Chapitre 7
La route s’étire à perte de vue, serpentant entre les collines où l’herbe sèche plie sous le vent. Parfois, un panneau apparaît, couvert de rouille et de givre, indiquant un nom de ville qui s’efface par le temps. Les paysages défilent, le soleil continue son ascension dans le ciel. Quelques nuages gris, le vent qui siffle. Dans la voiture, l’air est lourd, saturé d’une odeur de plastique chauffé, la sueur… Ils chauffent l’habitacle de leur corps. On est en hiver, il fait froid mais ils sont en tee-shirt. Je veux bien que les hommes ont le sang plus chaud que les femmes, mais quand même, il fait presque chaud dans la voiture !
Je garde les lunettes bien vissées sur le nez, tentant de me protéger des rayons brûlants. Le silence reste présent, rendant l'atmosphère lourde et pesante. Un arbre, puis un autre. Cela ne s'arrête pas. Ce trajet semble interminable. Chaque minute qui passe me rapproche un peu plus de l'inconnu. Le soleil fini par être bien haut dans le ciel, réchauffant mon visage, brûlant petit à petit mes yeux derrière les verres teintés.
Owen consulte très régulièrement son téléphone, son visage impassible. Des vibrations et une sonnerie. Il lève son téléphone à la hauteur de son oreille, le regard toujours fixé sur la route. Ses doigts tapotent distraitement sa cuisse pendant qu’il écoute. Il ne fronce pas les sourcils, ne montre ni stress ni agacement. Juste ce calme froid et distant. Puis, il parle.
– Oui
Une pause
– Un imprévu
Un autre silence. Un pincement imperceptible de ses lèvres.
– C’est ça, une gêne.
Il me jette un bref coup d’œil par le rétroviseur intérieur.
Je retiens un soupir. Une gêne. Voilà tout ce que je représente pour eux. Ils ne savent pas encore ce qu’ils vont faire de moi...
A l'autre bout du fil, une voix d'homme lui répond. Une voix grave. Impossible de distinguer ce qu'elle dit. Je le saurais bien assez tôt.
Nous traversons de nombreuses villes, chacune différente de la précédente, avant de nous engager sur un chemin de terre. Les arbres se multiplient et sont à perte de vue. La forêt reste majestueuse, recouverte d’un manteau neigeux d’une blancheur éclatante. Les arbres dénudés de leurs feuilles, se dressent tels de sombres silhouettes. Des chênes, des châtaigniers, des sapins… Les branches, alourdies de neige, se referment au-dessus de nous telle une arche donnant l’impression d’une belle cage brillante, filtrant les quelques rayons du soleil.
Le sol ressemble à une mer calme, immobile d’une neige cristalline où la neige se tasse sous le poids du véhicule, laissant les empreintes profondes de son passage. L’air est froid et humide, chargé d’une douce odeur de mousse et de bois froid. Mes narines se dilatent, emplissant mes poumons et profitant de la pureté des lieux malgré les effluves de la voiture. Le silence règne, à peine perturbé par le bruissement discret des flocons de neiges tombant doucement, ou le craquement occasionnel d’une branche si ce n’est par les chants de quelques oiseaux hivernaux.
La beauté du paysage me coupe le souffle. Je frissonne et une sensation d’étouffement m’envahit alors que nous nous enfonçons toujours plus profondément dans la forêt. Un frisson glacial remonte le long de ma colonne vertébrale. Plus nous avançons, plus le paysage devient sauvage et désordonné. Le bruit du moteur résonne dans cette forêt silencieuse.
Par endroit, la forêt semble presque figée dans le temps, mais entre les troncs, des ombres furtives apparaissent, trop grandes pour être des renards et trop rapides pour être des cerfs ou des brebis. Des hurlements de loups retentissent et des yeux luisant apparaissent, proches du chemin. Les loups suivent le véhicule d’un regard perçant. Un loup au pelage gris s’avance légèrement, accompagné d’un second au pelage marron. Quelques pointes de blanc, une touche personnelle de l’hiver.
Une drôle d'impression germe en moi. Une sensation de déjà-vu, bien que floue, un mal de tête m’assaille.
Du coin de l’œil, j’aperçois une fourrure rousse se cachant entre les arbres, un renard en pleine chasse.
Je soupire, pose ma tête sur la vitre et ferme les yeux un instant. Plus les minutes s'écoulent, plus des voix, des cris et des rires me parviennent, lointains d'abord, puis plus clairs. Lorsque je les ouvre, le véhicule ralentit davantage et le paysage s’ouvre brusquement sur un tableau improbable. Des habitations aux belles façades. Un village ou bien une ville, caché au cœur de la forêt. Les habitations sont tout simplement sublimes. Tout dégage une harmonie presque surnaturelle, comme si chaque pierre avait été posée avec un soin millénaire. Des enfants courent entre les maisons, riant à gorge déployée, tandis que des adultes, hommes, femmes, et même des animaux, vaquent à leurs occupations. Une femme ajuste son panier sur sa hanche, son sourire figé, tandis qu’un vieil homme fronce les sourcils en observant la voiture.
On pourrait croire à un petit coin de paradis. Ne soyons pas crédules, rien ne peut être aussi beau, surtout pour moi…
Plusieurs regards se tournent vers nous. Certains nous saluent d'un signe de la main, pendant que d'autres me dévisagent avec méfiance. Des échanges silencieux, des yeux qui se plissent. Peut-être un brin de curiosité. Malgré tout, je sens que ma présence ici est loin de passer inaperçue et ne sera pas acceptée. Une boule au ventre apparaît.
Quelque chose d'étrange flotte dans l'air. Est-ce seulement mon impression ?
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