Chapitre 8 : De nouveau dans une cave

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Le véhicule finit par s'arrêter non loin d'une grande demeure, au milieu du village. Dès que le moteur s'éteint, une vague d'anxiété me submerge, et je me crispe, m'attendant à tout. Les deux hommes sortent du véhicule, la portière claque dans un bruit sec qui résonne dans l'air. Owen se dirige vers un petit groupe de personnes qui s'est approché. Il les salue, et je perçois des bribes d'échanges. Son ton calme et calculateur. Marc, quant à lui, ouvre brusquement ma portière et m'attrape violemment par le bras gauche, m'arrachant à l'habitacle. Je perds l'équilibre et m'effondre lourdement au sol. La douleur éclate dans chaque fibre de mon corps. Les lunettes glissent de mon nez et tombent dans la poussière. Par réflexe, je lève rapidement mon bras pour protéger mes yeux de la lumière aveuglante du soleil. Je suis pathétique… Mon bandeau n’est plus sur le front, il est tombé ! Je le cherche avec mes mains, seule la poussière et des brins d’herbes passent sous mes doigts.

– Vu comme elle semble fragile, évite de nous la casser. Soupire Owen. Aller, mettons-là dans la cave. Nous verrons ce que l'on en fait une fois que le chef sera revenu de son excursion.

Marc me lève sans ménagement, ramasse mon bandeau. Ses doigts s'enfoncent dans ma chair, et me pousse en avant. Mes pieds traînent sur le sol, mais je n'ai pas d'autre choix que de suivre, trébuchant et m'écorchant les pieds à chaque pas.

Il m'entraîne sur le côté de la demeure, une porte en bois massif s'ouvre sur un escalier. Chaque marche résonne sous mes pieds. Un bruit creux qui semble s’enfoncer dans les abimes de la terre, une impression d’être amené à son tombeau, un dernier lieu de repos.

La lumière du jour disparaît peu à peu, remplacée par la pénombre et l'air oppressant. L’odeur me frappe : un mélange de poussière, de bois humide et de métal rouillé. L’humidité s’accroche à ma peau.

Arrivée en bas, Marc m'emmène au fond et me jette presque dans une pièce étroite avec mon bandeau. Par la suite, la porte claque derrière moi dans un bruit sourd, suivi du son de la clef qui tourne dans la serrure. De nouveau enfermée, dans une cave, mais sans le confort et la liberté dont je jouissais il y a peu.

Je protège mes yeux de mes mains et observe la pièce en regardant entre mes doigts. Il n'y a pas beaucoup de lumière et je suis seule dans la pièce. Je peux donc regarder librement.

La pièce est exiguë, à peine éclairée par un rayon de lumière qui filtre à travers les barreaux d'une minuscule fenêtre en hauteur. Un lit miteux, un matelas simple et usé, posé sur le sol, occupe un coin de la pièce. A côté, un évier en pierre et un vieux robinet d'où s'écoule un filet d'eau froide. Rien d'autre. L'air est plein de poussière, chaque respiration me pèse dans la poitrine. Je me laisse tomber sur le matelas, qui rejette encore plus de poussière sous mon poids, tousse et serre le bandeau que Marc m'a négligemment jeté avant de partir.

Les heures passent, du moins, c'est la supposition que je fais en constatant le déclin de la lumière à travers la fenêtre. Je fixe le plafond et trace du regard des fissures imaginaires. Le silence pèse, mais il est parfois brisé par des bruits infimes : les craquements du bois, un souffle d’air sous la porte, des pas au-dessus de ma tête, des voix lointaines, des rires, des cris d'enfants… Dans cette pièce aucun bruit, mais dehors la vie resplendit, elle se poursuit. Mon esprit se met à me jouer des tours. Est-ce un pas ? Quelqu’un qui m’observe à travers la serrure ? Je retiens mon souffle, tendant l’oreille, mais tout redevient muet.

La nuit tombe petit à petit. A un moment, j'entends des éclats de rire d'enfants, leur curiosité les ayant poussés à s'approcher de ma prison.

– Selon Jacky, ils ont ramené une femme ou ce qui y ressemble. Elle est moche comme un pou et puerait. Dit un garçon.

– Beurk ! Pourquoi l'ont-ils ramené ? Je ne veux pas m'en approcher moi ! Dit un second.

– Ne parlez pas trop fort on va se faire remarquer ! Ricane une petite.

Je me redresse espérant entendre quelque chose qui me soit utile, mais leurs voix s'éloignent vite, suivies par le ton ferme d'adultes les chassant.

Sans occupation, le temps s'étire en une monotonie écrasante. Seule dans cette cave sombre, je me retrouve seule face à moi-même, perdue dans mes pensées. De temps en temps, la porte s'ouvre pour qu'on me pose une assiette avec un peu de nourriture, sans un mot, sans un regard. Mon existence actuelle est réduite à l'essentiel : respirer, manger et attendre.

