Inspiration

– C’est un ami à vous, cette personne qu’on va voir, Estèphe ?

– Un ami ?... Si on veut. C’est un jeune messager rebelle qui a profité d’une secousse pour quitter sa zone, il y a quelque temps. Apparemment la situation est encore pire qu’ici, là d’où il vient. Il s’est caché chez moi et je l’héberge depuis ce temps… Ne vous formalisez pas, comme c’est un rebelle, il parle avec des mots étranges, mais il est gentil… Voilà, on arrive…

– Il s’appelle comment votre ami, monsieur Estèphe ?

– Il s’appelle Estéban. Refermez bien la membrane derrière vous… Estéban ! Estéban ! C’est moi, Estèphe, tu peux te montrer, ce sont des amis à moi que l’on doit aider.

– Cé qui ces se-gus ? Un tout ieuv’ avec un che-mio, t’as des amis zarbi, mon tepo !

– Allez, Esteban, soit cool. Je les ai rencontrés pendant que je faisais la queue. Le vieux monsieur, c’est Étienne et le « che-mio », comme tu dis, il s’appelle Stéphane, comme le roi.

– Lut-sa, les keums !

– Figure-toi que ce petit m’a évité de passer des jours à rester dans cette maudite file d’attente parce que j’avais perdu mon message. Je leur dois une fière chandelle.

– Et cé wak leur prob’, Fe-Stè ?

– Hé bien, le petit Stéphane a perdu le nom de sa maman et il faut qu’il aille au bureau des mots perdus pour le trouver…

– Oui, j’ai quelque chose de très important à lui dire, à ma maman.

– Chut, Stéphane, Estéban est en train de parler.

– Et laisse wham devin’, tu euv’ un laissez-sépa, cé as ?

– Tout juste, je leur dois bien ça… Et toi aussi tu me dois bien un petit service depuis le temps, non ?

– Ouaim… Cé chelou quand même ton que-tru. T’es russe que cé ap’ des agents du naldicar au moins ?

– Mais non, t’inquiète pas, Estéban.

– Hé wat, le ieuv’, Cé wak ton plan ?

– Oh moi vous savez, j’ai passé l’âge d’avoir des plans… J’étais dans la queue des temps perdus quand j’ai rencontré le petit. J’avais ce rendez-vous chez le coiffeur à transmettre, mais j’ai décidé de l’aider. De toute façon, au train où vont les choses, je ne suis pas certain que le coiffeur soit si important que ça… Satané cardinal !

– Tain-pu ! J’peux ap’ saquer ce nard-co… À cause de ce lo-sa, j’ai du-père toutes mes mission-trans, ça èf des mois sans sage-mé. Cé pour as que j’me suis ré-ba… Et toi, tipeu, elle est où ta son-mé ?

– Hein ?

– Stéphane, mon ami Estéban te demande où elle est ta maison, où tu habites, quoi.

– Ben en fait, je ne sais pas plus, j’ai oublié… J’oublie beaucoup de choses, monsieur. Je crois que je jouais et puis je me suis perdu. Mais je dois retrouver le nom de ma maman parce que j’ai quelque chose de très important à lui dire…

– Ah. Le nom d’ta reum, hein ?... Et si tu l’ve-trou aux mots dus-per, tu vas faire wak après, pour lui lé-par à ta reum ? T’as wak à lui dire de si gent-ur ?

– Laissez-le tranquille, enfin ce petit garçon ! Il veut juste retrouver le nom de sa maman. Vous pouvez nous aider, oui ou non ?

– Attendez, Étienne. Estéban a raison… Qu’est-ce qu’il va se passer une fois que le petit aura le nom de sa mère ?... Stéphane, je crois que mon ami Estéban veut bien t’aider à trouver le nom de ta maman, mais après ça, comment vas-tu faire pour la retrouver et lui transmettre ton message ?

– Bah après ça, il faut que j’aille voir le roi.

– Le roi ?

– Le roi ?

– Le oir ?

– Oui, c’est grâce à lui que je vais parler à maman !

– Le roi… Mais tu te rends compte de ce que tu dis, Stéphane ? C’est très compliqué de voir le roi, tu sais. Si tu m’avais dit ça tout de suite, je…

– Ah bon sang ! Encore une secousse, accrochez-vous… Stéphane, donne la main à Étienne… Voilà, c’est passé… Elles sont de plus en plus fréquentes maintenant. Je ne sais pas vous, mais j’ai comme un mauvais pressentiment… À mon avis, il n’y a pas une minute à perdre si nous voulons aider le petit. On va d’abord trouver le nom de sa mère et pour le reste, on verra après. Estéban, qu’est-ce que tu peux faire pour eux ?

– Bah… J’peux bien vous ler-fi mon nier-der laissez-sépa. De toute çonfa, il me sert à queud’ ici. Et j’ai trois-deux doses de GABA en po-va au cas où…

– T’as du GABA, Estéban ? C’est complètement illégal !

– Et alors Fe-Stè ? Faut bien s’brouill’dé quand ça part en yeu-cou ! J’ai même du tothal-pen en pastilles, si vous voulez.

– Estèphe, c’est quoi ces produits, le GABA et l’autre truc ?

– Ce sont des substances interdites chez nous. Si le régulateur du cardinal l’apprend, on est mal…

– Mais pourquoi on aurait besoin de ça ? À quoi ça sert ?

– Hé bien, avec une dose de GABA au vaporisateur, on peut endormir les gardes à l’entrée de la zone. Si ça se passe mal, ils ne pourront pas transmettre l’alarme, enfin pas tout de suite… Quant à l’autre « truc », comme vous dites, Étienne, c’est un sérum de vérité.

– Mais je n’ai jamais manipulé de machins comme ça, moi. Et il est hors de question que je les confie au petit…

– Ne vous inquiétez pas, Étienne. J’ai décidé de vous accompagner.

– Nous accompagner ? C’est très gentil à vous, Estèphe, mais… Vous êtes sûr ? Et votre message ?

– Comme vous dites, je ne sais pas si les messages servent encore à grand-chose par les temps qui courent. Et puis… J’ai l’impression qu’il a quelque chose de spécial cet enfant.

– Alors vous allez venir avec nous, monsieur Estèphe, au bureau des mots perdus ?

– Oui, Stéphane. Étienne et moi, nous allons t’aider à retrouver le nom de ta maman…

– Merci beaucoup !

– Hé, tu peux aussi dire merci à Estéban : c’est grâce à lui qu’on va pouvoir entrer dans la zone du langage.

– Merci monsieur Estéban !

– Bonne ceu-chan, ti-peu !

– Ouais, merci Estéban, je ne regrette pas de t’avoir hébergé chez moi.

– De rien, te-po ! Adios gosse-ami !