Chapitre 27 : “Les Cactus” - The Last Shadow Puppets
Vince est venu me chercher vers onze heures du soir. J’étais fin prêt, mentalement et physiquement. Notre destination, que j'espérais être le repaire des Machetes, était à une vingtaine de kilomètres. J’avais des fourmis dans les doigts, tellement je serrai mon volant. Vince ressentit ma nervosité.
- Relax, mec. Je sais que la situation peut être assez stressante, mais il ne faudrait pas qu’on fasse un accident avant d’arriver.
- Tout va bien, Vince. je sais conduire.
- Ok. Garde à l’esprit que ce qu’on va faire n’est pas réglo aux yeux de la loi…
- Ça commence à être une habitude depuis que je te connais.
- Ouais… Mais si tu veux retrouver ta sœur au plus vite, il faut savoir prendre des raccourcis.
- J’avais compris. Et ça ne me gène pas.
- On est d’accord. Je disais donc, il va falloir être très prudents. Si les Machetes occupent toujours cette hacienda, on peut s’attendre à des hommes armés tout autour de la propriété. Il va falloir être super discret. Et au moindre risque, on laisse tomber. On veut juste avoir la confirmation que ta sœur est bien là. Après ça, on laissera faire la police. Compris ?
- Compris…
A cette heure, la circulation était fluide sur la Pacific Coast Highway. La lune se mirait dans l’océan et offrait une vue à couper le souffle, mais je devais rester concentré sur la route. Je n’avais pas envie de finir dans un précipice.
Bientôt, nous arrivâmes à Malibu, avec ses plages privées et ses villas de luxe. Si l’endroit fut plutôt agréable, il devint plus désertique et accidenté à mesure que nous approchions Corral Canyon, où se trouvait l’hacienda. La route devint plus étroite, serpentant dans les montagnes de Santa Monica en virages serrés, parfois bordées de ravins. Nous devions rouler lentement, notre route étant seulement éclairée par la lumière des phares de ma voiture. Après un moment, Vince me dit de m’arrêter. Nous devions continuer à pied. Je laissais ma Mustang sur le bas - côté en ayant pris soin de laisser les clés sous le pare-soleil. Je me suis dit que personne ne viendrait me la piquer ici à cette heure. Et puis, il nous faudrait peut-être démarrer d’ici en vitesse, et je n’avais pas envie de perdre mes clés en chemin. Nous partîmes en direction de - je l’espérais - l’endroit où ma sœur était détenue. La rumeur des rares voitures qui passaient sur la Pacific, en contrebas, se taisait peu à peu, au fur et à mesure que nous nous en éloignions. La demeure fut rapidement en vue, et nous redoublâmes de prudence pour ne pas nous faire repérer. La lune commençait à se vêtir d’un voile de nuage, ce qui nous arrangeait bien. L’obscurité était notre alliée. Le silence était pesant, si épais qu’on aurait pu le couper au couteau. On entendait juste la terre sèche craquant sous nos pas. Au loin, des coyotes hurlaient.
Nous nous postâmes derrière un buisson, pour évaluer la situation. Un vignoble s’étendait sur plusieurs hectares, entourant le bâtiment principal, qui se trouvait en hauteur. Ici et là dansaient de petites lumières : des hommes munis de lampes torches qui faisaient le guet. Vince me passa une paire de jumelles. Je balayais la propriété du regard, espérant voir quelque chose, n’importe quoi, qui me donnerait un indice sur la présence de ma sœur. Je m’attardais sur la grande maison et vis des silhouettes derrière les fenêtres. un homme aux cheveux bruns et costume blanc était debout, de dos. Devant lui, une femme, avec de longs cheveux blonds. J’eus une impression bizarre en la voyant. Comme si je l’avais déjà vue quelque part. J’essayai de me rappeler d’où je pouvais la connaître, qui elle pouvait bien me rappeler, quand mon vieil associé me fila un coup de coude en me montrant une direction. A une petite centaine de mètres, un cabanon de bois, du style de ceux dans lesquels on range les outils de jardin, était gardé par deux hommes armés. Je jetai un coup d'œil à Vince. Pourquoi garder si farouchement une cabane à outils ?
