Vendredi 22 mars 2019, 21h00

Nicolas Vidon fut effectivement ravi. Pratiquer la filature sur la personne de la chancelière d'État était une activité très agréable. Il put se rendre compte qu'elle avait effectivement une certaine ressemblance avec l'actrice américaine Hillary Shawk.

Quant à savoir si elle pourrait être « E »? Selon lui, la probabilité était de l'ordre 0 sur 100. Très très faible donc. Mais il s'était bien gardé de faire part de ses doutes à Hans quand celui-ci était venu vers lui pour lui soumettre le job: filature 24h sur 24 d'Anna Guelpa de Widen ? Pas de problème ! La chancelière, il l'avait déjà repéré au début de l'enquête, une sacrée femme! Une beauté top classe, genre Alice Noît, la félinité en plus. Une sorte de sauvagerie sexuelle semblait l'habiter. Du moins c'était ce que pensait deviner Nicolas. Ou fantasmait. Ou espérait.

Il était assis dans sa voiture. Consultait son smartphone. Des vidéos sur Youtube. Des extraits de match de foot. Des extraits de film. Des vidéos de femmes plus ou moins vêtues. Et également un peu de porno. Pas trop tout de même, il était en service. Et puis, évidemment, il fallait surveiller à intervalle régulier l'entrée de l'immeuble d'Anna Paguel. Il en était à une scène où un homme faisait un cunnilingus à une splendide brune pendant qu'une blonde lui prodiguait une fellation, lorsqu'il eut envie de se masturber. Il faisait nuit. S'il s'y prenait discrètement, s'il faisait ça sous sa veste, personne n'y verrait rien. Même un passant à pied. Il défit sa ceinture et baissa sa braguette lorsqu'il du interrompre la séance d'onanisme, puisque la chancelière venait d'apparaître. Très bien habillée. Un superbe manteau noir, des bottes également noir, qui brillaient dans la nuit. Il entendait presque le bruit des talons sur le trottoir. Anna partit sur sa gauche. Nicolas était sûr qu'elle allait monter dans sa voiture garée cinquante mètres plus loin. La chancelière soignait son apparence, mais semblait se foutre littéralement du standing qu'une voiture pouvait allouer à une personne. Ou alors c'était pour faire genre : je suis écolo, je conduis une petite voiture, je m'en sers que très rarement. Par les temps qui court, dans le milieu politique, c'était du bonus.

Nicolas avait remballé sa marchandise, allumé le moteur, s'était désengagé de sa place et roulait lentement pour ne pas dépasser la chancelière qui montait à l'instant dans une petite renault twingo jaune avec des traces de rouille sur le bas de caisse.

Nicolas devina assez rapidement où est-ce qu'elle se rendait. À l'hôpital cantonal. Pourquoi ? Pour voir ou prendre des nouvelles de Patrick Cheland. En quelques minutes, elle avait rejoint l'entrée principale des HUG comme on l'appelait communément. Nicolas avait parqué sa voiture un peu plus loin, pour ne pas éveiller les soupçons de la chancelière. Il restait à une quinzaine de mètres. Prenait un air préoccupé. Pour ne pas montrer que ses yeux étaient rivés sur elle. Anna s'adressait à la réception. Elle demandait dans quel chambre elle pouvait trouver le conseiller d'État, la mine grave. Elle prit ensuite un couloir à droite. Nicolas avait du se rapprocher un peu. Il se disait qu'elle allait découvrir sa filature s'il n'arrivait pas à être plus discret. Il la regardait. Sa démarche, il entendait le bruit de ses talons, et puis, tout d'un coup, il eu un doute. Un terrible doute. Pourquoi la chancelière se rendait-elle à l'hôpital aussi tard, il était bientôt 22h00 !? Elle aurait largement eu le temps de faire cette visite en journée. Il le savait, puisqu'il la suivait depuis deux jours. Aujourd'hui, après avoir travaillé à l'hôtel-de-ville toute la matinée, elle s'était octroyée du bon temps. Avait passé l'après-midi à faire du shopping, il lui semblait que les bottes qu'elle portait ce soir, c'était cet après-midi qu'elle les avait achetées dans une boutique chic des rues-basses. Après les emplettes, elle était rentrée chez elle à seize heure trente et n'était plus ressortie. Jusqu'à ce soir à vingt-et-une heure passé. Nicolas se rappela le nombre incalculable de film où il avait vu le meurtrier se rendre à l'hôpital pour achever le travail, comme on dit. Alors ? Et si ? Lui, Nicolas Vidon se trompait complètement. Si Anna Paguel de Widen était bel et bien « E » ? Que Hans avait vu juste ?