Je me surprends à imaginer d'autres scénarios possibles à toute cette histoire. Si j'avais réussi à m'enfuir dans la forêt ou dans la ville. Si je n'avais pas ce problème aux yeux. Si je me souvenais de mon passé... Quelques bribes me reviennent, mais cela reste flou. Je me souviens de certaines voix associées à des visages indistincts, tout cela issu de mes souvenirs.

Puis un jour, le lendemain ou surlendemain, l'ambiance change. Il y a de l'agitation dans le village, des éclats de voix dont il m’est impossible de distinguer clairement. Le bruit monte jusque dans la maison, plus fort, plus insistant. On dirait que leur fameux chef est enfin revenu. Les voix sont plus graves, plus autoritaires, comme si des ordres sont donner et à recevoir.

Depuis, c'est Owen qui m'apporte à manger. Il ouvre la porte en silence, me tend une assiette un peu plus garnie, avec un morceau de viande, puis s'installe sur une chaise juste devant la porte, un regard scrutateur posé sur moi. Il ne dit rien pendant de longues minutes, comme s'il attendait que je parle en premier.

Quand il finit par poser des questions, sa voix est douce, mais je sens la pression derrière ses mots.

– D'où viens-tu vraiment ? Il pose la question doucement, mais il y a quelque chose d’insistant dans son regard. Owen soupire et croise les bras. Comment as-tu survécu aussi longtemps seule ?

Cette dernière question, simple mais lourde de sens, cache son intérêt pour mon état physique et le port de ce bandeau.

Je le regarde sans répondre, mes lèvres se serrant involontairement. Je ne peux pas répondre. Je ne sais même pas comment formuler une réponse qui pourrait lui convenir. Que puis-je lui dire si moi-même je n'ai pas toutes les réponses ?

– As-tu été envoyée par quelqu'un dans cette maison ? Une personne qui aurait eu vent de nos recherches ? Poursuivit-il lors de sa seconde visite, peut-être deux heures plus tard. Le ton plus insistant.

A chaque fois, je reste silencieuse, mes pensées tourbillonnant sans résultat précis. Je ne sais pas pourquoi je suis ici, et je ne sais pas ce que je peux répondre sans que cela ne devienne une raison pour eux de se débarrasser définitivement de moi.

Owen finit toujours par se lever, refermant la porte à clef derrière lui, laissant dans son sillage un mélange de frustration et d'inquiétude. Un jour passe, puis un autre et encore un autre.

Parmi ce défilement des jours, il m'apporte un petit quelque chose, autre chose que des questions : une bassine en plastique et une serviette.

– Tu devrais te laver, dit-il simplement avant de tourner les talons.

Ce geste inattendu me laisse perplexe. Après tout, je ne me suis pas lavé depuis... je ne sais même plus quand. Une semaine est passée, non ? L'eau froide qui coule de l'évier me semble être une maigre consolation, mais je profite de cette rare occasion pour me débarrasser de la saleté accumulée sur ma peau. Il s'agit là d'un petit moment de répit dans cet enfer.

Je commence par me laver le visage, le cou et la nuque, puis le reste, en restant cachée sous mes vêtements, au cas où. Il m'est également possible de me rincer les cheveux. Quel plaisir ! Ce n'est peut-être qu'avec de l'eau, mais c'est toujours ça de gagné.

Le temps passe, deux jours ou peut-être trois autres, sans que rien ne change réellement. Owen vient de moins en moins jusqu'à ce que plus personne ne vienne. Pas même pour me donner de quoi manger. L'attente devient insupportable.

Puis, tard dans la nuit du troisième jour, des pas légers résonnent à l'extérieur, près de la fenêtre. Je me redresse, tendant l'oreille. Une voix fluette se glisse dans le noir, presque un murmure.

– Pssst... Vous êtes réveillée ?

Je me fige, ne sachant pas si je devrais répondre ou non. La voix est douce, empreinte de curiosité. Une jeune fille. Est-ce un piège pour m'avoir ?

– J'ai apporté un peu de nourriture, chuchote la voix. Vous devez avoir faim...

Quelques instants plus tard, une main passe à travers les barreaux, déposant un morceau de pain et une pomme sur le rebord de la fenêtre.

– Mangez vite, avant que quelqu'un ne vienne. Ajoute rapidement la jeune fille.

Je tends la main et récupère la nourriture. Lorsque mes doigts touchent le pain je ressens sa chaleur contre ma peau. Mais également le vent froid du soir. Je prends une bouchée, et le goût me frappe : trop sec, trop simple...et pourtant, c’est la meilleure chose que j’ai mangée depuis des jours. J’avale goulûment. Mon ventre criait famine.

– Votre main ! Elle est toute abimée ! Je ne sais pas qui vous êtes, ni ce que vous avez fait, mais vous ne devez pas être dans un super état.

Est-ce de la pitié ?

Je bredouille un merci entre deux bouchées. Puis, tout aussi discrètement, la présence s'éclipse, laissant derrière elle un sentiment de réconfort inattendu. Pour la première fois depuis mon arrivée, quelqu'un a montré un semblant de gentillesse à mon égard.

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