Nous nous sommes dirigés à pas feutrés vers notre cible. Il fallait traverser une partie du champ, toujours parcouru d’hommes qui montaient la garde. Nous faufilant entre les pieds de vignes, nous progressions petit à petit.
Soudain, Vince perdit l’équilibre et se ramassa de tout son poids en jurant. Un homme, à proximité, nous repéra.
- ¿Quién está ahí? Chucho, ¿eres tú ?¹ demanda la voix.
Notre premier réflexe fut de retenir notre souffle. Je réfléchissais à toute vitesse, luttant contre l’envie de céder à la panique. Et puis, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai tenté quelque chose.
- Si. Déjame orinar en paz, ¿quieres? ² répondis-je d’une voix étouffée.
Ça eut l’air de fonctionner, l’homme poursuivant son chemin en bougonnant. Vince me regarda avec des yeux ronds. On avait eu chaud.
Nous attendîmes un petit moment que l’homme s’éloigne suffisamment, puis nous avons continué notre chemin sans encombre, jusqu’à arriver à la cabane.
C’est là que j’ai collé mon oreille à la paroi. Là que mon cœur s’est emballé.
J’entendais la voix de ma sœur. Liv était bel et bien là, à quelques mètres de moi ! Elle semblait discuter paisiblement avec un homme. Pas de cri, ni de peur dans sa voix. J’étais à la fois heureux et survolté. Je voulais défoncer ces planches et sauver ma sœur. Mais soudain, un rai de lumière nous aveugla et une voix cria “Alerta ! Intrusos !”³. Sans réfléchir, j’ai bondi sur l’homme armé d’un fusil, qui nous avait découverts. Il fallait absolument que je le désarme et que nous gagnions du temps. Je l’ai renversé, me suis mis à califourchon sur lui tout en l’assommant d’une bonne droite sur la tempe. Vince partait déjà en courant et en hurlant “Merde ! Meeeeerde !”. Je le suivi, courant comme un dératé. Un autre garde surgit et se jeta sur moi, pendant que Vince disparut dans la nuit. J’ai reçu deux, trois gnons bien placés. Le mec était fort. Je me suis relevé d’un coup, lui filant un bon coup de tête dans la mâchoire. Il s’est écroulé en hurlant : il avait mordu sa langue et du sang coulait de sa bouche. Plusieurs hommes arrivaient en criant et nous tirant dessus. J’étais sur le point de repartir, mais je fus figé sur place. Un géant, avec une sorte de tête de mort en guise de visage, arrivait en courant vers moi, écartant les hommes devant lui de ses bras énormes, comme s’ils étaient de simples pantins. Pris de panique, je n'arrivais plus à bouger, comme un lapin hypnotisé devant un prédateur. Je fus sorti de ma torpeur par un bruit de klaxon tonitruant, et je perçu Vince, au volant de ma Mustang, surgir et, d’un dérapage pas-très-contrôlé, faire barrage entre le monstre et moi dans une tempête de poussière. Le titan reçut le flanc de ma voiture de plein fouet et fut éjecté à quelques mètres. Vince ouvrit la portière côté passager et me hurla de monter à bord. Je lui obéis, mon cœur explosant sous la panique, et nous demarrâmes en trombe, poursuivis par les coups de feu de nos assaillants. La vitre arrière explosa. Vince conduisait comme un possédé, dérapant dans les virages, évitant de justesse les précipices. Par un coup de chance inouï, nous retrouvâmes l’autoroute et filâmes d’une traite en direction de Venice. A bout de souffle, j’ai remercié Vince. Il venait de me sauver la vie.
- Qu’est ce que c’était que ce monstre ? demanda-t-il, survolté.
- Je… je ne sais pas… Une chose est sûre : Liv est là ! Il faut que je prévienne Johnson !
Je pris mon portable et appelai l’enquêtrice. Mon cœur semblait vouloir sortir de ma poitrine. Mes mains tremblaient. Il y eu trois sonneries avant qu’elle décroche.
- Allô ?
