Chapitre 13 : Un corps marqué, une mémoire brisée
Margaux
J’entends l’eau couler l’autre côté de la porte. J’hésite à frapper.
Je quitte un instant Tiana pour amener des vêtements bien plus chauds à Flavy. Je n'ai pas pensé qu'elle n'était peut-être pas une louve, mais une humaine, bien plus vulnérable au froid que nous autres. Je monte à l'étage, fouille dans les placards de ma chambre et finis par trouver un long pull, assez ample pour lui servir de robe. C'est étonnant que je l'aie encore...mais il fera l'affaire.
Elle est sous la douche depuis un bon moment maintenant. Une inquiétude sourde s'installe. J'entre dans la chambre.
– Flavy ? L'appelais-je
Aucune réponse.
Je m'approche de la salle de bain, hésitante. Je toque doucement. Toujours rien. Une peur m'envahit doucement. Et si elle s'était évanouie ? Lentement, j'entrouvre la porte.
– Flavy ? C'est Margaux. Tu ne répondais pas...Je voulais m'assurer que tout allait bien.
Mon regard se porte d'abord sur le sol humide, ne la voyant pas, je finis par le poser sur sa silhouette. Quand je la vois, un frisson glacé me parcourt et j'écarquille les yeux.
La vapeur entoure son corps maigre. Mais ce n'est pas seulement sa maigreur, ni même ses courbes féminines qui me frappent en premier. Bien sûr sa maigreur et les bleus présents sur son corps me choquent. Mais là, ce sont les veines noires. Sinueuses. Inquiétantes, qui tranchent violemment avec la pâleur de sa peau.
Flavy se retourne brusquement, et ses yeux bleus, empreints d'une terreur et d'angoisse...beaucoup trop d'émotions la traverse en peu de temps. Elle a clairement été surprise et je crois que le suis tout autant voire plus.
– Je... je suis désolée, je ne voulais pas te surprendre...Mais... Bredouillais-je, tentant de mettre des mots sur ce que je vois.
Un hurlement instinctif lui échappe, une expression brute de panique et de vulnérabilité apparaît sur son visage pâle. D'un geste précipité et désespéré, elle tire le rideau de douche devant elle, cherchant à se cacher.
Trop tard.
Je reste figée, incapable de détourner le regard.
– Margaux ! Qu'est-ce qu'il se passe à la fin !
La voix de Tiana résonne derrière moi, précipitée et inquiète. Avant que je ne puisse répondre, elle entre dans la salle de bain. J'ouvre rapidement le rideau, le déchirant presque, exposant une nouvelle fois le corps nu de Flavy.
Un cri de stupeur échappe à Tiana.
– Qu'est-ce que...Qu'est-ce que c'est que tout ça ?! Cria Tiana
Cette dernière essayant de se cacher comme elle peut, nous tournant le dos, se recroquevillant.
– Sortez ! Partez ! Hurle-t-elle violemment Flavy, sa voix brisée par l'émotion, résonnant dans toute la maison.
Un silence tendu s'installe. Tiana est extrêmement surprise par sa réaction, moi de même. Fallait bien se douter que débarquer dans la salle de bain n'était pas la meilleure des idées. Mais, qu'est-ce que c'est que toutes ces marques et ces veines vertes et noires ?
– Sortez d'ici ! S'écrit-elle, sa respiration haletante, ses mains tremblantes agrippant le rideau, le visage rouge et les yeux pleins de ... colère ou de peur ?
Flavy, à bout de souffle et submergée par ses émotions et la peur, murmure d'une voix brisée :
– Ne... ne me regardez pas…
Mais ni moi ni Tiana ne détournons les yeux, incapables de comprendre ce que l'on venait de voir. Je finis par prendre le bras de Tiana et la traîne dehors, refermant la porte derrière nous.
– Mais... Commença Tiana
– Non. Dis-je sèchement, de manière autoritaire.
