Chapitre 38 : “Somebody’s watching me” - Rockwell feat. Michael Jackson.

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Quand Ari est revenue dans la petite pièce où elle m’avait demandé de l’attendre, elle avait un drôle d’air. Ca faisait bien une demi-heure que je poireautais et je commençais à me demander si elle ne m’avait pas oublié. Elle s’assit en face de moi et me mit devant les yeux le portrait de la femme vue chez Vidal.

- Vous la connaissez ? me demanda-t-elle très sérieusement.

- Non… Je l’ai déjà dit… Son visage ne m’est pas inconnu, mais je n’arrive pas à me souvenir où je l’ai déjà vue.

Sans rien dire, elle étala un journal people devant moi. En première page, on pouvait y voir la femme en question. Elle portait des lunettes de soleil et un grand chapeau, mais c’était bien elle. Le gros titre disait “Gloria Rockwell à Muscle Beach. Une idylle en vue ?”.

- Nous avons reçu un témoignage selon lequel vous lui auriez fait du mal, me dit Ari, sans le moindre sentiment dans sa voix.

- Quoi !? me suis-je exclamé. Mais c’est n’importe quoi !

- Jake ! C’est sérieux. Tu en es bien sûr ? Réfléchis !

Son tutoiement soudain m’avait un peu surpris, sur le coup. Mais en y réfléchissant bien, notre rapprochement ne faisait plus vraiment de nous des étrangers. Et puis, elle avait vraiment l’air inquiète. Elle voulait avoir des réponses. Elle me demandait d’être honnête avec elle. Je me suis penché vers elle et je l’ai fixée dans les yeux.

- Ari, je te le promets, je ne connais aucune Gloria Rockwell. J’ai l’impression d’avoir déjà vu ce visage, et ce n’est pas dans ce genre de journal à scandales. C’est pas mon style de lecture.

- Alors… Pourquoi affirme-t-elle te connaître ?

- Mais c’est n’importe quoi ! Ari, je te le jure !

Elle sembla réfléchir.

- Et ton passé ? Peut-être la connais-tu depuis longtemps…?

J’ai gardé le silence. En y réfléchissant bien, il y avait peut-être quelque chose…

- J’ai eu… une période assez compliquée… C’était il y a plus de vingt ans, en Angleterre. J’étais à l’université et… Mes parents sont morts. Accident d’avion. Je m’étais assez violemment disputé avec mon père juste avant. Je me sentais coupable, je me détestais. J’ai abandonné mes études et j'ai passé mon temps dans les bars. Bref, je suis devenu alcoolique. J'ai fait des choses, à cette époque, dont je ne suis pas fier. Et peut-être qu’il y des actes que j’ai commis sous l’emprise de l’alcool, et dont je ne me souviens pas… Peut-être est-ce à ce moment là que je l’ai blessée, d’une façon ou d’une autre… Tu dois savoir aussi… qu’après cette période, je me suis repris en main, je suis retourné à l’université. Et j’ai été impliqué dans une histoire de meurtre.

Ari ne répondit rien. Elle m’écoutait attentivement. Elle fronçait les sourcils, curieuse d’entendre la suite .

- Un gars qui n’arrêtait pas de me chercher des problèmes a été retrouvé mort. Et pendant un temps, j’ai été suspecté, justement parce que le tueur faisait en sorte qu’on me suspecte. Finalement, c'était…

Je me suis arrêté net. J’ai pris le portrait. Je savais où j’avais vu ce visage.

- Non… C’est pas possible…

- Qu’est ce qu’il y a ? a demandé Ari, inquiète.

- Je… On dirait Megan !

- Megan ?

- Megan Guildritch… C’est elle qui avait tué ce mec ! Elle était complètement barge ! Mais c’est impossible que ce soit elle ! Elle est enfermée à Broadmoor, un asile-prison en Angleterre !

Ari regarda le visage dessiné sur la feuille canson.

- Pourquoi te voudrait-elle du mal ? Que pourrait-elle te reprocher ?

- Elle était… amoureuse de moi. Mais je n’étais pas intéressé… Elle a failli me tuer.

- Quoi ? Il va falloir m’en dire plus, Jake !

- On travaillait dans le même resto… Un soir, je ne sais plus trop sous quel prétexte, elle m’a attiré chez elle et… elle m’a assommé.

Je me suis arrêté un instant. Les souvenirs de cette soirée infernale envahirent mon cerveau, comme d’anciens cauchemars. J’avais mis du temps à me remettre de tout ça, et maintenant il fallait que je m’y replonge. J’avais les mains moites et une légère sensation de nausée s'immisça dans mes entrailles. Ari me regardait, apparemment touchée de me voir mal en point. Elle attendait patiemment que je continue.

