123
6 avril 2019, 10h00, Hôtel-de-ville
Jean- Pierre Lonfat caressait sa barbichette. Il avait des petits yeux. Ce qu'accentuait son regard à moitié fermé, ses paupières plissées, derrière ses lunettes à monture rectangulaire métallique. Comme s'il aurait souhaité ne rien voir. Mais le peu des yeux restant était plein de malice. Quasi meurtrière.
Un peu plus à sa gauche autour de la table ovale : Jean Walder. Sourire relativement détendu au vu des circonstances. Sur les huit personnes assissent dans la salle, les sept conseillers d'État et la chancelière, une seule soutenait le président du GdA: Freuli Abgunz. Le président du parti d'extrême droite genevois ne s'était évidemment pas caché d'être à l'origine des informations brûlantes parues dans la presse la veille.
- Bon, commença monsieur Lonfat. Ce qui est fait...est fait...
- ...et bien fait ! ajouta Freuli Abgunz, avec son accent suisse-allemand.
Sylvie Delcourt explosa :
- Mais vous vous foutez de notre gueule !
La cheffe du DIP détestait Jean Walder et haïssait mademoiselle Abgunz. Et elle déroula :
- Comment pouvez-vous tenir des propos pareils tous les deux ? dit-elle en regardant les deux GdA assis l'un à côté de l'autre, en face d'elle. Comment pouvez-vous manquer à toute la collégialité qui est la base de notre façon et manière de travailler, de fonctionner depuis des lustres ? Comment pouvez-vous vous permettre de faire cavaliers seuls au mépris de vos collègues et au mépris de la population ? Et comment est-il possible, mais cela est une question que je me pose à moi-même, que vous soyez assis autour de cette table, dans cette salle ? Je suis écœurée ! Et je pense que tous mes collègues, mes véritables collègues, abondent dans mon sens !
Jean Walder répondit, calmement :
- Nous sommes autour de cette table, parce que le peuple nous a élu pour y être.
Sylvie Delcourt eut un éclat de rire, qui sonna comme un éclat de verre brisé. Jean-Pierre Lonfat en eut le cœur serré. Il sentait dans ce rire désabusé, toute la douleur d'une femme à jamais meurtrie. Sylvie était la seule personne autour de cette table a porter les stigmates des actes de « E ». François Charmey (Patrick Cheland était toujours dans le coma), Nathalie Luck, et George Pendal n'étaient plus de ce monde. Sylvie l'était encore mais certains jours, elle l'avait confié au président du conseil d'État, elle aurait souhaitée ne plus l'être. Elle lui avait raconté, en pleurant, l'impression de dégoût, de vanité, d'absurdité de la vie qu'elle ressentait lorsque le soir elle voyait sur la table de chevet de son mari, le verre qui contenait les deux yeux de son mari.
- Hitler a aussi été élu par le peuple ! lança-t-elle.
Freuli Abgunz fut outrée :
- Je ne tolérerais pas ce genre de comparaison. C'est indigne de vous, mademoiselle Delcourt. Je vous rappelle que vous êtes cheffe du département de l'instruction publique.
- MADAME Delcourt, mademoiselle Abgunz. Je suis mariée, je vous le rappelle. Pas comme vous !
Jean-Pierre Lonfat intervint :
- On se calme, s'il vous plaît !
Sylvie n'en eu cure :
- Qui pourrait d'ailleurs vouloir de vous ?!
Elle espérait faire se lever Freuli Abgunz, qu'elle sorte de la salle, qu'elle puisse lui balancer un : « Oui ! C'est cela même ! Partez ! Et ne revenez plus ! ».
Mais Freuli n'en eut pas plus cure non plus des vociférations de la cheffe du DIP, et réitéra les mots de monsieur Walder :
- Le peuple, madame. Le peuple souhaite que je sois assis ici. Il a voté pour moi. Largement même.
Sylvie n'en pouvait plus. Elle se leva, et sortit de la salle.
Annotations
Versions