Chapitre 22 : “Perhaps, Perhaps, Perhaps” - Cake
Le soleil était couché depuis un moment déjà lorsque nous sommes arrivés, Vince et moi, au “Lorna’s”, à Topanga Canyon. C’était le genre de bar que j’évitais comme la peste. L’alcool y coulait à flots, ce qui démangeait mes vieux démons, même si j’étais sobre depuis plus de vingt ans. Je savais qu’il suffirait d’un verre, un seul, pour que je replonge. La faune locale - des motards aux barbes très longues et des filles aux jupes très courtes - baignait dans la lueur rose et bleue des néons de l’enseigne. Je connaissais ce genre d’endroit. On n’y venait pas pour papoter entre amis. On s’y rendait pour boire, jouer au billard, boire, se vider la tête, boire, et avec un peu de chance, distribuer des gnons dans une bonne vieille bagarre générale. Et boire. Cette ambiance et les effluves de bières qui parvinrent à mes narines me ramenèrent au “Cheval Noir”, le pub où je passais mes soirées, quand je me débattais dans une spirale d’autodestruction pour finalement déboucher sur une condamnation pour agression grave. Mais ça, c’était il y a une éternité, à l’autre bout du globe.
Lorna était une petite bonne femme, très dynamique, assez jolie pour son âge, qui devait avoisiner les soixantes ans. Elle arborait une crinière blonde et de faux cils plus longs que mon avenir. Vince m’avait prévenu qu’elle avait un caractère plutôt volcanique, ce que je pu constater en arrivant au bar derrière lequel elle sévissait. Elle était en train d’enguirlander un motard aussi épais qu’un building, qui baissait les yeux comme un petit garçon à qui on venait de mettre une fessée. Elle tourna la tête et nous vit, ce qui eut pour effet de jeter un froid glacial dans son regard.
- Vince Morgan !? Qu’est-ce que tu fais ici ?
- Lorna, susurra Vince, tu es toujours aussi belle que dans mes souvenirs !
- J’en ai plus rien à faire de tes discours. Dégage, avant que j’appelle Herbert.
- Herb travaille encore ici ? C’est génial !
- On verra si tu trouves ça toujours génial quand il t’aura cassé les jambes.
- Ecoute, Lorna. Je suis désolé. Je sais que j’ai été un véritable fumier avec toi. Mais j’étais tellement idiot à l’époque. Il n’y a pas un jour qui passe sans que je regrette ce qui s’est passé.
- Arrête de me jouer du violon ! Tu m’a brisé le cœur, espèce de … J’ai mis des années à m’en remettre !
- Ecoutez, intervins-je, je ne sais pas ce qui s’est passé il y a des années, et je suis vraiment désolé pour vous… mais nous sommes assez pressés et nous avons des questions à vous poser…
Elle sembla enfin remarquer ma présence et me toisa de haut en bas.
- C’est qui le beau gosse ? Vince, t’es de nouveau flic ?
- Heu non, répondit-il en me regardant avec un petit air de reproche. Je suis toujours dans le privé. Je te présente Jake Turner. Sa sœur s’est faite enlever et on s'est dit que tu pouvais nous aider…
Elle s’appuya sur le comptoir en me détaillant, sans doute pour faire crever de jalousie son ex.
- Et en quoi pourrais-je bien vous aider ? demanda-t-elle.
- Il paraît que tu as parfois la visite des Machetes dans ton bar ? commença Vince en se plaçant entre elle et moi.
Elle se ressaisit et dévisagea Vince. La Lorna fière et sans peur avait disparu, laissant place à une femme passablement inquiète.
- Holà, attends… Ça concerne les Colombiens ? Je ne veux rien avoir à faire avec eux. Ils sont trop dangereux !
- Tu n 'en as jamais eu ici ? On recherche des mecs qui se baladent dans un van, un Ford noir, avec un autocollant à slogan derrière.
- “Si vous arrivez à lire ceci, vous allez avoir de gros problèmes “ ?
- OUAIS ! C’est ça Lorna !
- C’est la caisse de Diego. Diego Lopez. S’il fait partie du gang, il est plutôt discret à ce sujet… Ça fait un moment que je ne l’ai plus vu.
- Tu sais où il vit ?
- Un jour il m’a dit habiter à Wilmington, près des docks…
Vince sembla réfléchir.
- Attends… Ce n’est pas logique… C’est à l’opposé de la direction qu’on nous à donné…
- Peut-être que Marty s’est trompé, hasardais-je.
- Je ne sais pas, dit-il en se frottant le visage. Bon, on est bon pour rebrousser chemin. Allons voir ce Diego Lopez.
Lorna nous dévisagea, semblant attendre quelque chose de notre part. Je lui filai un billet de vingt dollars, en la remerciant pour son aide.
- Voilà un gentleman, s’exclama-t-elle en s’adressant à Vince, qui repartait déjà. Tu devrais prendre exemple sur lui !
Nous remontâmes en voiture, rebroussant chemin. J'espérais trouver des réponses chez Lopez. Je n’arrêtais pas de penser à Liv. Où était-elle ? Pourquoi l’avait-on enlevé ? Était-elle blessée… ou pire ?
Je chassais vite ces idées noires. Il fallait que je reste attentif.
Nous fîmes la route en silence. Vince semblait plongé dans ses pensées et moi, j’essayais de rester concentré sur la route. La circulation était raisonnablement dense, et nous arrivâmes à Wilmington une grosse demi-heure plus tard. Lopez vivait une espèce de bâtisse à toit plat, à côté d’un bâtiment désaffecté. Un groupe de jeunes était rassemblé, discutant bruyamment. En nous voyant arriver, ils se turent et nous toisèrent, comme pour nous intimider. Voyant qu’ils ne nous impressionnaient pas et que nous poursuivions notre chemin, ils continuèrent à chambarder. Un clochard dormait sur un bout de carton, à l’entrée d’une ruelle.
Au loin, des chats se battaient, leurs hurlements ressemblaient à des cris d’enfants.
Vince frappa à la porte. Pas de réponse. Il n’y avait pas de camionnette dans l’allée, mais une lueur bleue à l'intérieur laissait penser qu’une télévision était allumée. Vince frappa encore et essaya d’ouvrir la porte, qui pivota sans effort.
Je le suivis à l’intérieur, pendant qu’il appelait un quelconque occupant à voix haute. Mon cœur battait à tout rompre. Je n'avais pas l'habitude d'entrer chez quelqu'un sans y avoir été invité. Mais je devais retrouver Liv.
Vince haussa la voix, dit qu’il s’appelait Vince Morgan et qu’il cherchait un vieux copain, Diego Lopez. Toujours pas de réponse. La rumeur d’un match de base-ball parvint à nos oreilles au fur et à mesure que nous avancions dans le couloir de l’entrée. Un rai de lumière bleue s'échappait sous une porte fermée, sur la gauche. Vince l’ouvrit et une odeur pestilentielle nous prit soudain à la gorge, soulevant nos cœurs. Nous entrâmes dans la pièce et trouvâmes Diego Lopez. Il était assis dans un canapé en velours, en face de la télévision. Sa gorge était ouverte, laissant s’écouler un liquide noirâtre. Une bouteille de bière gisait sur le sol, dans une flaque de sang. Vince me montra le mort du doigt. Il avait les mains coupées.
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