Chapitre 5
Kase finit par se coucher, Marc étant responsable de la garde. Je n’entends que le bruit blanc de la salle de bain, ma respiration, Marc soufflant sans cesse. Le lit grinçant. Il tourne et tourne dans le lit.
Au bout d'un moment, les ronflements finissent par envahir le silence. Profonds et irréguliers. Suffisamment bruyant, m’indiquant que Marc s’est également endormi.
Parfait !
A moitié engourdie, je tente de me relever. Appuyant mon dos contre la paroi. J’avance mes mains vers mes chevilles et attrape la corde. Tâtonnant, je trouve le nœud et le manipule.
Le nœud est serré. Mais avec du temps, je pourrais le desserrer. C’est une tâche fastidieuse, surtout dans une baignoire, dont les mouvements sont restreints mais également douloureuse.
Mon cœur bat si fort que j'ai l'impression qu'il va éclater dans mes oreilles. L'adrénaline coule à flot, chaque goutte de sueur perlant sur mon front est imprégnée de peur et d’empressement. Tous mes muscles sont en alerte. Tendus. Défaire ce nœud est extrêmement long. Tirant millimètre par millimètre. Priant pour qu'il cède. Malgré tout, je parviens à le défaire. Il faut croire que la fatigue a joué sur l'efficacité de Marc.
Mes poignets sont une autre histoire... En bougeant pour libérer mes chevilles, la corde autour de mes poignets s'est encore plus resserrée, me lacérant la peau. Je grimace. La douleur est vive. Je n'ai pas le choix, je dois faire avec.
Une fois mes jambes libres, je les étire. Je me redresse lentement, mon cœur tambourinant à tout rompre. Je me retrouve à quatre pattes dans la baignoire. Mes bras appuyés sur le rebord. Une jambe après l'autre, je sors de la baignoire. Mes pieds nus et abimés touchant le carrelage froid. Je me relève et d'un pas incertain, je m'avance vers la porte, sur la pointe des pieds. Mes mains tremblantes posées sur la poignée. Je dois m’y reprendre à plusieurs fois pour réussir à la saisir.
– Bouge pas ! Marmonne Marc.
Je ne bouge plus. Ne respire plus. Mon cœur rate un battement.
Il parle en dormant.
Précautionneusement, je tourne la poignée. Je dois forcer un peu pour la pousser. Je l’ouvre. Oh non, attends ! Est-ce que la salle de bain est éteinte ? Dans le doute, je prends le risque d’abimer mes yeux et soulève le bandeau. Il fait noir. Que ce soit dans la salle de bain ou dans la chambre. Je soupire et le replace.
À pas de chat, je me faufile dans la chambre du mieux que je peux. Je m’arrête par moment lorsque j’entends leur respiration changer de rythme. M'appuyant contre les meubles pour me stabiliser et me diriger. Chaque pas est un défi. Chaque craquement. Chaque souffle... Tout menace de me trahir. Les ronflements vacillent à chaque bruit. Me figeant sur place, le cœur battant. Je sens le bois des meubles, le tissu d’un habit. Puis, en tâtonnant, ma main heurte un objet qui tombe au sol avec fracas. Des clefs !
Je m’accroupis rapidement, et les cherches sur le sol. Je retiens mon souffle lorsque les ronflements cessent et que j’entends le grincement d’un des deux lits. Je ne bouge plus. Est-ce qu’il me verra dans le noir ?
Un grognement retentit et deux pieds se posent sur le sol.
– Les clefs ? Attends...mais qu’est-ce que tu fou ici ?! S'écrie Marc. Oh je vais t’attraper ! Hurle-t-il.
Comment il fait pour me voir dans le noir ?! J’ai vérifié lorsque j’ai ouvert la porte !
Je me précipite sur la porte, marchant sur les clefs qui me piquent. Cherchant frénétiquement la poignée. Mes doigts ne rencontrent que le bois froid et lisse. Puis le froid du métal. Je tourne la poignée. Elle tourne dans le vide ! La panique me prend à la gorge.
Avant même que je réfléchis à une autre solution, une main puissante me saisit. Je me débats. Tente de crier. La gorge nouée. Le souffle court. Tout s'arrête d'un coup. Un bâillon me serre la bouche et la mâchoire. Je gémis de douleur et tape aussi fort que je le peux.
Mes forces me quitte. Mon crâne me lance. Mon esprit est embrouillé, complètement dans le noir.
