Chapitre 19 : “Clint Eastwood” - Gorillaz
De retour chez moi, Vince et moi avons établi un plan d’attaque. Il fallait d’abord recueillir un maximum de témoignages et essayer de remonter la piste des ravisseurs de Liv. La difficulté était que l’enlèvement avait eu lieu, certes, en pleine journée, mais à une heure où la plupart de nos voisins étaient sur leur lieu de travail. De fait, à ce moment-là, il n’y avait, dans mon voisinage direct, que Vince et ce pauvre monsieur Kasinski. Son image me revint à l’esprit et je ressentis une pointe de culpabilité. Je l’avais envoyé balader quelques heures plus tôt, juste avant qu’il se fasse tuer, sans doute dans d’atroces souffrances. De plus, j’étais tellement obnubilé par la disparition de ma sœur que la mort de ce pauvre homme était passée au second plan dans mon esprit.
Nous étions en train de réfléchir à comment retrouver la trace des Machetes lorsque Vince eut une idée.
- Je sais ! Je connais un petit gars qui traîne souvent aux abords de la plage, du côté du centre sportif de Venice Beach. On va aller le trouver, il a peut-être vu quelque chose.
Quelques minutes plus tard, nous étions sur place, en train de chercher le jeune en question, un certain Marty Fleck. A cette heure de la journée, le parc était peu fréquenté. Quelques skaters slalomaient dans le skate park, effectuant des figures et faisant claquer les roues de leur planche. Un vieil homme promenait son chien et, plus loin, deux jeunes hommes disputaient un match de basket, transpirant sous ce soleil de plomb.
Vince repéra Fleck et se dirigea tout droit vers lui. Je fus incapable de lui donner un âge. Il avait la dégaine d’un jeune de vingt ans, mais il lui manquait une incisive et son teint cireux, ajouté à ses yeux cernés, lui en donnaient dix de plus. Son visage me disait quelque chose. J’avais l’impression de l’avoir déjà vu quelque part, mais impossible de savoir où, ni quand. Il portait une casquette “Bubba Gump” enfoncée sur ses cheveux gras, un cargo kaki et un t-shirt Ramones qui avait du être blanc, à une époque... On aurait dit que le mec avait été dessiné par Jamie Hewlett et qu’il allait apparaître dans le dernier clip de Gorillaz. Il était assis - enfin, plutôt avachi - sur un banc et regardait des pigeons d’un œil vide.
- Hey, Fleck ! le héla Vince. Comment ça va ?
- Vince, mon pote ! s’exclama le jeune homme d’une voix pâteuse. T’es toujours pas mort ?
Ils rigolèrent bruyamment en se tapant dans la main. Le vieil homme remarqua que Marty tenait un joint entre ses doigts.
- Mec… Tu devrais arrêter cette merde. Ça te fout le cerveau en l’air.
- Ouais, je sais… T’as raison, je devrais arrêter… C’est qui, monsieur Muscle ?
- Ah, je te présente Jake. Un pote.
J’ai adressé un signe de tête poli au jeune homme, un peu surpris que Vince me présente comme “son pote”.
- Enchanté, me dit Marty en me tendant aimablement la main. Vince est un super gars. Il a souvent aidé ma mère. Je le connais depuis que je suis tout petit.
C’est à ce moment-là que j'ai su où j’avais déjà vu son visage. C' était le portrait craché de Morgan. Je l’ai regardé et lui m’a lancé un regard du style “Ouais, je sais. Tais-toi”.
- Dis-donc, Marty, continua-t-il, tu peux nous aider ? On avait rendez-vous avec des potes qui devaient nous emmener voir les Rams, mais on était en retard et ils sont sans doute partis sans nous. Ce qui m’embête, c’est qu’ils ont les billets avec eux. Ils se baladent dans une camionnette noir, une Ford, je crois. Tu les aurais pas vu passer, par hasard ?
- Heu, ouais, justement… Je les ai vu parce qu'ils ont failli me renverser ! Ce sont des bâtards, tes potes !
- Ouais, je sais… Je dis toujours à Steve de conduire moins vite. Désolé, mec. Tu sais me dire dans quelle direction ils sont allés ?
- Ils sont partis sur Venice Boulevard, en direction de l’océan… Puis ils ont tourné à droite, sur Pacific Avenue.
- Mmh, ok, fit Vince, embêté. On a au moins une direction…
- Tu sais, ils sont peut-être allés au Lorna’s. Je crois avoir déjà vu leur camionnette là-bas. Elle a un autocollant sur la vitre arrière qui dit “Si vous savez lire ceci, vous allez avoir de gros problèmes”.
Vince blêmit.
- Chez Lorna ? Bon sang… Ok, on va aller voir de ce côté. Merci mec ! Tiens…
Il fila deux billets de cinquante dollars au jeune homme.
- Vince… Merci mec… t’es toujours si généreux..
Après avoir quitté Fleck, j’ai regardé Morgan d’un air entendu.
- Ouais, ça va… Sa mère et moi étions… assez proches. Mais à la naissance du petit, elle s’est remariée et n’a jamais voulu lui dire la vérité. Selon elle, son mec est bien plus stable et ferait un meilleur père que moi…
- Je ne suis pas d’accord. Vous avez l’air de bien l’aimer.
- Ouais… Bref. Il faut aller se coltiner Lorna maintenant…
- Une ancienne connaissance aussi ?
Il ne répondit pas. Mais à la tête qu’il faisait, je savais que l’échange avec Lorna ne serait pas de tout repos.
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