Sion, 16 janvier 2019, 11h00

- Alors là où j'habite, c'est un peu compliqué à trouver. Je pense que c'est mieux que nous nous donnions rendez-vous dans un café. Je vous propose le Grotto de la Fontaine à 11h00.

C'est ainsi que Ehril Renard, au téléphone avec Hans, avait organisé les choses.

Et c'est donc ainsi que Hans et Alice pénétrèrent dans le Grotto de la Fontaine à 11h02. Restaurant tout en longueur. Décor moderne, peinture verte qui choqua Alice. Il n'y avait que deux clients, pour l'instant. Assis au fond, le fils du premier mariage d'Elena leur fit signe. Il était coiffé à la tondeuse et portait une courte barbichette. Un T-shirt de métalleux. Une veste en cuir brun. Des lunettes à fine monture métallique.

- Alors vous avez postulé, il y a à peu près un an, pour un poste de concepteur multi-média à l'Hôtel de ville de Genève, c'est bien ça ? demanda Hans.

- Ouais, c'est ça.

- Mais votre candidature n'a pas été retenue.

- Ouais, c'est ça.

Le serveur déposait trois tasses de café sur la table.

- Vous sortiez de l'école des arts appliqués de Genève avec un CFC de concepteur multi-média. Vous aviez eu une expérience professionnelle de trois ans dans une entreprise de communication sur internet à Founex, au bord du lac léman. Ça ne vous a pas dérangé de ne pas avoir le poste?

- Pffuit...ouais...je sais pas trop. De toute façon, je l'ai pas eu. C'est comme ça. Dites-donc, vous êtes bien renseignés !

- Je suis professionnel. En fait ça vous était un peu égal, le poste?

- Ouais, c'est ça.

Alice souriait légèrement. On la sentait à deux doigt de rire. La désinvolture d'Ehril, elle trouva ça un peu comique. Elle demanda:

- Vous connaissez "E" ?

Ehril eut un petit éclat de rire:

- Non non. Jamais entendu parler. Non mais, je déconne. On ne parle presque que de ça depuis des mois.

- Oh, je pense que c'est un peu en train de se calmer...fit Hans.

- Ouais, parce que vous trouvez rien...

Hans et Alice se regardèrent. Lui un peu énervé, elle plus philosophe.

- On va dire que c'est pas facile, dit-elle, diplomate.

Ehril posa sa tasse de café, et questionna à son tour :

- Mais vous avez voulu me voir parce que j'ai postulé et pas eu le poste ? Vous allez voir tous ceux qui ont postulé ?

- Non pas tous, répondit Alice.

- Que vous ! fit Hans, avec une pointe d'ironie.

- Pourquoi que moi ?

- Parce que vous êtes le fils d'Elena Pericolo, qui est une grande amie de la conseillère d'état Elizabeth Page. Voilà pourquoi, fit Hans.

- Ah oui ! Je comprend mieux. Alors oui, moi je m'en foutais un peu, parce que en fin de compte je ne sais pas trop si j'ai vraiment envie de travailler dans le milieu informatique. Mais ma mère, par contre, elle était très fâchée que j'aie pas le poste. Surtout qu'elle a sut que c'était un frontalier qui l'avait eu...

- Elle l'a su par Elizabeth Page, l'interrompit Alice.

Ehril Renard était intelligent. Il fit des grands yeux. Eu un grand sourire. Et éclata de rire :

- Non mais !? Vous croyez que ma mère c'est "E" !!??

Hans regarda dehors, puis Alice avec un sourire narquois et ironique.

Elle se mit à rire. Tout d'un coup elle eut l'impression que l'enquête sur l'affaire "E" était une vaste mascarade. Que en Suisse, on n'était pas habitué à ce genre de criminalité. Que en Suisse, quand ça dépassait les affaires de cols-blancs, les crimes passionnels, les dépassements de vitesse sur les routes, on avait atteint notre degré d'incompétence.

- Non, fit-elle dans un éclat de rire, nous ne pensons pas que votre mère c'est "E".

Hans ne riait pas. Lui. Tout cela l'énervait. Il n'était même pas satisfait d'avoir raison. Il était exaspéré de cette perte de temps, d'argent aussi. Le voyage en train, c'était au frais du contribuable. Mais Ehril temporisait, tout d'un coup. Comme s'il trouvait l'histoire amusante.

- Mais c'est vrai que dans un sens, ma mère pourrait être "E". Elle est très remontée contre les frontaliers...

- Elle n'est de loin pas la seule, fit Alice.

- Ouais, mais elle est coriace quand même, ma mère. Elle est très sèche, pas de pitié.

Hans s'énerva :

- Tirer à l'arbalète, saboter les freins, manier la cyanure, créer une paire de jumelle démoniaque...

- Mon beau-père est un très bon bricoleur...

- Le prof de math ?

- Ouais...le prof de math.

Hans était coi :

- Vous iriez jusqu'à supposer que votre mère, avec la complicité de son mari soit "E" ??!!

Ehril soupira :

- ...non...évidemment non. C'est juste que ça m'amuse de l'imaginer. Je me fais mon petit film. Eh mais...sérieux, questionner ma mère sur les frontaliers, vous allez voir, elle va vite monter dans les tours...

Hans abandonna. Et changea complètement de sujet :

- Mais en fait, c'est vous qui me livrez des légumes ?

- Oui. ULTRA-BIO c'est moi. Et mon père. Et sa copine. Et des ouvriers évidemment.

- Eh ben merci, en tout cas.

Hans pensa que s'il avait mangé une pomme ou deux en tout et pour tout de ce que Ehril lui avait livré, cela devait être tout.

- En tout cas, on voit la différence avec les légumes qu'on achète en magasin, mentit-il.

- Oh ben...c'est les mêmes en principe...

- Oui mais ils sont pas ultra-bio...

- Ouais, ils sont pas ultra-bio, c'est sûr...vous voulez pas manger ?

On mange super bien ici. Hans regarda l'heure sur son portable : 11H45.

- Qu'est-ce que t'en penses Alice ?

- Oui. Bonne idée. J'avais déjà regardé un peu la carte...

Ils commandèrent à manger. Pâtes pour Alice, pizza pour Hans et Ehril.

- C'est original votre prénom, fit Alice. Ehril, c'est pas courant. J'ai jamais vu...

- C'est ma mère qui a trouvé...

- Elle a de l'imagination, votre mère !

- Ouais...j'en ai plus qu'elle...

- Ah bon ?

- Ehril, à l'origine ça s'écrit sans le h...

- E-r-i-l... ?

- Ouais...j'ai rajouté le h. Ça fait plus stylé, je trouve...

Hans buvait du rouge.

- Excellent, ce vin...

Ehril s'étonnait :

- Mais vous pouvez boire en service ?

- Je ne suis pas vraiment en service. Vous n'avez rien à avoir, pour moi, avec l'affaire "E". Donc je suis ici en visite de courtoisie. Et en plus, je suis en train...

- Ben oui. Au retour il veut qu'on s'arrête pour rendre visite à son oncle , à Montreux ! ajouta Alice.