– Tu ne t'échapperas pas, souffle-t-il avant que je sombre dans l’inconscient. Il vient de m’assommer...
Lorsque je reviens à moi, mes muscles me font mal, ma tête est lourde… J’en ai le tournis. Je tente de bouger, mais mon corps est lourd. Chaque muscle criant de douleur. Je lève mes bras pour me frotter les tempes. Réalisant rapidement qu’ils sont toujours attachés. J'émets un petit cri de douleur et de surprise dû à mes pauvres poignets, étouffé par le bâillon. Je reprends lentement conscience de ma situation.
Je suis de nouveau attachée, bâillonnée dans cette froide baignoire.
Combien de temps ai-je été inconsciente ?
Ma tête me fait horriblement mal. Comme si des aiguilles y étaient enfoncées...
Je prends le temps qu’il faut mais je finis par me décaler suffisamment pour avoir le visage collé contre la paroi froide de la baignoire. Le contact du froid sur ma peau m'apaise. Cela fait du bien à mon pauvre crâne, mais me donne aussi des frissons, parcourant mon dos. Je ne bouge plus et reste ainsi, me reposant la tête et essayant de calmer mon esprit embrumé. Le silence règne. Seule ma respiration, lourde et irrégulière se fait entendre.
Seule ma respiration...
Je réalise mes propos. Tend l’oreille et écoute. Je relève la tête, ce qui n'est pas une bonne idée car elle retombe directement et je me cogne contre la paroi. Aïe ! Cela n'aide pas ma migraine. Malgré le bruit de choc et l’écho dans la salle de bain, rien d’autre. Je ne perçois aucun autre bruit. Que ce soit des mouvements, des ronflements. Pas discussions ni de lit qui grince. Rien. Un cri, même étouffé, aurait dû les alerter. Pourtant, il n'y a aucune réaction.
Suis-je seule ?
Je tente de bouger mes chevilles, mais les nœuds sont plus serrés que jamais. Je tire dessus avec force, mais rien n'y fait. L'épuisement, le mal de tête et les brûlures des cordes me submergent, réduisant le peu d'énergie qu'il me restait.
Que vais-je devenir ? Quelqu'un viendra-t-il à mon secours ?
Je soupir.
Quand j'y pense, je ne sais plus qui je suis...A dire vrai...Est-ce que je l’ai déjà su un jour ? Depuis aussi loin que je me souvienne, j'ai vécu dans cette maison, un peu pittoresque et délabré par endroit, mais je l’aime bien malgré tout. Quelques souvenirs me reviennent vaguement. Ils me manquent parfois. Je me demande s’ils vont bien...
Je vivais avec un petit groupe, avant. Nous riions, partagions des repas... mais ils sont partis. Me laissant seule. Le temps était bien plus paisible que maintenant. Ces souvenirs remontent d’il y a quelques mois maintenant. Aujourd’hui, je suis seule. Le penser me fait constater de la tristesse que je refoulais. Je n’ai jamais aimé être seule. La sensation d’avoir toujours été entouré ne me quitte pas. Mon cœur se serre et la peine m’envahit.
Ce n’est qu’une sensation. Peut-être que j’ai de la famille qui me recherche ? Je l’espère du fond du cœur… Enfin bon. Ils m’auraient sans doute trouvé depuis le temps. Je me suis habituée au calme. Ne plus entendre leur rire, leur discussion… Ils ne sont jamais revenus. C’est ce qui me peine le plus.
Quelques échos m'étaient parvenus. Ces derniers échangeant autour d'un retour aux sources. Ils voulaient rentrer chez eux. Il faut croire qu'ils se sont décidés à partir, me laissant derrière eux. Peut-être qu'ils avaient raison. Qui voudrait s'occuper d'une malade, qui ne peut pas voir la lumière du jour sans souffrir ? C'est pour cela que je porte ce bandeau. Du moins, l'une des raisons. Ce n'est pas par choix, mais par nécessité... Tant que ce poison coule toujours dans mes veines...
Que faire ? Une seule solution m’est venu durant l’année écoulée et ce n’est pas sans souffrir davantage et sans risque...
Mon esprit refait surface, revenant sur ma situation actuelle. Il me faudrait quelque chose pour trancher ou brûler ces cordes…Quelque chose...mais quoi ? Une idée me frappe : les allumettes ! Elles sont encore cachées dans ma brassière. Je me tortille, répriment la douleur. Rapprochant mes mains de ma poitrine, je soulève difficilement mon pull et les glisses dessous. Du bout des doigts, je passe sous ma brassière et sens la petite boite. Chaque mouvement enflamme mes poignets.