Elle arrivait devant la porte de la chambre où Patrick Cheland était au soin intensif. Elle mis la main dans son sac, Nicolas mis le sien sur son arme de poing. Son cœur battait de plus en plus fort. Jamais, ne serait-ce que dix minutes plus tôt, il n'aurait pensé en arriver là. Si la chancelière était « E », il ne faudrait en aucun cas qu'elle entre dans la chambre. Elle venait apparemment de montrer une pièce d'identité au policier qui était de garde devant la porte. Celui-ci se levait et ouvrit la porte. Nicolas se mit à courir, en brandissant son arme et en criant : «  Police ! Ne bougez plus ! ».

Il arrivait devant la chancelière. Elle le regardait étrangement. Nicolas se rappelait que Hans et Alice avait relevé son apparente froideur quand à la situation de Patrick Cheland. Et là, il eut la certitude que la chancelière était « E ». Il le sentait. Cela transpirait de tous ses pores. Il le voyait dans son regard, ses yeux, des yeux de psychopathe, c'était clair. Il était extrêmement fier d'être celui qui allait mettre fin à ses agissements. Il voyait déjà les commentaires dans les journaux. Anna mis alors sa main une seconde fois dans son sac, tandis que Nicolas la tenait en joue. Elle n'eut pas le temps d'en extraire ce qu'elle voulait. Nicolas savait que ce devait être une arme et lui sauta littéralement dessus, la couchant par terre, la plaquant au sol. Elle ne criait même pas ! Une vraie psychopathe ! pensa-t-il de nouveau. Aucun remord ! Aucune émotion ! Ni pour les autres, ni pour elle-même. Elle avait tué plusieurs personnes, rendu infirme le mari de Sylvie Delcourt, et à cet instant, l'instant de son arrestation, alors que Nicolas était en train de la menotter, assis sur son dos, dans une position sexy, mais l'adrénaline lui empêcha d'avoir une érection, elle ne manifestait même pas la moindre émotion. Et le policier en uniforme ne comprenait rien. Il avait reconnu la chancelière. Tout le conseil d'État, ainsi que Anna Paguel de Widen, avait eu un regain de visibilité dans la population genevoise. Grâce à « E ». L'affaire « E ». Pas un jour où l'un ou l'autre n'apparaissait pas dans les médias, et souvent en première page. Donc, les genevois apprenaient de plus en plus à quoi ressemblaient ceux qui les gouvernaient. Mais le policier ne pouvait pas deviner que la chancelière était devenu le suspect numéro 1.

Nicolas se releva, tira Anna par le bras, l'obligea à s'asseoir sur la chaise devant la porte de la chambre de Patrick Cheland. Dans un geste brutal, agressif. Il y prit du plaisir. Puis, il sortit son portable, excité à l'idée de ce qu'il allait dire à Hans.

- Salut, c'est Nicolas ! J'ai arrêté la chancelière ! T'avais vu juste, Hans !

Un quart d'heure plus tard, toute la police genevoise, ou presque se retrouva aux HUG !

