Chapitre 1 : Dans l'obscurité de la cave
Fermant les yeux un instant, j’inspire doucement pour m’imprégner de toutes ces odeurs qui m’accueillent à chaque fois que je redescends dans la cave. L’odeur froide du bois qui prend de l’âge embaume la pièce. La poussière des livres parsemés sur les étagères et sur le sol est devenue mon quotidien. Malgré tout, malgré la solitude implacable, je ne la ressens pas. Du moins, pas lorsque je me pose sur mon lit, allume une petite bougie et me plonge dans mes nombreux récits. Les livres et les histoires, tels des compagnons fidèles, ne cessent de m’accompagner depuis ces derniers mois. Le sol froid sous mes pieds nus m’apporte un certain réconfort, mais une sensation familière me hante sans que je puisse me souvenir pourquoi.
La bougie allumée sur ma table de chevet, juste à côté du lit vétuste, j’attrape un ouvrage lu et relu, l’affectionnant particulièrement. Puis, je m’installe sous les couvertures. J’approche la bougie et commence à lire, plongeant dans l’histoire.
Il faut dire que la seule échappatoire à ma disposition sont ces ouvrages, déjà présents dans cette maison abandonnée, en bordure de forêt. Quand j’y pense, je me tiens dans l'obscurité suffocante de la cave. Une cave qui est devenue mon petit univers, mon refuge depuis quelques temps maintenant. Ici, je peux me permettre de ne pas couvrir mes yeux avec ce bandeau noir que je garde autour du cou en cas de besoin. Mais, lorsque je sors de cette pièce, je n’ai malheureusement pas le choix, surtout s’il fait jour. Au départ, je devais avancer à l’aveugle, ce qui se résultait par l’obtention de plusieurs bleus et coupures à force d’explorer la maison, privée de ma vision, le bandeau toujours serré sur mes yeux. Un rappel constant de ma condition.
Le temps semble une éternité, et parfois, je me demande combien de temps s’est écoulé depuis que je vis ainsi, obligée de passer mes journées dans le noir. Suffisamment de temps pour connaitre la maison, même s’il m’arrive encore de rentrer dans des meubles lorsque je sors le jour.
Heureusement pour moi, l’hiver est là, les nuits sont plus longues. J’en profite pour sortir respirer l’air froid du soir et me promener dans la fine neige craquant sous mes pas. J’observe le paysage enneigé et froid, mémorisant chaque recoin, chaque son.
L’odeur de l’herbe fraîche en hiver est à la fois vivante et délicate. Une odeur légèrement terreuse comme si le froid avait accentué la pureté de la terre. Quelques notes végétales, un peu de mousse humide sur les arbres et parfois, un soupçon de résine me parvient telle une empreinte discrète des arbres.
Les étoiles brillent de mille feux mais lorsque la lune apparaît, resplendissante, mon regard se détourne, ne voulant aggraver ma vision. Je ressens la douceur et une sensation de tranquillité hivernale, comme si le monde s’était endormi pour me laisser profiter de chaque instant.
Pourtant, les heures et les jours se confondent dans cette obscurité qui me semble éternelle...
Enfin bon… revenant à mon livre.
Alors que je lis tranquillement, cherchant un peu de répit dans ma mélancolie, un frémissement dans l’air stagnant me fait me raidir. Une drôle de sensation m’envahit, comme si je n’étais plus seule. Je pose mon livre sur le lit, éteins la bougie et m’avance vers les marches, tendant l’oreille.
Des bruits étouffés de pas à l'étage !
Des voix indistinctes et inconnues brisent le silence oppressant. Mon cœur se met à battre rapidement, personne n’est venu ici depuis des lustres !
Privée en partie de ma vision, mes autres sens se sont affinés au fil du temps, captant chaque nuance et changement dans mon environnement. Mon ouïe particulièrement, s'est développée étant toujours en alerte, me permet de distinguer deux voix et deux pas différents.
Des pas lourds et d’autres plus doux. Pas de claquement de talon. Ce doit être des hommes. Les voix, bien qu’essayant de rester discrètes, me parviennent clairement. L’une rauque et caverneuse malgré un effort pour murmurer tandis que l’autre, posée mais grave semble prendre le dessus.
Je m’éloigne des marches, me prépare instinctivement à recevoir ces visiteurs, s’ils s’avisent à entrer dans la cave. Alors que je cherche autour de moi, ma main se pose sur le balai, le seul objet ressemblant à une arme et qui est à portée de main… Je tente d’être la plus discrète possible pour dévisser la base pour n’avoir que le manche.
Les pas s’approchent…
Je finis de séparer les deux bouts du balai mais éternue involontairement dû à la poussière, ce qui trahit ma présence !
