Chapitre 9 : Une rencontre sous la nuit
Tiana
Quand je pense qu'ils ont ramené une jeune femme qui était seule, enfermée dans une cave. Je ne suis pas censée avoir cette information tout comme je ne devrais pas savoir qu'elle est en mauvaise état et possiblement en mauvaise santé. Mais, c'était plus fort que moi. Lorsque j'ai appris la nouvelle d'une étrange femme ramenée par Owen et Clarcsh, j'avais absolument envie d'en savoir plus. Malheureusement, comme souvent, je suis mise à l'écart des informations.
On me répète souvent « Tu es bien trop curieuse, ce n'est pas à toi de t'occuper de ça... ». J'en ai marre qu'on me mette toujours de côté.
Certes, je suis plus jeune que mon frère et je ne suis pas la cheffe, mais, cela ne devrait pas m'empêcher de participer activement à la vie et l'organisation du village !
Alors, dès que la nuit se présente, j'attends patiemment que tout le monde dort. Une pomme et un bout de pain mis de côté, pensant qu’elle a faim, je ne reste pas là à ne rien faire ! Je veux en savoir plus sur elle !
C'est pour cela que je me suis retrouvée dans cette situation…
Je m’étais dirigée vers la fenêtre de la cave donnant sur sa « cellule ». Après quelques échanges, du moins, quelques mots dit de mon côté, j’avais pu constater l’état de ses mains et entendre sa famine. Une fois ma petite escapade réalisée et ma mission achevée, je fus vite prise la main dans le sac lorsque je voulais rentrer dans la maison. Mon cher frère m'attendait dans la cuisine, dans le noir. Il allume la pièce, ce qui a le don de me faire mal aux yeux quand je n'y suis pas préparée.
Bien entendu, il fallait que mon frère ait une meilleure ouïe que moi et que je n'hérite pas des gènes de discrétion de notre mère...
– Que faisais-tu dehors à cette heure-ci ? Grogna-t-il
Il n'aime pas me voir sortir tard le soir, seule et sans prévenir. Cela se comprend. Après tout ce qui s'est passé, je ne peux pas lui en vouloir d'être devenu très protecteur envers moi.
– Je me dégourdissais les jambes. N'arrivant pas à dormir, je me suis dit que l'air frais me ferait du bien. Racontant un mensonge parmi une possible vérité. Je suis désolée, je n'aurais pas dû…
Vu l'expression qu'il affiche, il ne me croit pas.
– La curiosité est une très bonne qualité lorsque l'on sait l'utiliser et que l'on connaît les limites du raisonnable. Toi, tu ne les connais pas et c'est bien ça le problème. Alors au lieu d'essayer de me mentir aussi effrontément, avoues. Me sermonne-t-il.
Par la suite, son sermon continue pendant quelques minutes jusqu'à ce qu'il finisse par me congédier dans ma chambre et bien me faire comprendre qu'il me tiendrait à l'œil.
Croit-il réellement que me surveiller et m'ordonner de rester dans ma chambre changera quelque chose ? Il se trompe !
Malgré tout, maintenant je me retrouve tout de même enfermée dans ma chambre et je n'arrive décidément pas à dormir. Trop de questions se bousculent dans ma tête. Qui est cette femme ? Pourquoi l'ont-ils ramené ? Pourquoi est-elle dans cet état ? Est-ce seulement ses mains ou bien son corps entier est abîmé ?
C'est décidé ! Je retournerais la voir demain soir ! Mais il faudra que je sois plus prudente encore. Il me faut un plan. Un plan... Si je ne peux pas passer inaperçue en sortant par la porte, pourquoi pas la fenêtre ?
Le lendemain matin, alors que je me préparais, mon frère m'appela dans son bureau.
– Bonjour Tiana, j'espère que tu as bien dormi après ton escapade. Je dois régler deux trois problèmes en dehors de la meute et j'emmène avec moi quelques personnes. Je te charge de garder la maison. Bien sûr tu n'as pas le droit de t'approcher de la cave, est-ce clair ? me dit-il d'un ton ferme ne demandant pas de réponse en retour.
C'est bien trop beau pour être vrai. Je vais avoir une liberté de mouvement supplémentaire et cette liberté me permettra d'aller rendre une petite visite à notre prisonnière !
– Tu te doutes bien que je ne vais pas te laisser seule. Tu es grande mais encore immature pour ton âge. C'est pourquoi, ton Bêta Eirik sera dans les parages et gardera un œil sur toi. Si tu tentes quoi que ce soit, j'en serais tout de suite informé. Continua-t-il avec son regard sévère mais tendre malgré tout.
