Chapitre 46 : “Undercover (Of the Night)” - The Rolling Stones.
Le lendemain, j’étais avec Vince, en train de revoir les détails de l’enquête. Il semblait évident que le tueur voulait se venger des Machetes. Même la dernière victime, l’avocat, avait affaire avec le gang. Pour ce qui était de ce pauvre monsieur Kasinski, il devait être une victime collatérale.
Quelqu’un frappa à ma porte. C’était Ari. Elle semblait troublée, de mauvaise humeur.
- On nous a retiré l’enquête concernant ta sœur, m’annonça-t-elle.
- Quoi !? Mais… Mais pourquoi !?
- Mes supérieurs estiment qu’il faut d’abord trouver le tueur. Ils veulent concentrer toutes les forces sur cette enquête.
J’étais abasourdi. Comment pouvaient-ils abandonner Liv ? Le désespoir commença à s’immiscer en moi, comme une tache d’encre sur une serviette de papier. Ari me regarda et posa sa main sur mon épaule.
- J’ai dit qu’on nous avait retiré l’enquête, mais je n’ai pas dit que j’abandonnerais.
- Quoi ? ai-je demandé, surpris. Mais tu risques d’avoir des problèmes…
- Cette décision ne vient pas de mon chef direct. Elle vient d'au-dessus. Je soupçonne des intérêts politiques ou autres. Je ne fais pas de politique. Mon métier est d’aider les personnes en danger, ce qui est le cas de Liv. Alors je vais quand-même vous aider, coûte que coûte. Je continue aussi l’enquête sur le tueur, mais je n’arrêtais pas de chercher ta sœur.
- C’est admirable, ce que vous faites, déclara Vince. On va tout faire pour vous impliquer le moins possible.
J’ai regardé Ari, le cœur gonflé de gratitude. Comment voulez-vous que je ne sois pas attiré par cette femme ?
Soudain, sa radio se mit à crépiter : “À toutes les unités, 10-33. Demande de Code 3 au 1319 McLaughlin Avenue. Signalement d’un possible 187 en cours. Suspect armé d’une machette. Code 6 nécessaire. Appel de renforts urgent. Terminé.”.
Ari me regarda, les yeux ronds.
- C’est notre homme ! Il est en train de commettre un nouveau meurtre à Mar Vista !
Elle saisit sa radio en se levant pour se précipiter vers la sortie.
- Ici inspecteur Johnson, matricule CRD-49127, en route Code 3, ETA 5 minutes.
- Ici unité 12, Adam-56, officiers Sanchez et Lugo, répondit une voix. Nous sommes sur les lieux. 187 confirmé à McLaughlin Avenue. Nous sommes en code 6. Terminé.
- Qu’est-ce que ça veut dire ? ai-je demandé.
- Deux agents de police sont sur place et confirment la tentative de meurtre, répondit Ari. Ils sont en train d’intervenir.
Vince et moi suivîmes Ari. J’ouvris sa portière, côté passager et elle me regarda, incrédule.
- Hors de question que je te laisse y aller seule ! ai-je affirmé.
- Ok. Mais tu restes à couvert ! me répondit-elle.
Vince embarqua sur le siège arrière et nous filâmes sur les chapeaux de roues vers Mar Vista.
Ari essaya d’appeler Robbie à plusieurs reprises, mais il ne répondait pas.
- Merde, Robbie ! Où es-tu ? s’énerva-t-elle.
Au niveau de Washington Place, une voix affolée surgit de la radio : “Ici Sanchez… Officier à terre ! Suspect en direction nord… Quartier industriel… armé… bes…oin de renforts immédiats!”. La panique rendait la voix du policier stridente, et des coups de feu résonnaient en arrière-plan. Ari appuya sur le champignon et la voiture zigzagua dans la circulation. Nous arrivâmes peu après dans un crissement de pneus. L’endroit se composait surtout d’anciens bâtiments industriels. Certains étaient en travaux, pour en faire des appartements, des magasins. Mais d’autres étaient à l’abandon. La nuit commençait à tomber et jetait un voile sinistre sur les lieux. Une voiture de police, dont les gyrophares crachaient des éclats bleus et rouges, était arrêtée à l’entrée d’une ruelle entre deux bâtiments. Nous suivîmes Ari qui se précipitait vers ses deux collègues, couchés au sol. L’un gémissait en se tenant la jambe, l’autre était immobile, la tête reposant dans une flaque sombre et poisseuse.
