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Montreux, 16 janvier 2019, 17h00
- Viens! On prend le taxi, Alice. C'est sur les hauteurs de la ville!
Hans marchait vite. Alice devait presque courir pour le suivre. Ils sortaient de la gare. Un taxi était là. Libre !
- Chemin du Réchon, 1, s'il-vous-plait, fit Hans.
La voiture prit la route à têtes d'épingles serrées qui montait, serpentait en direction de la maison de l'oncle Théodor.. Souvent, deux véhicules ne pouvaient s'y croiser,
- En été c'est beaucoup plus beau, se crut obligé de préciser Hans.
- Je sais, Hans. Je connais la région...
l lui sourit.
- Oui. Mais tu vois comme je connais bien le coin. J'ai l'impression d'être chez moi ici. Tu comprends mieux pourquoi je parle sans accent...?
- Ouaips!
Ils arrivèrent devant la maison de l'oncle de Hans. Une maison jaune sur deux niveaux. Mignonne comme tout! Entourée d'autres maisons, toutes différentes. La densité des habitations était forte. Mais le dénivelé de la pente l'était aussi et assurait une vue phénoménale à chacun. Tel les sièges des rangées pentues d'un opéra permettent à chacun, même le dernier rang, de voir ce qui se passe sur la scène . Et, même un jour gris comme aujourd'hui, l'après-midi le temps s'était couvert, la vue était imprenable. Les montagnes en face. Le lac. La ville de Montreux. On avait l'impression de pouvoir voir jusqu'au bout du lac Léman. Plus tard dans la soirée, parlant de ce panorama, Théodor affirmerait, presque sans plaisanter, qu'il ne savait pas s'il avait épousé Suzanne Bécors pour la maison qu'elle avait hérité de ses parents et donc pour cette vue fantastique, à nul autre pareil au monde, ou pour Suzanne Bécors. Celle-ci ne s'en ému guère , et semblait penser que cet argument pour s'unir pas les lois sacrés du mariage était tout-à-fait valable et viable.
Hans avait demandé au chauffeur de taxi de rester. Il ne ferait pas long. Juste histoire de saluer l'oncle Théodor. Celui-ci arrivait. Soixante-cinq ans. Cheveux gris. Démarche énergique.
- Ahhh Hansi! Quel plaisir de te revoir! Je me demandais si tu allais trouver le temps de me rendre visite? Ou si t'étais trop occupé avec cette satanée affaire « E » ?
Hans ouvrit ses bras et les deux s’empoignèrent vigoureusement. Alice trouva la scène belle. Une véritable complicité, un véritable amour semblait lié les deux hommes.
- Eh ben comme tu peux le voir, « E » me laisse finalement le temps de te rendre cette visite.
Avant d'entrer dans la maison, Alice s'émerveilla, malgré l’obscurité naissante, du magnifique jardin en escalier et de sa pergola qu'enlaçait, emprisonnait une vigoureuse végétation.
Pour finir, Hans renvoya le taxi, l'oncle Théodor promit qu'il ramènerait les deux inspecteurs à la gare. A bord de l'ancienne Mercedes grise parquée devant la maison. Hans et Alice restèrent manger. Une raclette excellente. Alice fit également connaissance avec la femme de Fritz : Suzanne, née Bécors, une femme du pays du Lavaux. 63 ans et aussi en forme que son mari. Théodor avait rencontré Suzanne lors d'un séjour linguistique sur les bords du Léman. Manque de pot, ou plutôt le contraire, le jeune hommes d'alors avait fait une mauvaise chute lors d'une promenade dans les vignes du Lavaux. Et avait du être emmené à la permanence médicale de la Riviera à Vevey. Et là, il était tombé sur Suzanne Bécors, et en était tombé raide amoureux ! Et Alice en était persuadée. Elle voyait très bien, Suzanne Pfäfi assise en face d'elle, que cette femme toujours belle pour son âge, avait du tous les faire tomber comme des mouches, les hommes, lorsqu'elle avait vingt ans ! Et Théodor en parlait encore, de la chance d'être tombé sur Suzanne, et qu'elle ai bien voulu de lui, comme s'il avait gagné au loto ! Avec en prime la vue sur le lac et les montagnes ! Ce fut une magnifique soirée. Alice apprit plein d'anecdotes sur Hans. Certaines que Hans auraient préférer oublier. Mais il finit par en rire avec toute la tablée.