Il y avait Hans, qui avait battu tous les records en matière de conduite en situation d'urgence: six minutes pour parcourir les douze kilomètres qui séparait son studio high-tech de Sézenove entouré de bambous, son salon en cuir bleu dans lequel il se trouvait au moment de l'appel de Nicolas, une heineken à la main, et l'hôpital universitaire de Genève. Sirène hurlante évidemment.

Alice, pas mal non plus question conduite en état d'urgence : huit minutes !

Il y avait Franco Bernardi. L'air ahuri. Personne ne l'avait mis au courant de la filature sur la chancelière, qu'elle puisse faire partie des suspects. Avant d'entrer dans l'enceinte de l'hôpital, il avait craqué, et avait troqué ses chewing-gums à la nicotine contre une vraie bonne cigarette.

- Vous sentez la fumée, monsieur le procureur, lui avait dit Alice.

Franco changea de sujet de conversation :

- Où est la chancelière ?

Les deux s'était retrouvé à l'entrée et parcouraient les couloirs d'un pas rapide.

- On m'a dit de suivre les lignes bleues au sol, répondit-elle.

Nicolas n'avait pas bougé. Le service de sécurité des lieux l'avait rejoint, deux autres policiers également. Puis Hans avait débouler, très excité.

- Qu'est ce qui s'est passé ?

Hans était excité pour deux raisons. La première, une fierté qu'il estimait tout-à-fait légitime. Son sens de l'intuition avait encore fait mouche. Plus difficilement que d'ordinaire, il est vrai. Mais en face de lui , peut-être bien la plus grande criminelle auquel il avait eu affaire : « E » ! La deuxième, il allait pouvoir rentrer chez lui !

- Elle allait finir le boulot, Hans. Elle allait tuer Patrick Cheland !

- Qu'est ce qui t'a fait arriver à cette conclusion, Nicolas ?

Nicolas lui sourit, extrêmement satisfait de lui-même.

- L'heure, Hans. On ne rend pas visite à un malade un vendredi soir à 22h00 ! En plus, quand on est même pas de la famille...

Hans regarda la chancelière. Assise sagement sur la chaise. Un peu de sang avait coulé de sa bouche, le plongeon orchestré par Nicolas y était pour quelque chose. Hans fut surpris, de nouveau, par son calme apparent.

- Madame De Widen, comment comptiez-vous tuer le conseiller d'État ?

Elle sourit :

- Avec mon smartphone...

Nicolas expliqua :

- Je la tenais en joue, et elle a cherché quelque chose dans son sac. J'ai cru que c'était une arme...

- Je voulais juste prendre mon Iphone, pour immortaliser le ridicule de la situation. Votre collègue qui pointe son arme sur la chancelière d'État venu pour voir un ami dans le coma...

Hans s'agaçait.

- Quand un policier, où n'importe qui d'autre vous tient en joue, on ne tente pas ce genre de geste...madame ! Je réitère ma question : comment pensiez-vous , vous y prendre pour éliminer monsieur Cheland ?

Anna Paguel de Widen foudroya Hans d'un regard rempli d'une sorte d'intelligence saupoudré de malice, d'humour, et d'ironie. L'inspecteur s'en sentit mal.

- Monsieur Pfäfi...kon. Comme la ville en suisse-allemande...(le kon, elle le prononça à la française), je-ne-suis-pas-ve-nue-pour tu-er-le-con-sei-ller-d'-É-tat...mais pour rendre visite à quelqu'un pour qui j'éprouve de l'amitié, de l'amour même...vous comprenez cela ?

Alice arriva avec le procureur, avec, comme s'ils étaient à leur trousse, une ribambelle de policier en tous genres : des femmes, des hommes, des vieux, des jeunes, des blacks, des jaunes, des cafés au lait, en uniformes, en civils. Toute la police genevoise, comme nous le disions plus haut, ou presque.

Alice entendit juste Hans dire à la chancelière : «  C'est ce que nous verrons ! Allez ! Tout le monde au poste ! »