- Ça va ? demanda Ari à l’agent toujours conscient.
- Il se cachait dans le tournant, il a essayé de décapiter Lugo, mais il l’a raté, même s’il l’a salement amoché… Il est parti par là.
Ari couru dans la direction indiquée par l’agent en criant à Vince de rester avec eux et d’appeler une ambulance. Je l’ai suivi, malgré le danger qui pesait sur nos épaules. Je voulais aider Ari.
Soudain, nous repérâmes le tueur. Il s’enfuyait, la machette à la main. Son capuchon était rabattu et quelque chose de sombre masquait le bas de son visage. Il était vif et rapide, mais nous le suivions à courte distance. Il escaladait les murets, changeait de direction fréquemment et essayait de nous semer. Sur le moment, j’ai pensé que mon entraînement à la salle de sport payait. Les heures passées à courir et m’entraîner n’étaient pas perdues. Soudain, il a bifurqué à droite et s’est introduit dans un bâtiment désaffecté. Quand nous sommes arrivés, plus de trace de lui.
- L.A.P.D ! cria Ari en brandissant son arme de service. Rendez-vous !
Elle me fit un geste pour que je reste derrière elle. Il faisait sombre et des bruits suspects se faisaient entendre dans le bâtiment. Un rat passa devant nous, nous faisant sursauter. Soudain elle me fit signe de me taire. On entendait des chuchotements, une voix sinistre, comme si quelqu’un se disputait à voix basse.
Nous suivîmes les murmures, descendant un escalier, vers la cave du bâtiment. L'atmosphère y était oppressante. Les couloirs étaient étroits et sombres et une forte odeur de poussière et de moisissures nous prenait à la gorge. Nous nous trouvions dans un véritable labyrinthe, avec des portes ouvertes sur des pièces aveugles. Des tags défiguraient les murs de grandes gerbes rouge sang. Ari sortit une petite lampe torche pour éclairer notre chemin. Elle suivit le couloir, jusqu’à arriver à une porte fermée. Elle l’ouvrit sans difficulté et une odeur pestilentielle nous fouetta le visage. Nous nous trouvions dans une salle de quatre mètres sur quatre. Deux ouvertures dans le fond étaient plongées dans le noir. Dans un coin, une caisse en bois sur laquelle brûlaient trois bougies. Et du plafond, comme des décorations macabres, pendaient des mains attachées à de petites cordes. Des dizaines de mains, ôtées des victimes par le tueur à la machette, étaient exposées, comme des trophées sanglants. Ari, le poing devant la bouche, réprima un haut-le-cœur.
- Ce mec est complètement taré ! Il faut l’arrêter, vite !
- J’espère que Liv n’a jamais eu affaire à lui, ai-je soufflé, inquiet.
- Je ne pense pas. A mon avis, les Machetes détiennent ta sœur et le tueur a agit seul, de son côté…
Notre petite discussion fut interrompue par les chuchotements furieux que nous avions entendus au départ. Ils étaient plus proches, venant des ouvertures en face de nous. Nous pouvions percevoir que c’étaient des paroles de colère et des insultes en espagnol. La mauvaise acoustique de cet espace clos, faisait se réverbérer les sons sur les murs. Nous n’arrivions pas à définir d’où ils venaient. Ari me regarda.
- Il est hors de question qu’on se sépare, déclara-t-elle. Tu n’es pas armé et tu es un civil. Tu ne devrais même pas être ici.
- Ne t’inquiète pas, ai-je répondu. Je te suis comme ton ombre.
Nous nous sommes engouffrés dans l’ouverture de droite. L’air y était irrespirable, malsain. Plusieurs encadrures de portes s’ouvraient, à gauche et à droite du couloir dans lequel nous étions, comme des bouches béantes prêtes à nous dévorer. Les chuchotements, les délires d’un fou qui parle tout seul, résonnaient de tous côtés. Mon cœur battait à tout rompre. J’avais peur. une peur glaciale qui me tenait aux tripes. C’était comme si je sentais que quelqu’un, tapi dans l’ombre, nous observait.
Et soudain, une lame aiguisée vint se placer sur ma gorge et une main solide m'agrippa les cheveux.
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