Il fut minuit moins quart lorsque Théodor se décida finalement à amener les deux convives à la gare. Histoire de ne pas rater le dernier train. À minuit moins trois, Hans et Alice prirent congé de l'oncle de l'inspecteur et pénétrèrent dans la gare. Lorsqu'il virent que le train pour Genève était annoncé partant à l'instant, ils se mirent à courir. Las. Une fois monté l'escalier roulant en courant, ils virent le train qui s'ébranlait sur les rails. Hors de question de faire comme au cinéma. S'accrocher à la portière. Alice s'écria :
- Merde ! On a loupé le train.
Hans semblait plus philosophe :
- Y a plus qu'à prendre un hôtel...
Alice était visiblement agacée :
- Un hôtel ! À Montreux ?! C'est combien pour une nuit ?! Hors de question pour moi de faire passer ça pour des frais d'enquête, Hans. Ah merde ! Ça me fait chier de payer 200.- pour un hôtel de luxe...
- Il n'y a pas que des hôtels chers à Montreux !
- Alors trouves-en moi un !
Hans sourit et se mit en marche. Alice suivit. En sortant de la gare, il prit la direction bord du lac. Alice ne put s'empêcher :
- Tu es sûr que c'est par là, les hôtels « pas trop cher » ? fit-elle, ironique.
- Oui. J'en connais un où j'ai toujours rêvé passer une nuit, et je suis sûr que c'est un des moins chers qui existe sur toute la riviera...
Alice eut un léger éclat de rire :
- ...un des moins chers SUR la riviera....nuance !
Ils continuèrent de marcher et arrivaient au bord du lac. Un vent frisquet rendait Alice d'encore plus mauvaise humeur.
- Donc, à moins de 200.- la nuit, t'oublies ! ajouta-t-elle en fermant le haut de son manteau.
Ils passèrent devant le Parc & Lac Hôtel, un instant elle cru que c'était à celui là que Hans pensait, il ne paraissait pas autant luxueux que les autres. Mais Hans continua. Ils arrivèrent devant le Montreux Palace et Alice réitéra toutes ses réticences et son incompréhension :
- Non. Hans. Ça c'est hors de question. Et quand j'y pense, tu ne t'es pas trop inquiété pour que ton oncle nous amène à la gare, ne me dit pas que tu avais ça derrière la tête....
- Non, Alice, calmes-toi. Je n'avais rien derrière la tête.
Ils dépassèrent le monstrueux Palace. Un peu plus loin, se dressait l'Eurotel. Un triangle de quinze étages, avec terrasse panoramique sur le toit. La démarche de Hans se ragaillardi. Alice devina. Le voilà le fantasme de Hans !
- Alors Hans, je déteste faire ça, mais il faut que tu me paye une partie. Parce que ça ! Ce n'est PAS un des hôtels les MOINS chers de la riviera. Et c'est TOI qui veux aller là-dedans. Moi, je m'en fous ! Un deux étoiles miteux dans les « bas-fonds » de Montreux, au cas où cela existe, me suffisait amplement...
- De toute façon c'est moi qui paye !
- Tu payes ? s'étonna Alice.
Et du coup, sa voix baissa d'intensité. Elle en eut un peu honte, à vrai dire. Comme si, le simple fait de savoir qu'elle ne payerait pas un centime pour une nuit à l'Eurotel de Montreux, changeait toute la donne. Et que du coup, elle n'était pas si contre que cela de tester un hôtel de luxe. L'idée lui plaisait même carrément !
- Non mais, tu n'es pas obligé de tout payer, dit-elle alors, plus douce.
- Je paye tout. Je l'ai décidé. C'est tout. Dès que j'ai vu le train qui partait, j'ai vu cet hôtel qui me fait rêver depuis mon enfance.