Alors que je me dirige vers la porte de la chambre, Tiana reste plantée au milieu de la pièce, ne sachant que faire. Je finis par l'attraper, la faire sortir et fermer la porte de la chambre à clef. Puis je descends dans la cuisine, je me sers un verre d'eau et le bois d'une traite. Dans l'espoir de me remettre les idées en place.
Dès que je repose mon verre sur le meuble, je lève le visage en direction du plafond, ferme les yeux et souffle tout l'air contenu dans mes poumons. Beaucoup trop de questions en peu de temps, et en même temps quelques réponses me parviennent. Pourquoi portait-elle un pull aussi long avec un col roulé aussi montant ? Pourquoi portait-elle un bandeau sur les yeux ? Ces veines... même ces yeux... Elle devait avoir de magnifiques yeux mais maintenant, ils ont perdu leur clarté... si profonds et... vide. Même les veines de ses yeux sont un peu noires. Qu'est-ce que c'est ?
– Qu'est-ce que c'est à ton avis ?
La voix de Tiana me tire de mes pensées.
– Je ne sais pas... Ce n'est pas normal. Lui répondis-je dans un murmure.
– Tu crois... qu'elle est mourante ? C'est pour ça qu'elle était cachée ? Qu'elle se bandait les yeux ? Et...
Je la coupai net dans son déballage de questions. Je n'ai pas de réponse, personne ne peut en avoir, hormis cette femme, Flavy...
Que faire ? Dois-je en parler à l'Alpha ? Dois-je le garder pour moi ? Je ne sais pas, je suis prise de court.
Je m'attendais à voir son corps maigre et affaiblie, des blessures mais pas à ce point-là et encore moins avec ce... Je-ne-sais-quoi.
– Écoutes moi Tiana, tu le gardes pour toi pour l'instant. Je vais essayer d'en savoir plus. Ne serait-ce que si c'est une maladie et si elle est contagieuse. Pour l'instant, tu vas rentrer chez toi et je m'occupe du reste. Annonçais-je fermement.
– Mais ! Tenta-t-elle de répliquer
– Tiana ! Je sais que tu veux l'aider et que tu en as marre d'être mise à l'écart, surtout que tu es censé être notre véritable Alpha. Je te respecte et souhaite seulement prendre soin de toi et te protéger comme je le ferais pour ma petite sœur Mia. Si elle était encore de ce monde. Tu as beaucoup de problèmes de santé, on ne va pas rajouter une potentielle épidémie inconnue.
En disant cela, je me retourne vers elle et la regarde dans les yeux. Les larmes commencent à couler le long de ses joues. La frustration et l'inquiétude se lisent dans son regard.
– Écoute, j'essaie d'en apprendre plus et dès que je sais que ce n'est pas contagieux ni dangereux, tu en seras la première informée et tu pourras venir avec moi pour lui parler. Lui dis-je sur un ton plus doux, prenant son visage entre mes mains, lui séchant les larmes à l'aide de mes pouces.
Elle hoche la tête, à contre-cœur malgré tout, et finit par sortir de la maison. Une fois partie, la maison retrouvant son calme et son silence, je me masse les tempes. Un mal de crâne apparaît.
En haut, l'eau a fini de couler depuis longtemps. Je l'entends sortir de la douche et de la salle de bain.
Je me dirige vers l'entrée, ouvre la porte et appelle les deux sentinelles.
– Tout ce qui a été dit ou tout ce que vous avez pu entendre, reste entre vous et moi. Est-ce clair ? Dis-je en usant de mon autorité de Bêta.
Évitons d'ébruiter une possible maladie. Je ne veux pas faire paniquer la meute, ni les autres habitants. Évitons également que quelqu'un s'en prenne à elle dû à cette maladie.
La nuit va être longue. Je vais devoir trouver une solution et une manière de l'interroger sans la brusquer.
Je finis par passer tout le reste de la soirée, assise sur le canapé, un verre de vin rouge à la main et un calepin. Essayant de trouver une solution à tout cela.
Je me réveille en sursaut, regardant autour de moi.
