“Alors, Gloria ? Où en es-tu dans ton plan machiavélique ?”. La question de Jason irrita l’héritière de Karen Rockwell. Elle avait senti du sarcasme dans sa voix. Il allait regretter son outrecuidance.

- Contente-toi de faire le travail que je t’ai demandé de faire, Jason. Pour qui te prends-tu ? Tu es là, assis dans mon canapé, un verre de Chardonnay en main, à te prendre au sérieux. Tu as trop confiance en toi. Attention, tu vas te brûler.

L’avocat se redressa, piqué au vif.

- Je… Je suis désolé, Gloria. C’est juste que… Je voudrais juste savoir où on va. Je veux dire… Je t’ai suivi dans cette histoire sans condition ! J’estime être en droit d’en savoir un peu plus !

- Sans condition ? Je te paie quand-même rubis sur l’ongle pour défendre les Machetes. Mais tu as raison. Que veux-tu savoir ?

- Pour commencer, qui c’est, ce Jake ? Pourquoi tu lui en veux autant ?

Gloria baissa les yeux, se plongeant dans ses souvenirs. Le soleil jetait de grandes lignes d’un jaune éclatant sur le mur derrière elle, faisant ressortir la peinture dorée qui l’habillait. Les rideaux des hautes fenêtres de la pièce dansaient doucement, poussés par une brise légère. Jason changea de position, faisant crisser le cuir du canapé blanc hors de prix, attendant la réponse de sa cliente.

- Ça remonte à tellement d’années… J’étais jeune, innocente. J’ai rencontré Jake à une époque de ma vie où j’étais vulnérable. Il était gentil avec moi. Prévenant. Lui aussi avait souffert. Nous étions pareils, sur la même longueur d’onde. Je suis tombée tout naturellement amoureuse de lui. Vraiment, j’étais folle de lui. J’aurai pu le rendre heureux. Mais quand je le lui ai avoué, tout à coup, monsieur a été plus distant. Il avait sa petite copine, qu’il ne voulait pas quitter. Il paraît même qu’il a voulu l’épouser quelques années plus tard, mais qu’elle a refusé. Elle l’a plaqué. Quel abruti…

- Attends… Tu es en train de me dire… que tu t’es associée à un gang dangereux… et organisé cet enlèvement juste parce qu’un mec n’a pas voulu sortir avec toi il y a plusieurs années…?

- Mais non voyons ! Je sais que je peux être un peu… excessive. Mais pas à ce point là. Non. Je lui en veux car son rejet a provoqué tellement de choses en moi… des choses violentes ! Il me laisse entendre qu’on est proches, et puis il me laisse tomber ? Alors que je vivais une situation au-delà du supportable ! Il m’a laissée seule ! A cause de lui, j’ai eu des soucis avec la justice. Ma dépression m’a poussée à faire des actes qui m’ont conduite à être enfermée ! Et lui, pendant ce temps ? Il est resté tranquille, en Angleterre, puis ici, à Los Angeles ! Pas une seule visite ! Pas un seul message ! Il ne s’est même pas excusé pour ce qu’il m’avait fait ! Alors j’ai décidé que si Jake n’est pas avec moi, il ne sera avec personne. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que Jake Turner ne soit jamais heureux !

- Quitte à enlever sa soeur ?

- Exactement !

En s'exclamant, elle serra le poing sur son verre à pied, qui explosa sous la pression, projetant son contenu bordeau sur sa tenue blanche. Du sang, d’un rouge éclatant, s’échappa de sa main blessée et tomba en gouttelettes sur le sol pavé de marbre italien.

L’avocat se précipita pour aider Gloria, appelant Mercedes à la rescousse. L’employée de maison arriva en trottinant, munie d’un drap pour serrer autour de la blessure.

Jason la soutint, la conduisant dans la salle de bain. Il fit couler de l’eau sur la blessure, s’assurant qu’aucun bout de verre ne s’y trouvait.

- Gloria, déclara-t-il d’une voix profonde, oublie-le. Ne laisse pas le passé te dévorer de la sorte. Laisse tomber cette histoire avec les Machetes. Libère la fille. On a qu’à la laisser dans une ruelle, quelque part.

- C’est trop tard, Jason. Je suis bien trop impliquée. Même si je le voulais, Vidal ne me laissera plus partir, maintenant. Je n’ai aucune issue.

Jason garda le silence quelques secondes. Puis :

- Il y a moi.

- Toi…? Comment ça ?

- On pourrait s’enfuir, toi et moi. Vivre en Europe. Paris, Rome, Barcelone… Où tu voudras.

Gloria le regarda, interloquée, avant d’éclater de rire.

- Trésor, je suis flattée…. Mais, sans vouloir te vexer, tu n'as pas les épaules pour supporter une fille comme moi. Je te consumerais en un rien de temps…

Jason ne répondit rien, déçu par la réaction de la femme qu’il aimait. Elle pencha la tête et le regarda avec tendresse.

- Allons, ne fait pas cette tête. Crois-moi, je te rends service… Tu veux savoir quel est le reste de mon plan ? Je vais encore garder un peu cette petite cruche dans ma toile, histoire d’embêter encore un peu ce cher Jake. Puis je la relâcherai, quand je me serai bien amusée. Après, il faudra que je me débarrasse d’Alejandro Vidal. Et pour ça, j’ai un plan.