Chapitre 16

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L’obscurité m’enveloppe, paisible, je dors profondément.

Une nuit sans fin, traversée d’ombres fuyantes. Est-ce des visages connus ou bien inconnus ? Des voix s’élèvent dans la nuit. Maman ? Non. Ce n’est pas elle, mais elle lui ressemble. Ma sœur. Le visage de ma petite sœur et de mon petit frère. Des jumeaux. La température monte, mon corps s’embrase. Ma gorge se serre, impossible de respirer normalement. Mon corps ne me répond plus. Je marche dans l’obscurité.

« Posez-là ici, n’oubliez pas de l’attacher. Je ne veux surtout pas qu’elle se réveille libre. »

Qui ? A qui appartient cette voix ? Je ne comprends pas. Je suis de nouveau dans cet hôpital. N’étais-je pas dans une chambre, dans un village ?

« Là. Voilà. On t’a enfin attrapé sale garce. »

Un homme, un sourire sadique collé au visage. Qu’est-ce que vous me voulez ?! J’essaie d’hurler, mais rien ne sort. Ma bouche est comme cousue. Me débattant, mes os craquent.

Mon reflet apparaît sur les verres de ses lunettes. C’était il y a plus d’un an. Un cauchemar…Non…des bribes de souvenirs. Ma peau est recouverte de cicatrices qui se referment petit à petit. Aucune veine noire. C’est eux qui m’ont fait ça ?!

« Bien. Tu vas gentiment rester ici, le temps que je prépare mon matériel. J’ai enfin mon jouet d’expérience. Je ne vais pas le laisser s’échapper. Toi, là ! Passe-moi le neutralisant bestial. »

Neutralisant ? Bestial ? Mon corps se débat de plus en plus. Un bras dégagé, j’arrache la sangle tenant l’autre et lâche un hurlement guttural. Mes yeux virent, ma vision change.

Un éclat. Rouge. Noir. Blanc. Jaune. Tout se mélange dans ma tête.

« Vous allez le regretter ! »

Je peine à reconnaître ma propre voix. Une puissance. Une détermination. Est-ce moi ? Avant que je ne perde mes souvenirs ?

Je suffoque. L’air me manque. Mon corps se cambre dans un spasme violent. D’autres images m’assaillent : une chambre, la maison en ruine, un hôpital, des humains, des …

Un autre cri. Cette fois, c’est le mien dans la réalité.

Je me redresse brusquement. Mes yeux brûlent, une lueur étrange danse dans l’obscurité. Mon souffle est erratique. La chaleur grimpe, envahit ma peau, mes veines brûlent comme des braises. Mes oreilles bourdonnent, chaque battement de mon cœur résonne dans mon crâne. La sueur coule le long de mes tempes.

Qu’est-ce qui est réel ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ?!

Tout se mélange. Souvenirs. Réalités. Je perds pied. Je ne contrôle plus mes faits et gestes.

« Si tu bouges encore, je les tue tous ! »

La voix de cet homme me fait grogner de rage. Rouge. Partout. Mes mains sont rouges, les murs aussi. Tout autour de moi, des gens étalés au sol. Devant moi, cet homme tient un pistolet pointé sur la tempe d’un enfant. D’autres personnes. D’autres otages.

« Lâchez-les maintenant ! »

Ma voix m’est inconnue. Bestiale. Inquiète. Impuissante.

Ma poitrine s’imprègne de ces sentiments. Des émotions bataillent, font rage.

Je dois les faire sortir d’ici. Je dois sortir d’ici !

Ma vision passe de la réalité au souvenir. Ou l’inverse. Sans réfléchir, j’ouvre la fenêtre et bascule dans le vide. Mon corps bouge sans que je le commande. Bientôt, mes pieds frappent le sol. Sans douleur. Fuyant l’invisible, une menace qui ronge mon esprit, je cours, chancelle, me tiens la tête. Une douleur lancinante explose dans mon crâne. Un cri m’échappe, sauvage et inhumain.

Même l’air frais du soir ne peut rien contre le bouillonnement prenant d’assaut mon cœur, parcourant mes membres, remontant le long de mon cou, gagnant mes joues, jusque dans mes yeux.

Mon cri déchire la nuit.

Des ombres surgissent.

Ne vous approchez pas ! Hurlement ou pensée, qu’importe. Ma respiration est vive, irrégulière, forte. Impossible de me calmer.

Mes pieds frappent la terre, mes jambes tremblent, mais je cours. Toujours plus vite. L’ombre des arbres danse devant mes yeux, floue, indistincte. Derrière moi, des voix, des ordres. Je ne peux pas m’arrêter.

« Attachez-là ! Injectez-lui la dose maximale, je m’en fous ! »

Secouant la tête, j’hurle une dernière fois, un cri arraché à mes poumons.

La forêt est là !