Oh. Eirik... Je l'apprécie beaucoup mais je ne suis pas forcément à l'aise avec lui. Il n'est pas méchant mais je l'ai toujours soupçonné de m'aimer et je ne pense pas ressentir la même chose.
– C'est obligé que ce soit Eirik ? Lui demandant d’une petite voix, connaissant déjà la réponse.
Son regard m'indique que c'est non négociable. Bon, malgré le fait que ce sera une journée plutôt gênante, j'aurais plus de facilité à esquiver la surveillance. Je n'aime pas utiliser ses sentiments contre lui, cela ne me fait pas du tout plaisir. Mais, j'ai un pressentiment et mon instinct me cri d'aller voir cette femme et d'en savoir plus.
Mon frère est bien trop occupé pour aller l'interroger ou s'en soucier. C'est pour cela que Owen lui rend visite. Du moins, jusqu'à qu'il décide que sans réponse, cela ne sert à rien. Il faut, apparemment, l'affamer pour obtenir une réponse.
Je décide de me promener le temps que mon frère parte.
On pourrait croire que notre village n'est qu'un petit amas de maisons et de quelques habitants. Pourtant, nous sommes devenus nombreux au fil du temps. Je vis avec mon frère dans la maison centrale, la plus grande et spacieuse, et ce, depuis toujours. La famille Turner est, et a toujours été, au commandement. De génération en génération, nous reprenons les liens. Cela a souvent été les hommes qui commandaient dû à leur force et leur aura imposante. Mais, depuis quelques générations, les femmes ont développé de nombreuses capacités et une force bien supérieure aux hommes de la famille. C'est pour cela que je pensais être celle qui reprendrait les rênes après la mort de mes parents.
Poursuivre les traces de ma mère...
Malheureusement, ce ne fut pas le cas. Ma santé ne le permettait pas. De toute façon, mon frère est bien plus puissant et meilleur en tant qu'Alpha. Aujourd'hui, je souhaite simplement me rendre utile à la meute.
Enfin bon, passons.
En me promenant, je croise beaucoup d'enfants courant dans tous les sens. Je discute par-ci par-là. Quelques personnes essayent d'avoir des informations sur cette femme au bandeau.
– Bonjour Tiana ! Comment vas-tu ces derniers temps ? Tu as bonne mine, ça fait plaisir à voir ! Me salue chaleureusement Amanda.
– Coucou Amanda ! Je vais bien, je dors, je mange, tout va bien pour moi. Ne t'en fais pas ! Lui répondant par un grand sourire et un gros câlin.
Amanda est, pour moi, une seconde grand-mère voire parfois une seconde mère. Elle a toujours été là pour prendre soin de moi, m'apporter à manger et faire tout ce qu'elle pouvait pour aider mes parents et m'aider à aller mieux.
– Oh ! En parlant de manger... J'ai failli oublier !
Elle se mit à chercher dans son sac de course et en sort un plat. Elle me le tend. Son fameux clafoutis aux cerises.
– Tiens, je sais que tu l'adores ! N'oublie pas d'en garder une part pour ton frère et aussi un petit bout pour Eirik. Me dit-elle toute sourire.
Elle est adorable mais trop perspicace à mon goût. On échange un regard qui vaut mille mots. Nous continuons de discuter et c'est aux alentours des midis que je finis par rentrer, le clafoutis à bout de bras. Dès que je m'approche de l'entrée, Eirik m'ouvre la porte, un sourire béat plaqué sur son visage. Il me salue avec beaucoup d'entrain bien que maladroit. Je lui réponds poliment et m'empresse d'entrer, me dirigeant vers la cuisine.
Il avait déjà préparé le repas, des pâtes carbonaras. Ni une, ni deux, je le remercie et me précipite pour servir les assiettes, posant le clafoutis au frigo.
"Mmmm". Fut tout ce que je pus dire alors que j'avale goulument une grosse fourchette de pâtes.
– J'adore les pâtes carbonaras et les tiennes sont les meilleures en plus ! Dis-je la bouche pleine.
Il se mit à rire et s'assoie en face de moi et nous mangeons en silence. Ou plutôt, nous ne parlons pas car je suis bien trop occupée à savourer et manger. Le repas avant, les papotages après !
L'après-midi se passe tranquillement. Nous discutons après le repas. Il me raconte les récents événements qui se sont passés en dehors du village. Ses expéditions avec mon frère. Ses missions, tout ce qu'il trouve intéressant et surtout ce qui peut m'intéresser. Une bonne partie du clafoutis disparue. Il en reste suffisamment pour mon frère, mais aussi une petite part supplémentaire que je compte donner à cette femme.
