponse à son questionnement étonné, débuté il y a cinq minutes, au moment où elle avait sorti le carton de sa boite au lait :
Netclick ne lui avait jamais envoyé de cadeau !
Sylvie hurla le nom de son mari comme jamais elle n'avait hurlé. Et Jean lui répondit simultanément. Par un cri qui n'exprimait aucun nom, aucun mot, juste une terrible douleur. Et Sylvie courut. En une seconde elle fut dans le couloir. Elle y trouva Sylvia, accourue elle aussi, apeurée pas les cris de son père.
- Va dans ta chambre ! invectiva sa mère.
Sylvia obtempéra sans se faire prier. Puis, Sylvie rejoint son mari au salon.
Et sa vie si impeccablement organisée s'écroula.
Jean était debout, face à la fenêtre, ses deux mains devant ses yeux, l'espace d'une fraction de seconde, elle crut qu'il tenait toujours les jumelles.
Et Sylvie hurla de nouveau. Encore et encore. Elle tomba à genou.
Par terre, à côté de Jean, l'objet qui causait tant d'extrêmes émotions : une simple paire de jumelle, qui possédait toutefois, une bien particulière particularité : à l'endroit où l'on pose ses yeux pour observer de plus près quelque chose de lointain, sortaient deux pointes, pointues, fléchées, en croix, en métal. Sur chacune d'elle, du sang et des morceaux des yeux de Jean Delcourt.
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