Chapitre 52 : “ Stockholm Syndrome” - Muse
Manolo était assis sur le sol de la petite pièce où Liv était retenue. Adossé au mur de blocs, il la regardait, plongé dans ses pensées. Elle s’était endormie sur l’amas de coussins et de couvertures qu’il lui avait apporté, tentant de lui fournir un semblant de confort. Il avait décidé de rester avec elle. Une sorte de confiance, et même d’affection, était née entre eux. Et pourtant, elle était toujours retenue contre son gré. A quoi bon ? Pourquoi retenir cette pauvre femme, la faire souffrir ainsi ? Pour satisfaire les désirs de la petite copine de son psychopathe de patron ? Et quel patron ? Manolo avait été loyal envers Eduardo Vidal jusqu’à sa mort. Il pensait que son fils suivrait la même route. En fait, il s’était montré bien plus cruel, froid et calculateur. Manolo n’adhérait pas à ses façons d’agir. Et l’enlèvement de Liv faisait partie des actions qu’il réprouvait. La regardant, il se dit qu’il avait envie de la laisser partir… Mais comment s’assurer qu’elle serait en sécurité…?
Il fut sorti de ses pensées par un cri qui retentit dans le bâtiment et qui réveilla Liv en sursaut. C’était la voix de Vidal, qui appelait Manolo. Il sortit à la hâte pour rejoindre l’escalier de métal et descendit dans le hall principal, où croupissaient les installations de l’ancienne raffinerie. L’odeur d’essence était plus forte à cet endroit, car certaines machines laissaient fuir le liquide, qui formait de grandes flaques noires et nauséabondes. Alejandro était là, accompagné de deux de ses hommes. Il avait l’air furieux.
- Où est-elle !? Amène-la ici !
- Que se passe-t-il ? demanda le géant.
- Tu n’es pas au courant ? éructa Vidal. Ouais, à rester ici avec cette pouf, tu as dû t’endormir ! Le cabrón qui lui sert de frère a détourné tout mon argent ! Il croit que je vais me soumettre ! Il va le regretter ! Va la chercher, ça suffit, je vais la buter !
Le sang de Manolo ne fit qu’un tour. Il sut à cet instant que quoiqu'il arriverait, sa route avait pris un changement radical de direction. Parce qu’il était hors de question qu’il livre Liv à ce monstre. Il se posta devant Vidal, lui barrant la route. Alejandro le fusilla du regard.
- Qu’est ce que tu fais, perro ¹ ? Bouge !
- Hors de question, répondit Manolo. Tu ne lui fera aucun mal.
Vidal le fixa, les yeux remplis de haine. Puis il haussa les épaules, faisant mine d’avoir changé d’avis. Il rebroussa chemin et sortit du bâtiment. Les hommes se regardèrent en silence, se demandant à quoi s’attendre. Quelques instants plus tard, le Jefe réapparut, muni d’un lance-flamme. Un sentiment d’urgence saisit Manolo, tandis que Marcelo et Fernando prirent la fuite. Vidal était fou de rage. Il était devenu incontrôlable.
- Qu’est-ce que tu fais !? cria Manolo. Cet endroit est une vraie poudrière, tu vas tous nous tuer !
- Rien à battre, répondit Alejandro. Il est temps de passer au grand nettoyage !
Manolo songea à Liv. Il devait agir, à tout prix. Il se dirigea vers Vidal dans l’intention de l’arrêter, mais celui-ci avait déjà enclenché son engin de mort, qui cracha une gerbe de flammes. Une chaleur brûlante envahit l’espace, comme un tsunami de feu. Les flaques d’essence s’enflammèrent et s’étendirent peu à peu en mer de flammes bleues. Manolo courut à l’étage. Il devait aller chercher Liv. Son cœur battait à la chamade. Déjà, une fumée âcre envahissait l’air respirable. Il déboula dans la pièce en toussant et trouva Liv, inquiète, qui se demandait ce qui arrivait. La fumée n’avait pas encore envahi la pièce. Pour le moment, elle était en sécurité. Manolo entendit Vidal rire comme un fou. Ses pas résonnaient sur les marches de métal. Il arrivait. Manolo regarda Liv et décida qu’il fallait agir vite. Il sortit de la pièce, en prenant soin de refermer la porte derrière lui. Juste à ce moment, Vidal l’aperçut et brandit le canon du lance-flammes vers le géant. Manolo saisit l’arme et l’arracha des mains de son assaillant, lui décochant un coup de boule par la même occasion. Vidal évita de peu l’attaque, sortant un petit couteau de sa poche. Il planta la lame dans les côtes du géant, qui poussa un hurlement de douleur. Il eut l’impression que son côté venait d’exploser. Il flancha un moment sous le regard triomphant de Vidal. Le géant remarqua l’air hautain de son opposant. Il allait atteindre Liv ! Poussé dans un soubresaut de rage, Manolo le saisit par le col et le souleva de terre. Ils étaient sur le palier de l'escalier de métal, et les flammes avaient déjà envahi le rez-de-chaussée. Alejandro, les pieds dans le vide, se démenait comme un pantin ridicule.
- Lâche-moi, bastardo² ! Je savais que tu finirais par me trahir !
- Si tu avais suivi les traces de ton père, on en serait pas là… Il ne se serait jamais engagé dans une affaire avec cette femme.
- Mon père !? répliqua Vidal, plein de mépris. Il n’avait aucune ambition. C’était un vieil imbécile… Il te considérait comme un fils, Manolo. Mais soyons réalistes… Un chien n’a rien à faire avec des loups.
