Chapitre 8 : “El lobo” - Herb Alpert & The Tijuana Brass

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Dans sa limousine, Gloria reprenait un à un les éléments de son plan avec Jason Finnley. Ils étaient en route vers la demeure d’Alejandro Vidal, avec qui l’avocat avait réussi à prendre rendez-vous. Officiellement, Vidal était à la tête d’un vignoble. L’adresse était située à Malibu, avec vue sur la mer.

Jason était très nerveux. Il avait beau avoir affaire à des criminels dans le cadre de son métier d’avocat, jamais il n’aurait imaginé se retrouver dans l’antre de l’un des plus dangereux chef de gang de Californie. Cette perspective lui rendait les mains moites, mais il veillait tout de même à rester impassible et ne surtout pas montrer à Gloria qu’il était terrorisé. Il regardait sa cliente, qui, elle, avait l’air tout à fait à l’aise avec la situation. Á moins que ce ne soit qu’une façade.

Ils longeaient la côte sur la Pacific Coast Highway et la riche héritière avait les yeux rivés sur l’océan. Ses consignes étaient claires : Jason devait la laisser parler, il pourrait intervenir uniquement lorsque Gloria le lui dirait. L’homme de loi n’avait pas l’habitude de se faire diriger ainsi, mais avec Gloria Rockwell, c’était différent.

La limousine s’engagea dans une allée bordée de haut palmiers des Canaries et arriva finalement aux imposantes grilles de l’entrée, gardées par deux hommes armés. Jason retint son souffle pendant qu’un des gorilles vérifiait leur identité et que l’autre parlait en espagnol dans son walkie-talkie. L’entrée du domaine leur fut accordée et les grilles s’ouvrirent lentement, laissant passer le véhicule.

La demeure de Vidal était une hacienda de luxe, au revêtement blanc et aux fenêtres en arcade. Elle était entourée d’un vignoble qui s'étendait sur les collines avoisinantes. L’extérieur de la maison était paré de palmiers et de buissons fleuris. Un parfum de gardénia flottait dans l’air, donnant une touche de douceur qui tranchait avec l’apparence brute des hommes de main du Jefe, armés et à la mine austère. Les gardénias, en pleine floraison, ainsi que les chants d’oiseau dans les arbres environnants, ajoutaient une dimension presque irréelle à cette scène, une beauté délicate dans un monde de violence et de pouvoir.

Un employé de maison, vêtu d’ une livrée impeccable, les pria de le suivre. Ils pénétrèrent dans la demeure par une lourde double-porte de chêne et traversèrent un patio paré de lauriers et d’orangers. Jason était bouche bée. Où qu’il pose les yeux, ce n’était que luxe et bon goût. Il regarda les œuvres d’art exposées dans le vaste hall d’entrée et il put identifier un portrait de Francisco Goya, ainsi qu’un paysage éclatant de Joaquín Sorolla. Ils montèrent à l’étage, parcoururent un couloir et passèrent une porte pour déboucher sur une grande terrasse. Celle-ci etait couverte d’une pergola dans laquelle s’entremellaient une vigne sauvage et une clématite, ponctuée de fleurs jaune pâle. Le maître de maison les attendait là, assis sur un siège en bois sculpté, qui faisait plus penser à un trône. Gloria regarda Alejandro Vidal. Il était d’une beauté insolente. La trentaine, les traits fins, la mâchoire carrée, il aurait pu aisément séduire n’importe qui. Mais il avait cette lueur dans les yeux. Ce genre de regard, elle l’avait déjà vu auparavant. Ceux qui avaient cette étincelle pouvaient se montrer d’une cruauté inhumaine. Elle connaissait la réputation de Vidal, et en le voyant, elle comprit tout de suite à qui elle avait affaire.

A côté de lui, telle une tour forte, se tenait un titan, qui devait être l’homme de main personnel de Vidal. Il devait approcher les deux mètres. Le contraste entre sa tenue, un pantalon classique assorti d’une chemise blanche et d’une cravate, et le tatouage de tête de mort qui recouvrait son visage mettait Jason très mal à l’aise. La chemise du colosse était tendue sur ses pectoraux puissants, et ses manches retroussées révélaient ses avants-bras massifs, recouverts de motifs à l’encre noire. Il toisait les arrivants sans expression particulière, ce qui le rendait encore plus mystérieux.

