Amriswil, dimanche 7 avril 2019, 15h10

Hans buvait un café avec sa femme, dans le salon de jardin. D'humeur maussade.

Son smartphone vibra:

Séverine Mélisse.

Il accepta l'appel en se demandant si les nouvelles seraient bonnes ou mauvaises. Avec un net pressentiment pour la deuxième possibilité. Il ne fut pas déçu:

- Oui, Hallo, Hans.

- C'était Nicolas Vidon...

- C'était Nicolas Vidon ?

- Nicolas Vidon qui a cafté.

Hans se tut. Jeta un œil sur sa femme qui le regardait.

- Je l'ai viré de l'affaire.

- Vous l'avez viré ?

- Ne me dites pas que ça vous surprend !

- Euh...évidemment....non....c'est cela qu'il fallait faire...

- Vous avez une idée de la raison qui lui fait faire cette connerie ?

C'était tendu entre vous il paraît, demanda mademoiselle Mélisse.

- Tendu ?

- Oui. C'est lui-même qui me l'a dit.

- Euh...oui...on n'était pas toujours d'accord sur certaine choses...

- Sur quoi par exemple ?

- Sur ma voisine...

- Votre voisine ?

- Oui. Il croyait qu'elle pouvait être "E"...

- Votre voisine ? "E" ?

- Oui. Une absurdité.

- J'aimerais l'interroger. Numéro de téléphone, svp ! 

Hans regardait Klara, l’œil suppliant. Comme si sa femme jouait le rôle de la cheffe de la police genevoise.

Klara ne put s'empêcher de sourire.

- Alors c'est idiot, mais...en fait...je ne l'ai pas, son numéro...parce que...je n'ai aucune raison de l'avoir !

- Oui, effectivement...alors donnez-moi son nom, je trouverais le numéro.

- Elena Pericolo.

- Avec un "H", Helena ?

- Non. "E"...

- Merci. Vous rentrez ce soir ?

- Oui.

- Ok. Je vous tiens au courant. Ah, au fait, c'est Stéphane Schaeffer qui remplace Nicolas Vidon.

- Je prend note. Schaeffer.

Elle raccrocha.

Klara attendait des informations. Elle avait posé sa tasse de thé et regardait Hans.

- Alors ? demanda-t-elle.

Son mari buvait une gorgée de café:

- Alors ?! Alors Nicolas a été viré.

- Viré ?!

- Ouais. C'est lui qui a tout raconté à GdA.

- Nooonnn !?

- Si. Le plus drôle, j'y pense maintenant, c'est que c'est moi qui a insisté pour qu'il aille interroger un membre du GdA. Et ce qui est encore plus drôle c'est que c'est lié à toi !

- À moi ?

- Oui. C'est toi qui m'a suggéré d'utiliser la technique du hasard...

Klara fit une drôle de tête. Mélange de candeur et d'innocence.

- Tu te souviens pas. C'était au début de l'affaire "E". On était ici. Je crois même que c'était pile poil au même endroit, ici, dans le jardin. J'ai eu un téléphone de Alice me disant que Jean Walder avait amené la liste des membres de son parti, et c'est là que tu m'a touché l'épaule. J'ai mis le téléphone sur pause, et tu m'as dit de prendre des noms au hasard sur la liste...

- Ah ouuuiis...je me rappelle maintenant...

Hans lui souriait. Elle avait une assez adorable expression de petite fille prise en flagrant délit de quelque chose.

- Eh ben, figures-toi : j'ai suivit ton conseil.

- T'as bien fait... ?

- Eh ben, Nicolas s'est fait virer.

- Non mais c'est pas ma faute, tout de même !

- Mais non, c'est pas ta faute ! Je te charrie ! Mais toujours est-il que chacun des inspecteurs a mis son doigt sur des noms au hasard sur la liste, et puis, ensuite, ils ont été l'interroger. Sauf Nicolas. Il trouvait que c'était ridicule. Et moi, j'ai insisté. Plusieurs fois. En fait je vais être honnête avec toi, je n'y croyais pas non plus, mais ça m'agaçait qu'il n'obéisse pas à mon ordre. Et pour finir, il a été voir le mec, et je pense que c'est là qu'il a déconné. En partie pour me faire chier, je pense.

- Eh ben, il a pas gagné au change !

Hans soupira :

- Eh ben non, il a pas gagné au change. Ou alors il a fait un peu exprès...

Klara fronça les sourcils :

- Mais. Hans. Tu ne te fâches pas ?

Il finit son café. Soupira. Il faisait beau. Suffisamment chaud pour être dehors. Au soleil.

- Fâché. Oui. Je devrais l'être, Klara. Mais bon. C'est vrai que Nicolas avait le don de m'énerver...

- T'es déprimé, on dirait.