- Quand je me suis réveillé, j’étais attaché à une chaise. Son père était là aussi, saucissonné, comme moi. Elle a commencé à nous raconter sa petite histoire. Qu’on l’avait tous rejetés. Ce genre de conneries… Elle a… Elle a fini par abattre son propre père, à moins d’un mètre de moi. J’ai failli subir le même sort, mais la police est intervenue à temps… Megan avait pour projet de se donner la mort après nous avoir tués.

Ari garda le silence. Après un instant, elle prit ma main dans les siennes.

- Ça a dû être très dur à vivre… Je… Je suis désolée. Un instant, j’ai cru que tu avais peut-être réellement fait du mal à cette femme.

Nous sommes restés comme ça un moment, immobiles, ma main dans les siennes. Puis, elle me regarda. Elle avait l’air déterminé.

- Mais si Gloria Rockwell est bien cette Megan, ça expliquerait beaucoup de choses. Elle te tient responsable de son enfermement. Elle sort de prison - reste à savoir comment - puis elle échafaude un plan pour se venger. Elle s’associe avec un gang dangereux et fait enlever ta sœur. Tout est très clair. Ça pourrait être une théorie qui tient la route. Il faut qu’on arrive à savoir si cette femme est bien Megan Guildritch.

Mon cœur s’est emballé. Nous étions peut-être sur le point de découvrir toute la vérité. Et pourtant, il y avait encore tant de questions laissées en suspens…

- Comment savoir si Gloria est bien Megan ? demandais-je.

- Il va falloir enquêter. Je vais contacter les autorités anglaises, voir ce qu’ elle est devenue. Si elle est effectivement sortie de prison, nous aurons de quoi pousser l’enquête plus loin.

Je savais que cette procédure risquait de durer un certain temps avant qu’on ait des réponses. Je voulais agir au plus vite.

- Et si je la confrontais ?

- Non, surtout pas… Si c’est bien Megan, avec son passé psychologique, ça pourrait sentir le roussi pour Liv. Il faut être très prudent. Ne surtout pas la provoquer.

Je n’ai rien dit. Je savais qu’Ari avait raison, même si ce que j’entendais ne me plaisait pas. Elle fit mine de se lever puis se ravisa.

- Avec tout ça, j’ai failli oublier… Je voulais te dire quelque chose. Je t’ai fait patienter un moment parce que nous avons l’homme chez qui on a retrouvé le van noir. On l’a cuisiné mais il n’a rien voulu nous dire et son avocat est arrivé assez rapidement. Le fait que le van est bel et bien chez lui confirme qu’il a quelque chose à voir avec l’enlèvement de Liv, et on a pu le garder dans nos locaux. Il ne va pas s’en sortir si facilement. On arrivera à lui faire cracher le morceau, Jake.

Je l’ai remerciée, puis elle a dû partir. Elle voulait envoyer sa demande aux anglais le plus vite possible.

Je suis rentré chez moi, la tête pleine d’images du passé. Megan, cette jeune fille du restaurant, au départ si gentille et amicale. Et puis, elle avait pété les plombs. Elle avait tué son frère, avait fait croire que j’étais le coupable… Tout ça parce qu’elle n’avait pas supporté que je la repousse. Je me suis rappelé ce soir-là, dans son appartement au-dessus du restaurant. Je me suis rappelé le son du pistolet qui éclate dans mes oreilles, fauchant la vie d’un homme, juste à côté de moi. Et puis ce regard plein de folie qu’elle m’avait lancé, pointant son arme sur moi.

Le lendemain, je suis arrivé au boulot comme un zombie. J’étais crevé. La nuit avait été compliquée. Jeremiah “Jay” Mendez, mon “pote du boulot”, m’a regardé d’un air compréhensif. C’était celui avec lequel je m’entendais le mieux sur mon lieu de travail. Il avait une quarantaine d’années, était un gamer acharné et n’était pas toujours très frais. Mais ce gars était vrai, sans jugement et très amical.

- Ca va, mec ? T’as une tronche de déterré.

- Ouais… J’ai pas beaucoup dormi.

- Ecoute, me dit-il en s’approchant et en baissant la voix. Si tu as besoin d’aide… ça reste entre nous, mais j’ai quelques compétences informatiques… que j’ai normalement promis de ne plus utiliser…

- De quoi parles-tu ?

- Je… Avant, j’étais hacker. Je suis capable de m’introduire dans plus ou moins n’importe quel ordinateur. Juste pour info.

Il s’éloigna en me lançant un clin d'œil. Je ne savais pas trop quoi faire de ce qu’il venait de me révéler. Mais je savais que ça pourrait servir un jour.

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