Vidal accueillit ses visiteurs avec un sourire discret, les toisant de haut en bas. Il fit un baise-main à Gloria et adressa un signe de tête à l’avocat. Ils prirent place autour d’une table basse chargée de pâtisseries colombiennes - obleas remplies d’arequipe, almojábanas dorées, merengones garnis de fruits frais - et d’une bouteille de vin. Jason regarda toute cette opulence et se dit que, finalement, le crime payait, et bien, de surcroît.

- Que me vaut le plaisir de votre visite ? demanda Alejandro à Gloria.

- Vous savez très bien pourquoi je suis ici, répondit l’héritière sans hésiter. Vos hommes sont venus me menacer dans ma propre maison, alors que la dette de Victor Aguilar a été intégralement remboursée. Vous semblez bien gourmand, monsieur Vidal. Mais comme je sais de quoi vous êtes capable et que je n’ai ni le temps ni l’envie d’attendre que vous mettiez vos menaces à exécution, je viens vous proposer un marché.

Jason resta immobile, pensant que Gloria était soit très courageuse, soit complètement folle pour parler à Vidal de la sorte. Celui-ci regardait Gloria pensivement, ses yeux étrécis par la surprise qu’on lui parle avec si peu de respect. Le géant, quant à lui, ne réagit pas, mais une esquisse de sourire se dessinait au coin de ses lèvres.

- Je ne vois pas trop de quoi vous parlez. Je produis du vin. Je pensais que vous veniez dans ce cadre. Vos allégations me semblent surréalistes. Vous dites que certains de mes employés vous auraient menacée…?

Gloria balaya la réponse de Vidal d’un éclat de rire.

- Vous m’insultez, monsieur Vidal. Votre réputation dans le “milieu” n’est plus à faire. Vous devriez éviter de poster des hommes armés sur votre propriété si vous voulez que votre couverture de vendeur de vin soit crédible… Arrêtons de jouer la comédie, voulez-vous ?

Un éclair de colère passa dans les yeux du Jefe. Il respira un grand coup et sembla reprendre contenance.

- Je ne suis pas un vulgaire “vendeur de vin” ! Là, c’est vous qui m’insultez. J’ai fait parvenir de Colombie un cépage secret et très ancien appelé “Sangre del Jaguar”. Un cépage rouge intense, presque noir, cultivé dans la Sierra Nevada de Santa Marta, offrant un vin qui évoque la puissance et la mystique du jaguar ! C’est un nectar d’une richesse et d’une rareté inégalée ! Rien à voir avec votre piquette américaine ! Mais vous avez raison, arrêtons de jouer. Sachez que lorsque je prends une décision, personne ne peut intervenir. Si j’ai envie de quelque chose, je le prends, c’est aussi simple que ça. Je pourrais vous écraser du pouce, si je le voulais. Néanmoins, j’admire votre courage. Vous avez de plus grosses cojones que certains de mes hommes… Qu’avez-vous à proposer ?

Gloria sourit d’un air satisfait.

- Pour commencer, j’imagine qu’il peut vous arriver, dans le cadre de vos “affaires”, de devoir vous défendre devant un tribunal. Je vous propose les services de mon avocat, qui est l’un des meilleurs de toute la côte ouest.

- Vous êtes mignonne, répondit Vidal, mais nous avons déjà un avocat. Je ne suis pas sûr qu’il soit heureux d’apprendre que vous essayez de nous débaucher.

- Quel que soit le prix qu’il vous demande, répondit Gloria, considérez que Maître Finnley, ici présent, vous défendra envers et contre tout à titre gracieux.

Jason émit un petit son de gorge et voulut manifester son désaccord, mais se ravisa vite sous le regard pesant de sa cliente.

- Je voulais dire par là que je payerai les honoraires de maître Finnley, corrigea Gloria.

- Je ne comprends pas bien, déclara pensivement Vidal après un court moment de réflection. Vous préférez payer grassement un avocat hors de prix plutôt que de nous donner de l’argent ? Permettez-moi de mettre en doute vos talents de femme d’affaire…

- Je n’ai pas fini, monsieur Vidal. Il se pourrait que j’aie besoin de votre équipe pour diverses tâches.

- Je ne tiens pas une entreprise de services à la personne, madame Rockwell, répondit Alexandro, qui commençait à s’impatienter.