Je finis par m'éclipser vers les dix-huit heures, pendant que Eirik cuisine.
C'est ma chance ! Pas besoin de passer par la fenêtre aujourd'hui.
Je descends sur la pointe des pieds, la part de clafoutis dans la main, une marche grince... Je ne bouge plus, ne respire plus. Aucun bruit sauf celui de la télé dans le salon. Eirik doit être plongé dans l'un de ses films policiers préférés. Je finis de descendre les marches, regarde en direction du salon. Bien ! Je me dépêche de sortir silencieusement, par la porte de derrière, celle de la cuisine. Au passage, j'attrape du chocolat et en mange un bout.
J'arrive enfin au niveau de la fenêtre de la cave, m'assoie et attends quelques instants pour m'assurer que personne ne m'ait vu.
– Ouf ! Soufflais-je
– Qui est-ce ? Murmure la femme
– C'est moi ! Enfin, la fille qui est venue hier pour t'apporter du pain et une pomme. Je t'apporte à manger. Dis-je en lui posant le clafoutis et un peu de chocolat.
Je peux voir ses mains de nouveau, toujours aussi abîmées. Elle mangea avec appétit, puis, plus aucun bruit, seulement ma respiration en cette froide nuit.
– Qui es-tu ? Demandais-je tranquillement
Rien. Aucune réponse.
– Pourquoi es-tu enfermée dans la cave ? Continuais-je
Aucune réponse. Je ne dis plus rien pendant un moment qui me semble interminable. Je pensais pouvoir en savoir plus et assouvir un peu ma curiosité, mais, non. Je finis par me lever et alors que je commence à partir, j'entends, d'une faible voix :
– Je ne sais pas. Je n'ai rien fait pourtant.
Je comprends vite qu'elle n'utilise pas sa voix de manière aisée. On dirait qu'elle se force à parler, que quelque chose lui serre la gorge et l'empêche de parler normalement. Cette voix, n'est pas sa voix naturelle, mais celle d'une femme malade. Elle est cassée, très faible. Malgré tout j'arrive à l'entendre grâce à mon ouïe de loup.
Cette simple réponse me brise le cœur. Je ressens sa peur, son angoisse, pleins d'émotions qui semblent la tourmenter. J'hésite un instant mais je finis par me rassoir. Ma sympathie prenant le dessus sur ma curiosité.
– Explique-moi ce qui s'est passé. Je pourrais peut-être t'aider ! Dis-je
– Tu devrais le savoir, tu habites dans cette maison, juste au-dessus de ma cellule. Une quinte de toux lui prive de la parole. Je n'ai confiance en personne. Murmure-t-elle.
Bien que j'habite dans cette demeure, je me retrouve souvent à l'écart pour de nombreuses choses. Surprotégée. C'est ironique dans un sens. Ma santé a toujours été faible mais cela ne m'empêche pas de faire ce que je veux. C'est aussi pour ça qu'on peut dire que mon frère à raison de me protéger. La preuve, je parle avec la prisonnière de la meute. En soufflant, je pose ma tête contre le mur derrière moi, ferme les yeux et lui répond.
– Je comprends... Parfois, on se sent seul, même entouré. J'habite ici mais je suis souvent mise à l'écart des choses importantes. Alors, je me dis que peut-être...je ne devrais pas mais... je pourrais te tenir compagnie, même si ce n'est qu'un peu.
J'ouvre les yeux et admire le ciel nocturne. Les genoux ramenés sur ma poitrine, les bras croisés dessus, je pose ma tête.
– Je ne sais pas ce qui se passe, que ce soit le sort que l'on te réserve ou bien la raison de ta venue et de ton enfermement. Est-ce... est-ce que tu en as une idée ? Continuais-je.
Un hibou hulule dans cette belle nuit claire. Quelques cris de loups. Le vent soufflant dans les arbres. Aucun autre bruit. Ces derniers temps, les nuits sont calmes, trop calmes pour une meute et même pour un village. Depuis son arrivée, les habitants sont vigilants et ne sortent pas beaucoup dès la nuit tombée. Mais, c'était déjà le cas auparavant, depuis l'accident.
Elle reste silencieuse.
– Je reviendrai demain avec quelque chose d'autre, si je peux... Peut-être un livre ou de quoi dessiner.
Après ces derniers mots, je rentre discrètement. La télévision toujours allumée. Il dort encore devant. Je finis par monter les escaliers et me coucher.
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