Chapitre 36 : “Hotel California” - Eagles
Vince se tenait dans son salon, recyclé en bureau d’enquête. Devant lui était suspendu un grand tableau en liège, avec des notes, des plans et une carte de la ville. En haut à droite, les photos de trois personnes, pêchées sur les réseaux sociaux : Paul Kasinski, Diego Lopez et Tito Herredia. C’étaient les victimes de meurtre ayant un rapport avec Los Machetes depuis l’enlèvement de Liv Turner. Kasinski, pour ce que Vince en savait, n’avait absolument rien à voir avec le gang. Il devait être une victime collatérale. Les deux autres faisaient, ou avaient fait partie des Machetes. Le premier avait fait défection, ce qui aurait pu expliquer son meurtre, mais apparemment Herredia était encore de la partie. Il en était même un membre apprécié, si on croyait les déclarations de Lorna, qu’il était allé revoir.
Regardant le tableau, il récapitula ce qu’il pouvait considérer comme étant des faits. Olivia Turner avait été enlevée, alors qu’elle n’était pas, à première vue, une personne pouvant attirer l’attention par son statut, ses possessions ou même ses connaissances. C’était une avocate anglaise comme il y en a des milliers. D’ailleurs aucune demande de rançon n’était tombée. Son frère ne possédait pas non plus d’élément qui aurait pu intéresser la pègre. C’était un ingénieur informatique travaillant pour une grosse boîte très connue. Bien que ses revenus soient confortables, on ne pouvait pas dire qu’il était riche.
Alors pourquoi avoir enlevé cette femme ? Pourquoi un gang comme Los Machetes s’y était-il intéressé ? Il y avait aussi ces meurtres. Avaient-ils un point en commun avec toute cette affaire ? Kasinski était un voisin du frère de Liv Turner. Lopez avait été le propriétaire de la camionnette utilisée pour l’enlever. Mais Tito Herredia ? Morgan ne voyait aucun lien avec cette affaire.
Autre chose : il y avait cette mystèrieuse femme que Jake avait affirmé avoir vue chez Vidal. Il semblait troublé par le fait qu’il pensait la connaître. Turner lui avait dit qu’il devait aller en faire un portrait robot auprès des services de police. Il lui avait aussi parlé du fait qu’il y avait sans doute une taupe qui avait prévenu Alejandro Vidal de la descente de police. L’expérience de Vince au sein des services de police lui soufflait que c’était une possibilité. Il ne put s’empêcher de repenser au scandale des Remparts des années 90. La pourriture et la corruption s’étaient infiltrées au L.A.P.D. Ok, lui-même n’avait pas été un enfant de cœur et avait pris certains raccourcis pour résoudre des enquêtes. Mais il était un amateur à côté des individus qui étaient concernés dans cette affaire. Vols, trafics de drogue, brutalités policières, meurtres… Tout était bon. Alors, si il y avait bien une taupe impliquée dans cette affaire, ça n’était pas la première fois.
Jake ne faisait donc plus confiance aux inspecteurs, à l’exception d’Ari Johnson. Tu m’étonnes. Ce mec était en train de se faire des films avec cette nana. D’expérience, le détective savait que les inspecteurs de la crim’ avaient des difficultés à s’attacher. Lui-même en avait fait les frais. Il avait vu tellement de choses horribles, qu’il ne s’était jamais vu fonder une famille. A part, peut-être, avec Mabel. Son esprit s’envola brièvement, visitant ses souvenirs. Mabel. Son sourire. La façon qu’elle avait de le regarder…
Il chassa vite ses images de son esprit. Il savait où ses rêves allaient le mener. Regret, douleur, dépression…
Il reporta son attention sur le tableau. Il plaça une punaise bleue à l’endroit où Liv s’était faite enlever et trois punaises rouges aux endroits où les meurtres s'étaient produits. Une à Venice Canals, une à Wilmington et une dernière à Muscle Beach. Le dessin formait un triangle très allongé. Vince eut le sentiment de perdre son temps… Il lui fallait plus de détails sur les meurtres. Il réfléchit un instant et se dit qu’il allait voir Marty. Il voulait savoir s’il pouvait lui en dire plus sur Tito. Mais il voulait surtout vérifier s’il allait bien. Le jeune homme devait être secoué. Trouver un cadavre, surtout dans ces circonstances si violentes, n’est jamais facile.
Il le trouva, comme à son habitude, assis sur le banc à Venice Beach. Le soleil était haut dans le ciel et crachait ses rayons sur le terrain, revendiquant sa propriété. Et toujours la même scène, jour après jour : les skateurs glissant dans le bol, les basketteurs sautillant autour des paniers, les vieux promenant leur chien. Il fut heureux de voir que le jeune homme ne tenait pas de joint entre ses doigts. Marty le regarda arriver, sans vraiment réagir, les yeux mi-clos sous la lumière du soleil. Vince le salua silencieusement d’un signe de tête et s’assit à côté de lui.
- Alors, dit-il après un moment de silence, comment tu vas, petit ?
- Pas génial, répondit Marty.
- Je sais ce que ça fait ce genre de plan. C’est dur.
Le jeune homme ne répondit pas. Il regardait le sol.
- Je pensais pas connaître une telle frayeur un jour, déclara-t-il. J’ai bien cru que j’allais crever.
Plus loin, les basketteurs riaient bruyamment. Ils avaient fini leur match et rentraient chez eux. Leur clameur fit place au silence, seulement interrompu par le bruit des planches à roulettes effectuant des ollies et kickflips.
- Tu sais que je suis détective… Je crois que ce meurtre concerne l’affaire sur laquelle je bosse en ce moment… Je sais que tu as déjà parlé aux flics… Mais ce serait cool si tu pouvais me donner un tuyau…
- Je vois pas trop ce que je pourrais dire de plus… C’était horrible. Une vraie boucherie. J’arrête pas de le voir, quand je ferme les yeux…
- Y a pas un détail… un bruit, une odeur, n’importe quoi, qui pourrait nous aider à choper celui qui a fait ça ?
Marty garda le silence… Puis il se redressa et regarda le vieil homme.
- Il y avait… il y avait quelqu’un qui sifflait.
- Quelqu'un qui sifflait…?
- Ouais… C’était ce truc… Cette chanson… Heu…
Il se mit à fredonner, d’une voix chevrotante.
- “Welcome to the Hotel Caaaliforniaaa…”
- “Hotel California” ? Heu… Ok…
- J’y ai repensé après. Ça m'a foutu la trouille, parce que le mec qui sifflait ça n’était pas très loin. Et quand j’ai hurlé, il s’est arrêté d’un coup. Et je suis sûr d’avoir entendu des pas me poursuivre quand je suis parti en courant.
Vince regarda le jeune homme. Il était probable qu’il avait échappé au tueur.
- Ok, c’est un début. Merci, mec.
Vince se leva et fit craquer son dos. Il regarda Marty d’un air pensif.
- Ça te dirait d’aller manger un morceau, un de ces quatres ?
Marty regarda Morgan, un sourire au coin des lèvres.
- Seulement si c’est pour manger un burger gigantesque chez Joey’s.
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