Ils arrivèrent devant l'Eurotel. Il jetèrent tous les deux un regard en haut de l'immeuble avant d'entrer. Pour le luxe, c'était évidemment le luxe. A l'accueil, ils apprirent qu'ils y avaient trois chambres libres. Alice aurait souhaiter connaître les tarifs, mais Hans lui emboîta le pas :
- Nous prenons la 822, ce sera parfait !
Alice paniqua. Comment ça ?! Nous ne prenons pas deux chambres séparés ? Mais elle n'osa pas faire de scène. Vu que Hans payait, elle se voyait mal exiger une chambre simple. Si jamais, ils déplacerait les lits...se dit-elle.
- Alice, je suis désolé pour la chambre double, mais...ne t'en fais pas, je t'assure, je n'ai rien derrière la tête, lui dit Hans alors qu'ils se trouvaient dans l'ascenseur.
Alice lui sourit. Elle était sûr qu'il disait vrai. Ça se voyait dans ses yeux. Hans n'était pas Nicolas. Qui lui aurait jubilé, et ne se serait pas privé de l'afficher par un sourire XXL de satisfaction. En étant sûr que l'affaire était dans le sac, il allait se taper la bellissime Alice Noît ! Depuis le temps qu'il en rêvait. Et elle ne se trompa pas. Hans fut un modèle de galanterie, et d'attention pour que aucune gêne ne vienne ternir cette nuit dans l'hôtel le plus luxueux où Alice n'ait jamais mis le pieds. Même qu'ils ne purent séparer le double lit puisque que c'en était qu'un ! De deux mètres vingt sur deux mètres vingt ! Hans resta sur le balcon, malgré le froid, le temps qu'elle se prépare pour dormir. Elle lui envoya un sms une fois couché. Puis ce fut lui qui se prépara. Alice ne put s'empêcher de jeter un regard furtif sur son collègue quand il sortit de la salle de bain en caleçon. Elle devait s'avouer, que le bonhomme, mais ça elle l'avait déjà remarqué, était bel homme.
Le lendemain, Hans se leva tôt, s'habilla, et réveilla doucement Alice d'une petite tape sur l'épaule. Puis il descendit au restaurant. Tout cela, ils l'avaient déjà convenu et organisé la veille. Pour que personne ne soit dérangée dans son intimité.
Une demi-heure plus tard, Alice rejoignit Hans au restaurant du Eurotel. Le brouillard régnait en maître sur l'étendue d'eau douce. Le serveur leur annonça qu'il ne se dissiperait qu'aux alentours de midi. Alice avait complètement oublié sa mauvaise humeur d'hier soir, et affichait un magnifique sourire. Même qu'elle n'avait pas pu faire sa toilette dans les règles de l'art. Cette nuit à l'hôtel avait été complètement impromptue et elle n'avait donc pas sa panoplie habituelle pour se mettre en valeur. Comme si elle en avait véritablement besoin.
- Toi ! T'as besoin de rien, Alice ! le releva Hans. Même sans salle de bains pendant une semaine...
- Merci, Hans. Et merci pour cette nuit. Enfin...cette chambre d'hôtel dans un hôtel où jamais je n'aurais imaginer mettre les pieds.
Hans lui sourit à son tour.
- J'ai assouvi un fantasme, Alice. Je suis content. Car ça en valait la peine. Excuse-moi de t'avoir un peu pris en otage...
- Je ne me suis pas sentie prise en otage, Hans. Mais je dois dire que c'était la perspective de payer 200.- pour dormir qui me faisait un peu schmire...
Par curiosité elle ne put s'empêcher de demander combien cela avait coûté ? Tu n'as pas besoin de le savoir, lui avait-il rétorqué.
Il prirent finalement le train de 8h34. Toujours dans le wagon-restaurant. Et demeurèrent silencieux. Alice lisait le journal. Hans buvait un café. Le regard perdu sur la nappe blanche en tissue. Dans un état de profonde réflexion. Alice leva la tête et le vit. L'air absent, envahi de perplexité.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-elle. Il la regardait sans vraiment la regarder. Puis, tout-d'un coup ses yeux s'allumèrent. Et il dit :
- Et si Ehril était « E » !