Les pas cessent un instant, suivis du mutisme des voix…
L’ambiance est pesante. Je n’entends que mon cœur battre à tout rompre dans mes oreilles... Puis, les pas reprennent rapidement, plus oppressants, tapant sur le sol. L'adrénaline monte en moi et fait vriller mes sens. Je me précipite dans le coin le plus proche, manquant de tomber et me guide du mur. Je dois me dissimuler. Le souffle suspendu, prête à affronter ces intrus qui ont pénétré ma demeure.
La porte grince et s’ouvre dans un fracas assourdissant. Ils sont juste en haut des marches. Seul cet escalier me sépare d’eux. Bien qu'ils chuchotent, leur voix raisonne.
– Quelqu’un est là, en bas. Chuchote la voix rauque.
Ce dernier descend d’une marche et celle-ci grince sous le poids de son pied, ce qui me fait frissonner de peur. Je resserre mon emprise sur le manche du balai en bois, prête à en découdre malgré mes tremblements.
Un pas, un grincement, un autre pas, un autre grincement… Ils finissent par descendre toutes les marches et se retrouvent à quelques mètres de moi. Un bruit sourd et chaotique retentit, la pile de livres s’effondre, le claquement des couvertures rigides et le bruissement des pages se froissant remplissent l’espace.
Seul mon cœur semble bruyant.
– Fait chier ! Grogne-t-il
Je lève mon bâton, prête à taper et m’enfuir quand j’entends :
– Pose ce balai ! Ordonne l’homme d'une voix forte et rude.
– Hors de question ! Hurlais-je paniquée
Pourquoi devrais-je poser la seule arme que j'ai pour me défendre ? Je secoue la tête avec obstination. L'adrénaline parcoure mon corps et me donne un coup de fouet. Sur mes gardes, prête à m'en servir. Ma survie dépend de ma détermination et de ce simple bâton. Je ne me laisserais pas dominer.
– Je ne me laisserais pas faire. Murmurais-je d'une voix tremblante mais ferme.
Sur ces mots, l'homme à la voix rude a le malheur de s'approcher.
Un pas, puis deux...
L’air bouge autour de lui et une odeur me parvient, mais pas le temps pour cela. Ni une, ni deux, je frappe de toutes mes forces au plus près du sol, visant ses genoux ou ses tibias dans l'espoir de le déstabiliser.
Je sursaute à son grognement, lui comme moi sommes surpris de mon geste et du résultat. L'homme se penche pour saisir sa jambe dans un réflexe instinctif, me laissant profiter de l’occasion pour m’échapper. D'un mouvement voulu fluide et rapide, je me glisse derrière lui et évite de justesse son emprise sur ma jambe.
Mon cœur bat la chamade, l'adrénaline pulsant dans mes veines, mon instinct de survie prend le dessus. Pas prête à faire face à l'autre intrus, je me rends compte que ma force est loin d’être suffisante. La lumière parvenant de l’étage m’oblige à fermer les yeux. Je ne sais pas où il se trouve... J’écoute et réagis rapidement. J’assène un coup devant moi, rempli de peur, de panique, de tristesse... Je ne touche rien ou presque... Avec le peu de force que j’ai, le bâton percute le mur et m’échappe des mains. Je n'ai plus d'arme, face à deux hommes. Que faire ?!
Les nerfs à vif, les larmes me montent aux yeux, dans un geste désespéré je cours vers les escaliers, essayant de m'aider du mur. En vain...
Je percute quelque chose à la fois moue et dur et perds l'équilibre, me retrouvant étalée par terre. C'est à quatre pattes que j'avance à tâtons, ma main droite arrive désespérément sur la première marche. J'accélère le mouvement et monte les marches aussi rapidement que possible, les mains en avant, servant de repères.
Les pas des hommes se précipitent à ma poursuite ainsi que les grognements. Une fois arrivée en haut, je ferme rapidement la porte derrière moi et me dépêche de mettre mon bandeau sur les yeux. Dans la panique, je cours et me cogne à plusieurs reprises contre les murs et les meubles.
Je sens la chaleur du soleil sur mon pied droit… La porte est ici !
J’accélère le mouvement.
A peine le pied en dehors de la maison que l’on me saisit la par la taille et on me soulève du sol comme si je ne pesais rien. Je me débats, je crie à pleins poumons, essayant de me défaire des bras qui m'encerclent la taille, donnant des coups de pieds derrière moi. L'homme qui m'a attrapé resserre son emprise, ce qui me coupe le souffle.
Mon cœur bat si fort que j'ai l'impression qu'il va exploser. Je crie, je m'agite, mais il est trop fort...Le désespoir s'empare de moi…et petit à petit, mes forces me quittent. Je perds de l’énergie, essoufflée, mes mouvements s'amenuisent également. Tremblante, les larmes coulent sur mes joues...
Qui sont-ils…Pourquoi sont-ils venus ici...Veulent-ils me tuer ?
– Je vous en supplie... Ne me tuez pas. Suppliais-je en larme, le souffle court.
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