– Ma tête... elle me fait mal ! Dis-je en me relevant.
Je regarde autour de moi, je suis toujours sur le canapé. Il faut croire que je me suis endormie ici à force de trop réfléchir et avec un peu de vin dans le sang... Je n'ai pas vraiment trouvé de solution. La confronter est le seul moyen d'en savoir plus.
Bon... Je vais d'abord commencer par lui apporter un bon petit déjeuné. Il faut qu'elle se remplume, et moi, il faut que je mange pour reprendre de l'énergie.
– Madame Margaux ?
Une voix m'appelle. J'ouvre la porte, une sentinelle m'apprend qu'ils vont devoir faire un changement de garde. Par la même occasion, ils devront faire un rapport à l'Alpha…
– Vers qu'elle heure ? Demandais-je
– Onze heure Madame. Répond-t-il.
Onze heures... Pas beaucoup de temps pour agir. Je prends une grande inspiration.
– Jusque-là, n'en parlez pas. Une fois l'heure de votre rapport arrivée. Dites à l'Alpha que je l'attendrais dans le salon.
Après leur salut, je ferme la porte et prépare le déjeuner. Je mange le mien puis je monte et toque à la porte, évitant la scène d'hier. J'entre après avoir déverrouillé la porte.
– Je t'apporte ton déjeuner. Dis-je en l'observant.
Elle est assise sur le lit, lisant un livre. Dès que je m'approche d'elle, elle le pose et se met en garde.
Je pose le plateau sur le lit, lève les mains en l'air en signe de paix.
– Il faut que tu manges, tu es bien trop maigre. Aucun mal ne te sera fait. Ensuite, je m'assoie sur la chaise du bureau, et me place en face du lit. Tu devrais manger. Dis-je alors qu'elle ne bougeait pas d'un pouce.
Son ventre se mit à grogner tellement fort que même un humain l'aurait entendu. Elle finit par se résoudre à manger. Elle semble avoir déjà un peu plus de couleur qu'hier, avant de venir ici.
– Que veux-tu ? Me demande-t-elle en mangeant. Tu ne fais pas ça par charité, tu attends quelque chose de moi. Alors, demande.
Elle est vive d'esprit et intelligente. Je continue de l'observer un instant avant de répondre.
– Encore désolée pour hier. Je ne te veux aucun mal. Dis-je en m'approchant d'elle, doucement.
Un frisson la parcourt et elle recule, tenant la cuillère dans la main en guise d'arme. Son propre comportement la déstabilise, sa main tremble et elle semble perdue. Je vois dans ses yeux qu'elle lutte contre elle-même pour se contrôler.
Je finis par m'excuser et reculer, me rasseyant sur la chaise.
– Ces... marques, ces bleus. Commençais-je
– Tes collègues. Fut tout ce que j'obtiens en réponse.
Ils ont dû user de la force pour l'amener ici... Quelles brutes des fois. J'observe sa jambe qui dépasse de la couverture. Son mollet est toujours empli de veines noires.
– Ta jambe, qu'est-ce que s'est ? En la lui montrant.
Elle cesse de bouger un instant, puis la cache sous la couverture.
– Rien. Répond-t-elle sèchement.
Mon regard s’adoucit et je lui montre une cicatrice sur ma jambe droite. Elle fit la grimace en la voyant. Elle n'est pas belle du tout mais je l'ai malgré la régénération accélérée de mon espèce.
– Je l'ai eu alors que j'essayais de protéger ma famille et ma meute. Dis-je un peu triste, en l'effleurant.
– Ta...meute ? Écoute, je ne comprends pas tout ce qui se passe, ni qui vous êtes. Mais, vous ne pouvez pas me garder prisonnière. Argumente-t-elle en poussant le plateau vide. Je ne comprends pas pourquoi ils m'ont amené ici et ne m'ont pas laissé tranquille, dans cette vieille maison.