Enfin !
Je parviens à les attraper après plusieurs tentatives. Ma respiration lourde sous l’effort et la douleur, je parviens à extraire une allumette de la boite sans doute renverser. La craque contre le carton. Elle brûle ! Elle me brûle les doigts puis s’éteint. Laissant une petite odeur de fumée. Je réessaye. J’en reprends une. La craque. Rien. Encore une. Elle brûle. Elle me brûle les doigts et je la lâche sur moi. Mon pull ! Je me dépêche d’étouffer l’allumette avant qu’elle enflamme mon haut. Ce n’est pas passé loin !
De nombreux essais sont nécessaires avant que je parvienne à en garder une allumée. J’approche mes mains de mes chevilles, brûlant lentement la corde. La douleur est intense, mais supportable puisque la récompense en vaut la peine : ma liberté !
Une allumette, deux, trois... Il ne m'en reste plus beaucoup.
Petite flamme, brûle cette corde s'il te plaît !
Il m'aura fallu beaucoup de temps, les doigts et chevilles brûlés, mais je parviens à me libérer complètement. Mes chevilles sont libres. Je me hisse hors de la baignoire, m'agrippant désespérément au bord. Je chancelle, mes jambes sont faibles sous mon poids, je tombe lourdement sur le sol. Mes bras sont épuisés et tremblants. Je me redresse avec difficulté. Chaque muscle de mon corps hurle de douleur, et chaque mouvement me coûtant un effort titanesque.
Je parviens enfin à quitter la salle de bain en poussant la porte. Il me faut encore quelques minutes pour que je tienne plus ou moins debout. Avec précaution, je soulève légèrement mon bandeau et entre ouvre un œil. La pièce. Sombre. Vide. Pas si sombre, le rideau filtre toujours un brin de lumière.
C'est dans un soupir de soulagement que je place mon bandeau sur le front, me permettant d’observer de nouveau mon environnement. C'est dur. Très dur d’utiliser mes yeux mais mes solutions sont minces. J'avance doucement dans la pièce, cherchant du regard un quelconque indice de l'endroit où je me trouve. Un moyen de défaire la corde restante. C'est là que mes yeux se posent sur une paire de lunettes de soleil presque opaques, posée sur la table de nuit. Je m’avance, remarque une petite carte de motel. Je suppose donc que je suis dans un motel. Mon œil est attiré par un objet noir sur le lit. Une large veste en cuir, oubliée ou laissée sur le lit par mes ravisseurs. Je tâtonne la veste et trouve un objet dans une poche. Un objet métallique dans la poche droite. En m’aidant de mon genou pour maintenir la veste en place, j’arrive à ouvre la fermeture éclair et à sortir l’objet métallique.
Un couteau suisse. Il me sera bien utile.
Précipitamment, je m’assoie sur le lit, ouvre fébrilement le couteau et le place entre mes pieds. Je m’aide de ces derniers pour le maintenir et couper petit à petit la corde. Enfin libre ! Je vire rapidement la corde coupée, récupère le couteau suisse, le referme. J’enfile la veste, trop grande pour moi. Elle me réchauffe le corps. Un peu de réconfort. Tient elle sent la menthe-poivrée.
Me lèvre, récupère les lunettes et les portes. Le couteau suisse dans la poche avec le style. Au final, il ne me servira pas.
Les lunettes portées, je réarrange mes cheveux et ferme la veste.
J'inspire fortement et m’avance vers la porte. Fermée à clef. Je m'en doutais. Je m'approche donc de la fenêtre. Heureusement que j'ai les lunettes qui me protègent suffisamment du soleil, sinon j'aurais dit adieu à ma vue pendant un long moment.
Je lutte avec la fenêtre, la tirant, la poussant vers le haut comme vers le bas. Jusqu'à ce que je réalise qu'il y a un loquet à déverrouiller... Sérieux...Je le déverrouille. Ouvre la fenêtre, et me glisse à l'extérieur. L'air frais m'accueille. LE soleil me brûlant les yeux malgré tout, mais plus sur le contraste de luminosité. Les lunettes visées sur le nez, je m'éloigne rapidement du motel. Sans direction précise, mais déterminée à m'éloigner d'ici. Le soleil dans le dos. Une prévention pour ma vue.
Je dois survivre. Je vais survivre.
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