Alice se montra fort surprise.
- Ehril « E » ?? T'as tourner la veste , Hans ? Pas plus tard que hier, tu étais persuadé du contraire...
- Oui...mais j'ai réfléchi. Beaucoup réfléchi !
- Je vois !
Il inspira profondément et expira bruyamment.
Se redressa sur son siège et commença son explication :
- Alors. Ehril Renard postule pour le poste de responsable multi-média à l'hôtel-de-ville. Il n'obtient pas le poste alors qu'il aurait tout-à-fait pu l'avoir. J'ai lu son CV, toi aussi. Reconnais que il n'y avait pas vraiment de raison que Amir Bendi soit engagé. Mise-à-part qu'il habite Annecy comme un certain...Jérôme Bonnetière !
- Hum, oui. Mais il s'est montré assez clair là-dessus. Il voulait changer d'orientation professionnel.
- Ah oui ! Comme ça ! Tout d'un coup ! Et je me lance dans les légumes... ??
- Peut-être qu'il voulait être avec son père ?
- Peut-être. Et peut-être qu'il est parti en Valais avec la rage au ventre. Peut-être qu'il s'est senti victime d'une injustice et qu'il a décidé de se venger !
Alice se montra plus intéressée. Hans poursuivit :
- Et depuis le Valais il organise les opérations. Il est dans l'informatique. Un jeu d'enfant pour lui de trouver les ramifications à la tête de l'office cantonale de l'emploi. Il apprend alors que c'est Amir Bendi qui a obtenu le poste. Et qu'il habite Annecy. Il sait que Jérôme Bonnetière est aussi d'Annecy.
- Et comment fait-il pour les amandes à la cyanure ? demanda Alice, pour mettre à l'épreuve la théorie de Hans.
- Il est doué! C'est un débrouillard. Quand il veut quelque chose, rien ne l'arrête !
- Oui, c'est vrai que il m'a l'air d'être assez débrouillard.
- Et je trouve qu'il s'est montré un peu trop détaché quand il parlait de son échec dans la postulation. J'ai l'impression que c'était pour mieux cacher qu'il n'était pas aussi indifférent que cela. Quand on veut faire passer sa vision des choses, on exagère toujours un peu, puisqu'il y a la volonté de donner une direction précise.
- Mais Hans, il a quand même été jusqu'à laisser entendre, presque , que sa propre mère pourrait être « E »...
- Oui. Et ça c'est génial, Alice. Encore une manœuvre pour détourner l'attention sur quelqu'un d'autre que lui-même. Et le faire sur la personne de sa propre mère est génial !
- Dis-donc, Hans. T'as une bonne perception des choses. De la psychologie des personnes...
- Oui. C'est vrai, Alice. Hans était fier de lui en cet instant.
Et il poursuivit son analyse :
- La moto ! Ma voisine a effectivement une ER6 noir. Mais ce n'était pas elle qui la conduisait le mercredi 3 octobre 2018 ! Mais son fils, Ehril !? À la base, c'était d'ailleurs sa moto. Ses parents l'on acheté pour lui. Puis il est parti en Valais, mais n'a pas gardé la moto...
- ...mise-à-part pour se retrouver à la hauteur de la voiture de George Pendal...Non mais, Hans, t'es un peu fou !? Et pour les jumelles ?
- Nous l'avons déjà dit, c'est un débrouillard...doublé d'un excellent bricoleur, va savoir. Ou alors il a un complice. C'est fort probable qu'il ai un complice...
- Sa mère ! s'exclama Alice avec un grand sourire.
Elle savait l'effet qu'il ferait.
- Alice ! Arrêtes ! Laisse cette Elena Pericolo tranquille. Elle n'a rien à avoir avec cette affaire. Crois en mon instinct !
Alice sourit, but une gorgée de café et demanda :
- Bien, Hans. Et maintenant qu'est ce qu'on fait ?
- On met Nicolas en filature sur Ehril Renard ! Pardi !
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