- Vous n’y êtes pas, répondit Gloria. Je parle de protection, je parle aussi de différentes petites missions. Vous pouvez vous faire beaucoup, beaucoup d’argent. Entendons-nous bien, monsieur Vidal. Il ne s’agit pas de vous graisser la patte pour que vous me laissiez tranquille. Il s’agit d'une association qui nous sera profitable à tous les deux. Je pourrais avoir besoin de vos talents, talents que je ne possède pas. Même si ma mère a tenté de me protéger de certains individus malveillants qui voudraient profiter de ma renommée, je vois bien que mes systèmes de défenses ont des failles. J’ai de plus en plus besoin de protection.

- Pourquoi ne pas appeler la police, ou engager des gardes du corps ?

- Je hais profondément la police. Et concernant un éventuel garde du corps, il pourrait rechigner à exécuter certaines tâches nécessaires à ma protection. Je préfère la force brute et dissuasive, force que, de toute évidence, vous possédez, dit-elle en regardant le géant.

- Manolo est à moi, objecta Vidal. Il est mon homme de main personnel. je ne le prête à personne.

- Je ne cherche pas à m’approprier ce qui est vôtre, répondit calmement Gloria. Je suis sûre que vous avez d’autres molosses en réserve.

Vidal sembla réfléchir à la question. Après tout, il ne crachait jamais sur l’argent facile. Et puis, à la moindre occasion, il pouvait se débarrasser de Gloria - à sa manière. Mais il ne voulait pas lui donner l’impression d’être accessible.

- Je ne sais pas, j'hésite. Avez-vous conscience que si nous travaillons ensemble, vous basculez de l’autre côté de la barrière ? Vous risquez d’être accusée d’association de malfaiteurs. Je ne suis pas sûr que vous surviviez à la prison.

Gloria éclata de rire.

- Vous ne me connaissez pas, monsieur Vidal. Croyez-moi, j’ai connu pire que la prison.

- Entendons-nous bien… Je ne m’inquiète pas du fait que vous pourriez faire de la prison. Je ne veux simplement pas m’associer avec quelqu’un qui pourrait craquer à la moindre occasion et risquer d’aller parler à la police. Je n’aime ni les boulets, ni les balances. Qu’est ce qui me garantit que vous n’avez aucun contact avec les flics ? Qui me dit que tout ceci n’est pas un piège ?

Gloria prit son sac et fouilla dedans, ce qui fit se crisper Vidal, tandis que Manolo décroisa ses bras puissant, prêt à agir. L’héritière jeta deux grosses liasses de billets sur la table basse.

- Dix mille dollars. Considérez ceci comme un échantillon et une preuve de ma bonne volonté. Croyez-moi, les flics n’ont pas un tel budget pour tendre des pièges.

Une lueur de convoitise brilla dans les yeux d’Alejandro. Il regarda Gloria pensivement.

- Je dois y réfléchir, finit-il par répondre. Je vais vous demander de patienter dans le couloir, je vais en discuter avec Manolo.

Le géant se pencha pour entendre son patron lui parler à l’oreille pendant que Gloria et Jason quittaient la pièce. Ils patientèrent dans une partie du couloir aménagé en boudoir, meublé de sièges colorés et d’une bibliothèque. Une statue de jeune femme envelopée de drapés semblait les toiser dans le coin de la pièce, à côté d’une grande fenêtre qui laissait entrer la lumière de soleil.

- Vous auriez pu me dire à l’avance que vous voulez me faire travailler pour eux, protesta Jason.

- Du calme, mon chou, répondit Gloria, les yeux rivés sur son portable. Tu travailleras toujours pour moi, tu auras juste beaucoup plus d’affaires, tu devrais t’en réjouir…

Gloria vérifia ses réseaux sociaux, patientant que Vidal se décide. Elle ouvrit Instagram, parcourut un moment les publications auxquelles elle était abonnée, puis tomba sur LA photo. Elle était sur le profil de cet homme qu’elle suivait régulièrement. Que faisait-il avec cette fille sur la plage ? Qui était-elle ? Un sentiment d’agacement et de colère lui monta à la gorge.

La porte s’ouvrit de nouveau. Peut-être Alejandro avait-il pris sa décision.

- J’ai réfléchi à votre proposition. J'imagine que nous pouvons faire un essai. Mais si j’ai le moindre doute, le contrat est rompu. Avec de fâcheuses conséquences pour vous, évidemment.

- Evidemment… Vous ne serez pas déçu, répondit Gloria. J’ai justement une première mission à vous proposer…

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