Elle se lève et se dirige vers la fenêtre, regardant par celle-ci, à travers le rideau, se tenant les bras. Elle me fait beaucoup de peine, c'est vrai, mais...j'ai l'impression de me voir après la perte de ma petite sœur. J'étais perdue, en colère, je ne savais plus quoi faire…
– Je... je veux t'aider.
A ces mots, elle se tourne vers moi et sourie de tristesse.
– Personne ne peut m'aider, je suis seule depuis un bon moment maintenant. Pourquoi toi tu me viendrais en aide alors qu'on m'a laissé seule, vivant dans cette cave…
– Je ne sais pas quoi répondre à ça. Nous ne savons rien de toi, hormis ton prénom et...maintenant, plus ou moins, ta condition physique.
Je me lève et fais un pas vers elle.
– Je ne prétends pas être là juste pour faire de la charité. Je veux en savoir plus sur toi et sur ces veines noires. Si je n'en apprends pas plus, je ne sais pas ce qu’il t'arrivera. Alors, s'il te plaît, parles-moi de toi. La suppliais-je.
Un silence s'installe.
Je vois dans son regard qu'elle doute, mais une toute petite lueur brille. Elle ressert ses mains sur ses bras, se mord la lèvre. Elle hésite, il faut que je gagne un peu de sa confiance pour qu'elle s'ouvre à moi. Je ne sais pas si elle a une maladie contagieuse mais je prends le risque et lui tends la main, l'invitant à la prendre.
Elle la regarde, me regarde, puis ferme les yeux et souffle, fatiguée de tout ça. Elle passe à côté de moi et se pose en tailleur sur le lit. Je reste bêtement dans cette position un instant puis finis par me poser à côté d'elle sur le lit, suffisamment loin pour ne pas gêner son espace vitale.
– Je précise une chose. Je ne te fais pas confiance mais...je n'ai pas trop le choix. C'est quand même grâce à toi si je suis sortie de la cave. Même si je reste prisonnière. Ajoute-t-elle avec un petit rire jaune.
Plus rien. Le silence complet. Je ne dis rien, ni ne bouge, attendant qu'elle s'exprime de nouveau.
– Je m'appelle bien Flavy, j'ai... vingt-deux ans, je crois. En quelle année sommes-nous ?
D'abord surprise de voir qu'elle ne sait pas cela, puis peinée.
– Nous sommes en deux milles vingt-quatre. Le lundi quatre décembre précisément. Lui répondis-je
Elle hocha la tête avant de poursuivre.
– J'ai bien vingt-deux ans. Je...je ne sais pas vraiment qui je suis. J'ai perdu la mémoire et je ne sais même pas pourquoi ni comment. Explique-t-elle, soupirant, étendant ses jambes et montre ses avant-bras laissant visible ses veines.
Tu voulais savoir la raison de mes bleus, tu l'as. De ma maigreur. Tu l'as plus ou moins. C'est en lien avec mes veines. Je les ais depuis un long moment. Je dirais depuis que je vis dans la vieille maison. Au-delà de cela, je ne pourrais te le dire. Ce n'est pas contagieux, du moins, pas comme une grippe ou tout autre microbe et virus. Vaut mieux éviter de toucher mon sang, il est contaminé.
Elle toucha son poignet droit, passant ses doigts sur des scarifications. J'écarquille les yeux et attrape son poignet sans m'en rendre compte. Elle le retire immédiatement et se recule.
– Désolée ! Je... c'est toi qui as fait ça ?! Dis-je paniqué.
Elle me regarde droit dans les yeux et valide mes propos.
– Pourquoi ?
Elle ne dit plus rien. Contrarié de devoir aller plus loin dans le dialogue.
Je m'arrête et respire pour me calmer et la questionne dessus.
– C'était le seul moyen pour ralentir la progression. Ça n'a pas encore atteint mon cœur car j'essaie de renouveler mon sang en évacuant ce poison par la scarification. C'est ce qui m'a sauvé.
D'un coup, la porte s'ouvre brusquement, nous faisant sursauter.
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