- Pffuit !...déprimé ? Un grand mot...non, je suis fatigué. D'ailleurs, je vais aller faire un petit somme avant d'y aller.

Et il se leva. Entra dans la maison. Dans la chambre à coucher. Chercha Alice sur son téléphone, et l'appela.

- Oui, Hans. Ça va ?

- Euh...ça pourrait aller mieux. Nicolas a été viré. C'est lui qui a tout dit à GdA.

- Putain ! Quel con !

- Ouais, j'te le fait pas dire. C'est Stéphane Schaeffer qui le remplace. Mais t'es où là ?

- À Orly. Je vais passer le contrôle de sécurité.

- Oui. J'entends beaucoup de bruit. J'ai une question, Alice. Pourquoi tu crois qu'il a fait ça, Nicolas ?

Une femme donnait les ordres : "Enlevez vos ceintures, chaussures, produits cosmétique dans un sac transparent. Avancez. Allez au poste 12."

Et Alice devait répondre dans ce brouhaha. Elle enlevait sa ceinture, ses chaussures.

- Écoute, Hans. Je raccroche et te rappelle dans 2 minutes...

- Ok.

Alice passa le contrôle de sécurité. Rangea ses affaires, et prit la direction de son café préféré de l'aéroport d'Orly. Situé en hauteur, avec une vue imprenable sur le tarmac. Alice adorait les avions, était fascinée par les avions, et ne se lassait pas de les contempler. C'était son petit côté garçon manqué. Un intérêt d'ordinaire masculin qu'elle avait fait sien. Elle s'installa dans un confortable fauteuil tout au bord de la paroi vitrée et commanda un cappuccino. En France, un cappuccino c'était plus supportable qu'un café. Et puis elle ressortit son samsung.

- Alors, Hans. Tu me demandais pourquoi Nicolas a fait ça ? La première chose que j'ai envie de te répondre, c'est que, parce que c'est un con. Mais bon. Je sais que la vie est un peu plus subtil que ça, non ? Alors je dirais que, je pense que Nicolas était de plus en plus frustré par la tournure des événements. Par l'enquête qui ne mène nulle part, par ton attitude....

- Il a quoi mon attitude ?

- On sent très bien, tout le monde le sent, que tu as de la peine avec lui. Et pas seulement parce que il te faisait chier avec ta voisine...

- Mais je ne comprenais pas qu'est-ce qu'il avait avec ma voisine...

- ...Attends, donc, laisse-moi finir, je pense qu'il a fait exprès. D'une part pour te faire chier, et d'autre part, plus inconsciemment peut-être, pour se faire virer. Ce que je peux comprendre, en fait. Il s'entendait de moins en moins avec toi, avec moi aussi, je dois l'avouer. Avec Abdel ça se gâtait aussi.

- C'était à ce point là ??!

- Ouaips, mon cher Hans ! À ce point-là. Donc, il a fait le nécessaire pour être muté ailleurs. Même que ça va entacher son dossier. Donc , dans un sens, je peux respecter, Hans. Respecter son choix.

- Hum...t'es sage, Alice, bien sage. Mais ma femme m'a fait la remarque que je suis même pas fâché contre Nicolas. En fait, je suis juste fatigué.

- Ouais. Moi aussi, Hans. Je suis fatiguée de cette affaire qui n'avance pas. Je suis fatiguée de faire le voyage de Paris tous les quinze jours...

- ça va avec Diae ?

Alice mit deux secondes pour répondre. Ce qui était déjà une réponse en soi.

- Ouuii. Ça va. Il est très pris par ses études en ce moment. Un peu inquiet. Alors c'est vrai, c'est un peu chiant de faire le voyage d'une demi-journée, pour voir quelqu'un qui n'est pas vraiment là, avec moi...et toi, ça va avec Klara ?

- Oui. C'est un peu tendu par moment. Mais ça va. Tu arrives à quel heure à Genève ?

- Si pas de retard, 20h30.

- ça te dirait d'aller boire un verre ?

- Mais toi ? Tu arrives à quelle heure ?

- Oh ben, je pars dans une heure de temps. Je serais aussi à 20h30 à Genève.

Alice se tâtait. Regardait au loin un A380 d’Air France qui rejoignait la piste d'envol. Incroyable cet avion, pensa-t-elle. Cependant, il donnait l'impression d'être plus petit que le 747 qui faisait le plein de kérosène juste à côté.

- Alors c'est oui ou c'est non ? demanda Hans.

- Ok, Hans. Volontiers. On se retrouve au bar de l'aéroport.

Hans fit une rapide sieste. Avala un sandwich pour la route. Embrassa Klara, Peter, et Frida. Caressa Bonko et prit le volant. Il était 17h05. Si pas de bouchons, il arriverait à l'heure à l'aéroport.