Manolo décida que c’était la dernière fois qu’il se faisait traiter de chien.
- Peut-être, murmura Manolo. Mais un chien vivant vaut mieux qu’un loup mort.
Et Manolo lâcha Alejandro, qui tomba dans un cri strident et finit sa course tout en bas, dans le brasier infernal. Manolo regarda l’endroit où Vidal était tombé. C’était fini. Il était libre.
Il retourna auprès de Liv. La pauvre était terrorisée. La fumée commençait à s’immiscer sous la porte. Il fallait qu’ils partent, et vite. Mais impossible de descendre au rez-de-chaussée, qui était un véritable enfer. Manolo songea alors à un bureau au bout du couloir. Il y avait une fenêtre. Il prit Liv dans ses bras. Sa blessure au côté le fit souffrir mais il l’ignora et courut vers l’issue. Il ouvrit la porte d’un grand coup de pied. Il déposa Liv doucement et essaya d’ouvrir la fenêtre. Elle était bloquée. La fumée envahit la pièce. Le feu arrivait. La chaleur grimpait de secondes en secondes. Liv se mit à tousser. Il fallait agir. Vite. Pris par l’urgence, Manolo brisa la vitre avec chaise qui traînait là. Il entendit au loin des sirènes qui hurlaient. Les pompiers et la police arrivaient. Il regarda par la fenêtre. Il y avait une plateforme trois mètres plus bas. C’était leur seule chance d’en sortir vivants. Il s’approcha de Liv, qui était complètement paniquée.
- Je vais sauter. Puis vous pourrez me suivre. Ne vous inquiétez pas, je vous rattraperai.
- Je… Je ne sais pas si j’en suis capable, répondit-elle, tremblante.
Manolo lui caressa le visage dans un geste rassurant, la regardant dans les yeux.
- Vous pouvez le faire. J’en suis sûr. On va s’en sortir, je vous le promets.
Il lui sourit, essayant de la réconforter. Il se leva et se dirigea vers la fenêtre. Il enjamba le châssis. Il prit conscience de la hauteur de la chute. Mais il ne voulut pas reculer. Il saisit le bord et se laissa glisser, pour gagner quelques centimètres et lâcha prise. Il atterrit lourdement et sa cheville émit un craquement sinistre. il réprima un cri de douleur, conscient que Liv était en train de le regarder. Il leva la tête, tendant les bras.
- Allez-y ! encouragea-t-il la femme. Je vais vous rattraper !
Liv hésita, tremblant de peur. Puis elle passa ses jambes par-dessus le rebord. Assise, elle hésita encore un moment. Soudain une explosion fit trembler le bâtiment, soufflant un air furieux par les fenêtres. Liv fut éjectée et tomba de l’ouverture en hurlant. Dans un élan désespéré, Manolo se jeta en direction de Liv et l’attrapa in extremis, tombant lourdement sous elle, pour amortir le choc. Ses côtes étaient comme en feu, sa blessure commençait réellement à l'affaiblir. Liv remarqua qu’il saignait énormément.
- Oh mon Dieu ! Mais vous êtes blessé !
- Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas aussi grave que ça en a l’air… Et vous, ça va ? lui demanda-t-il, inquiet.
- Je… Oui…
Elle était en état de choc, tremblant comme une feuille. Manolo ignora sa cheville et son côté et la prit de nouveau dans ses bras, pour l’amener en lieu sûr.
Les voitures de police, suivies par deux camions de pompiers, arrivèrent dans un nuage de poussière, toutes sirènes hurlantes. Manolo était là, debout, portant Liv dans ses bras et derrière eux, le bâtiment pris dans les flammes infernales. A la vue du géant, les policiers sortirent de leur voiture et le mirent en joue, lui ordonnant de se rendre et de laisser partir l’otage.
- Il est temps de se séparer, déclara Manolo avec un sourire triste. Je dois payer pour mes péchés, et vous devez être en sécurité.
- Manolo… commença Liv.
Soulagé, maintenant que Liv était hors de danger, Manolo ressentit une grande fatigue. Il la déposa doucement sur le sol. Son corps cessa soudain d’ignorer ses blessures et il tomba à genoux, épuisé, vaincu.
Liv se précipita pour le soutenir.
- Ne vous inquiétez pas, la rassura-t-il… Tout va bien… Je dois juste… me reposer un peu…
- Je… Merci pour ce que vous avez fait, Manolo… Je… Je ne peux pas vous laisser…
- Ne soyez pas ridicule. Vous êtes libre, Liv. S’il vous plaît… Soyez heureuse. et pardonnez-moi pour le mal que je vous ai fait.
Elle ne put continuer, troublée par l’émotion. Les yeux pleins de larmes, elle prit Manolo dans ses bras et déposa un baiser sur son front. Ils virent une voiture banalisée arriver en trombe. La portière s’ouvrit et Jake en sortit, accompagnée d’une femme flic. Il hurla le nom de sa sœur et se précipita dans leur direction. Liv jeta un dernier regard au géant, et celui-ci lui fit un signe de tête, l’encourageant à aller retrouver son frère. Il leva les mains dans un signe de reddition et adressa un dernier sourire à Liv. Elle lui fit un signe de tête, reconnaissante, et courut sauter dans les bras de son frère. Des policiers arrivèrent et menottèrent le géant. Il souriait. Il était heureux. Liv avait retrouvé les siens et maintenant, tout irait bien pour elle.
Liv était sauvée. et lui, enfin en paix.
¹ : chien
² : bâtard
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