- Inspecteur Johnson ! C’est Jake ! Jake Turner ! On sait où est ma sœur !
- Quoi !? Mais… Comment… Où êtes-vous ?
- On revient d’une hacienda à Santa Monica ! Les Machetes retiennent ma soeur là-bas !
- Comment…!? Bon sang ! On se retrouve chez vous. Maintenant !
Elle avait l’air furieuse. Je savais déjà qu’elle allait nous passer un savon. Mais qu’importe. L’espoir de revoir bientôt ma sœur me donnait du courage pour affronter la furie de mille inspecteurs Johnson.
Elle nous attendait déjà devant chez moi à notre arrivée. Elle regarda ma voiture les yeux écarquillés. Ma pauvre Mustang avait l’aile droite défoncée, la vitre arrière brisée, et elle était maculée de terre et de morceaux de branches et de feuilles arrachées, coincées dans le pare-choc. On aurait dit qu’on venait de faire un rodéo avec. Ce qui était plus ou moins arrivé.
Une fois entrés chez moi, j’ai tout déballé à Johnson. Plus mon récit avançait, plus elle semblait en colère. Vince voulut apporter son point de vue, mais elle le coupa en le pointant du doigt.
- Vous ! Ça suffit ! Vous avez entraîné un citoyen dans une expédition dangereuse ! Ça va vous coûter cher ! Sortez et attendez-moi dehors ! MAINTENANT !
Vince s’éclipsa, sans demander son reste. Elle se tourna vers moi, et je me préparais à recevoir une véritable tempête en pleine tête.
- Et vous ! Qu’est ce que je vous avais dit ! Vous avez risqué votre vie ! Vous auriez pu vous faire tirer dessus ! Ou pire !
En colère, elle s’approcha de moi. Bientôt, nos visages étaient proches l’un de l’autre.
A ce moment-là, je ne sais pas ce qui m’a pris. J’étais encore gonflé d’adrénaline et sous l’excitation de ce qui venait de se passer. La voyant si proche de moi, je pouvais détailler les traits fins de son visage, ses grands yeux marrons aux longs cils noirs, ses lèvres charnues, légèrement colorées. Ses lèvres. Avant de m’en rendre compte, j’ai avancé mon visage, tentant de l’embrasser.
Elle s’est retirée vivement et m’a regardé d’un drôle d’air, entre la fureur et l’étonnement. Je n’arrivais pas à croire que je venais de faire une telle bourde. J’étais bon pour me faire arrêter.
Avant que je puisse prononcer un mot, l’inspecteur Aretha Johnson me saisit par la nuque et m’embrassa à pleine bouche. La température grimpa en flèche. Ses doigts se perdirent dans mes cheveux, pendant que je refermais mes bras autour de sa taille. Nos baisers se firent plus profonds, brièvement. Ma bouche glissa sur le côté, caressant sa nuque. Son parfum, léger et sucré, envahit mes narines. Puis un bruit nous ramena à la réalité.
Vince était revenu, toussant d’un air géné. Ari me repoussa d’un air vif, rouge comme un feu de circulation. Elle ramena une mèche de cheveux derrière son oreille en chuchotant “Mon Dieu, mais qu’est ce que je fabrique…?”.
- Je… bredouilla-t-elle. Je ne sais pas ce qui m’a pris…
Elle se dirigea vers la sortie. Puis elle s'arrêta, pivota pour nous faire face, et déclara “Venez au poste. Dans une heure. Et pas un mot de tout ça !” en nous pointant du doigt. Nous avons compris. Il fallait déclarer officiellement notre découverte de ce soir, mais garder sous silence ce qui venait de se passer. Elle me jeta un drôle de regard et sortit de la pièce.
Vince me regarda longuement, un petit sourire en coin. “Ben toi alors…”, chuchota-t-il.
Je restais là, les cheveux ébouriffés et la chemise défaite, me demandant ce qui s'était passé.
¹ : "Qui est là ? Chucho, c'est toi ?"
² : "Ouais. Laisse-moi pisser en paix, tu veux ?".
³ : "Alerte ! Intrus !".
Annotations
Versions