Ari avait les yeux fixés sur les écrans retransmettant les images des caméras de surveillance aux alentours du cabinet Finnley & Bradburry, dans la tranche horaire durant laquelle le meurtre avait eu lieu. Rien de concluant ne ressortait de celles braquées sur la façade. Par contre, un mouvement attira l’attention de Johnson sur l’écran affichant les images d’une ruelle derrière le bâtiment. Elle demanda au technicien de revenir en arrière et aperçut un homme, vêtu d’un sweat shirt dont la capuche était rabattue sur sa tête. Il semblait se hâter de quitter l’endroit. On aurait dit que sa démarche était gênée par un objet caché dans la jambe gauche de son pantalon large. Et surtout, l’individu s’était retourné pour vérifier les alentours, dévoilant le devant de son pull, maculé d’une tache sombre et poisseuse. Elle arriva à suivre son trajet de caméras en caméras, jusqu'à une cour arrière dans laquelle s’amoncelaient des poubelles. L’homme, de dos, retira son pull, le mit en boule et le jeta dans un container, avant de continuer sa route. La section suivante n’était couverte par aucune caméra. Ari essaya de le retrouver dans les rues adjacentes, mais il avait disparu. Elle nota dans son esprit qu’il fallait aller vérifier cette poubelle, quand un agent vint la trouver pour la prévenir que quelqu’un essayait de la joindre au téléphone. C’était l’Angleterre.

Elle revint à son bureau à la hâte et décrocha.

- Allô ? Inspecteur Ari Johnson à l’appareil.

- Bonjour. Je suis l’inspecteur Terry Bingham, police criminelle de Scarborough. Il paraît que vous vouliez me parler ?

L’homme avait une voix assurée et un fort accent du Yorkshire.

- Oui. C’est à propos de Megan Guildritch.

- Ah ouais… Cette affaire. Quand mon collègue m’a dit que je devais appeler la police de Los Angeles, j’ai cru à une mauvaise blague. Mais apparemment… Ne me dites pas qu’elle est là-bas ?

- C’est ce que j’aimerai savoir aussi. Aux dernières nouvelles, elle était détenue à… Broadmoor, c’est ça ?

- Exact. Elle avait été reconnue instable. Le psy de l’époque avait diagnostiqué un trouble de la personnalité borderline, voire même un trouble dissociatif de l’identité. Elle a un besoin viscéral d’attachement, d’affection. Elle peut revêtir un autre “personnage” pour arriver à ses fins. Et si elle estime que quelqu’un ne s'intéresse pas assez à elle, elle pète les plombs. On a vu le résultat ici.

- Pouvez-vous me parler de ce qui s’est passé ?

- Ouf, ça fait plus de vingt ans, mais je n’oublierais jamais cette affaire. C’était ma première, en vérité. Je venais de décrocher mon grade d’inspecteur à la Criminelle. Ça a commencé avec la découverte du corps de Dan trovski, un jeune du coin, dans le lac de Peasholm Park. Un suspect est assez vite ressorti, un certain Jake Turner. Ils avaient eu certains problèmes, qui avaient débouchés sur une condamnation pour Turner. Trovski, par vengeance, ne le lâchait pas d’une semelle. On a pensé que le mec en avait eu marre et qu’il s’en était débarrassé. Mais au final, il s’est avéré que c’était Guildritch. Elle avait découvert qu’elle avait été adoptée et que Dan était son frère. Le mec l’a rejeté, alors elle l’a buté, pour faire court. Et comme à cette époque, elle était amoureuse de Turner, qui ne partageait pas ses sentiments, elle lui a mis le meurtre sur le dos. Elle a même tenté de le tuer. Mais on est arrivé à temps.

- Wow… plutôt intense comme première affaire… Et donc, elle a fini à Broadmoor ?

- Oui. Mais elle a été libérée pour bonne conduite. Le médecin qui la suivait affirmait qu’elle allait bien mieux et qu’elle pouvait réintégrer la société. Il y a… attendez que je réfléchisse… ouais… ça doit faire trois ans maintenant. Et depuis, elle s’est littéralement évaporée.

- Pardon ?

- Exact. J’ai tenté de la retrouver. Je voulais garder un oeil sur elle. Mais elle a disparu.

Ari réfléchit un instant. Puis elle tenta une approche.

- Connaissez-vous Gloria Rockwell ?

- Gloria Rockwell ? Mmh. Nah. Par contre, séparément, le prénom Gloria et le nom Rockwell me disent quelque chose, en effet.

- Ah bon ? C’est à dire ?

- Karen Rockwell. L’actrice. Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais elle avait été condamnée pour le meurtre de son mari. Et elle a purgé sa peine… je vous le donne en mille…

- … A Broadmoor.

- Bingo ! Elle y est décédée il y a quelques années. Mais je me souviens que le psy qui s’occupait de Megan m’a dit qu’elle traînaient toujours ensemble, elle et Karen Rockwell. Je crois que l’actrice l’avait prise sous son aile.

- Ok, je note. Et pour Gloria ?

- Et bien… Le psy m’a dit aussi que Megan se faisait souvent appeler comme ça par les autres patients. Gloria. Comme une petite fille qui joue un rôle. A votre tour de me parler maintenant. Vous pensez que Megan est à Los Angeles ?

- J’en suis persuadée. Et elle se fait appeler Gloria Rockwell.

- Merde… Elle est soupçonnée de quoi ?

- Association de malfaiteur et enlèvement… entre autres.

- Ok. Pouvez-vous me tenir au courant de la suite des événements ?

- Bien-sûr ! Je vous remercie pour tout ce que vous m’avez raconté.

- Pas de quoi. Faites attention. Elle est rusée.

Ari raccrocha son téléphone, songeuse. Elle commençait à y voir plus clair. Comme elle s’en doutait, cet enlèvement était une histoire de vengeance. Elle se dit qu’il fallait absolument aller revoir cette Gloria rockwell. A condition qu’elle ne se soit pas déjà enfuie.

Elle alla trouver le chef Williams, pour lui parler des derniers éléments. Elle croisa Al Whitechurch, le Chef Adjoint du L.A.P.D.. Il avait l’air furieux.

Elle frappa à la porte du bureau de son supérieur et entra. Il avait la mine défaite.

- Tout va bien ? demanda-t-elle.

- Non. Le Chef Adjoint lui-même vient de me passer un savon. Tous ces meurtres doivent cesser au plus vite. Il faut coffrer le responsable de ce bordel, et vite !

- J’ai justement de nouveaux éléments à propos du tueur, mais aussi pour cette histoire d’enlèvement.

- Je veux bien entendre ce que vous avez contre ce tueur, mais il va falloir laisser tomber l’enlèvement.

Ari cru qu’elle avait mal entendu. Elle ne comprenait pas ce qui était en train de se passer.

- Quoi ? Comment ça ? On ne va pas laisser tomber Liv Turner, quand-même !?

- Et bien si. Ordre de Whitechurch lui-même. Il veut concentrer toutes les forces de police pour retrouver le tueur.

Johnson, abasourdie, sentit une bouffée de colère lui monter dans les tripes.

- Vous plaisantez !? C’est une blague !?

- Inspecteur Johnson, j’ai les mains liées. Plus vite on trouvera ce tueur, plus vite on pourra se concentrer sur l’affaire de l’enlèvement.

Ari ne répondit rien et sortit en claquant la porte. Elle avait bien l’intention de ne pas laisser tomber Liv Turner.