Je cours, mes pieds martelant d’une force oubliée sur la terre humide. Mes jambes se font fouetter par le vent et le froid de la neige. Plus je m’enfonce dans la forêt, plus mon esprit semble s’éclaircir, pourtant, je n’arrive toujours pas à distinguer le passé du présent. Dans les deux cas, je fuis dans une forêt, poursuivie par des inconnus. Mes yeux scrutent frénétiquement les alentours, en quête de je ne sais quoi. Mon regard bondit d’une ombre à l’autre, fouille les ténèbres sans relâche. Le froid me mord, mais la chaleur qui bouillonne en moi est bien trop intense pour que cela m’apaise. J’entends tout. Et rien. Le hululement d’une chouette lointaine. Le vent qui s’infiltre entre les branches, les fait craquer doucement. Le crissement de la neige sous mes pas.

Mon cœur. D’autres cœurs. D’autres souffles qui se rapprochent.

Ma vue s’ajuste à la nuit à peine éclairée par la lumière blafarde de la lune, je distingue les troncs. Les arbres semblent se pencher et m’épier.

La bouche grande ouverte, j’aspire l’air à pleins poumon. Une vapeur blanche s’échappe de mes lèvres et se perd dans la nuit glacée. La sueur ruisselle sur mon front brûlant, et des mèches de cheveux se collent à ma peau pendant que le reste vole derrière moi à chacun de mes pas.

Des voix me parviennent. Floues. Distantes. Puis de plus en plus nettes.

« Arrête-toi ! »

Et des odeurs. Des odeurs d’hommes. De femmes. Et de loups. Des odeurs de volatiles. De transpiration.

Mon odorat s’affine, s’éveille. Chaque effluve me frappe avec une précision nouvelle. Leur peur. Leur excitation. Leur force. Tout se mélange et m’envahit.

Je cours encore. Encore. Jusqu’à ce que mes pieds heurtent un sol en montée. Je grimpe, haletante, et me retrouve bientôt au sommet d’une colline. Devant moi, le haut d’une cascade s’effondre dans un petit lac noir et scintillant. L’eau rugit, mais mon esprit la couvre de silence.

Je m’arrête. Je me retourne.

Mes pieds s’ancrent dans la terre. Mes muscles se tendent. Je me mets en position prête à me défendre.

Ma vision vacille.

Une silhouette se dessine. Lui. Le médecin.

Ou ce qu’il prétendait être. Il avance. Lentement. Avec ce même sourire sadique gravé sur le visage.

J’hurle.

Un cri venu du plus profond de moi. Si puissant que les quelques oiseaux encore présent s’envolent, affolés, déchirant le silence. Puis… plus rien. Juste les battements de cœur. Les respirations lourdes.

La brume se dissipe. Des formes apparaissent. Des silhouettes.

La lune, cachée jusqu’ici, déchire les nuages, révélant leurs visages.

Des loups. Des humains. Certains encore à moitié transformés prennent forme humaine. Ils sont une dizaine. Hommes, femmes, jeunes, anciens. Tous me regardent. Tous en alerte, prêt à bondir si je les attaque.

Mon regard se pose sur une femme. Il s’accroche sur son visage.

Margaux.

Un choc. Comme une gifle invisible. Spirituelle. Elle me ramène à moi, à l’instant présent.

Le sang pulse dans mes oreilles, je scrute chaque visage, plongeant dans chaque regard, un pincement au cœur.

Mais quand mes yeux croisent les siens, celui qui se tient légèrement en avant des autres, l’Alpha, quelque chose explose en moi.

Une sensation violente, étrangère.

Une connexion. Cassée. Brisée. Mais qui essaie de revenir à la surface.

J’hurle à nouveau. Mon corps se cambre sous la douleur. Mes os craquent, tordus par une force que je ne maîtrise pas. Ma vision se teinte de rouge. Je ne vois plus que le sang. Mes mains, couvertes d’hémoglobine. Et dans mon esprit, une scène horrible. Moi, déchaînée. Massacrant tous ces gens. Même Margaux. Margaux…je l’apprécie malgré moi…

Non…

NON !!!

Je refuse ça !

Je tourne les talons. Dans un dernier élan de lucidité, je cours et me jette dans l’eau noire de la cascade. Le froid me transperce, m’arrache un cri silencieux.

Derrière moi, les voix résonnent, hurlent mon nom.

Trop tard.

L’eau m’engloutit.

Le choc avec la surface est violent, comme si mille aiguilles s’enfonçaient dans ma peau. J’ai l’impression d’avoir été poignardée. L’eau glaciale lacère chaque parcelle de mon corps, autrefois brûlant.

Ma bouche s’ouvre sous l’impact. Le peu d’air qu’il me restait s’échappe en plusieurs petites bulles, arrachées par la douleur.

Mes bras fouettent l’eau, mes jambes battent, mais le courant m’emporte. Je me débats, en vain. Mon corps est trop lourd, engourdi par le froid, vidé de sa force.

Dans un dernier réflexe, je tends un bras vers le haut, vers la lumière qui palpite à la surface. Mais mes doigts ne rencontrent que du vide.

Et puis, tout ralentit, le silence m’enveloppe. Mon cœur au bord de l’explosion ralentit peu à peu. Une chaleur étrange naît au fond de ma poitrine, pas celle de la rage ni de la douleur, mais celle d’un doux souvenir.

Je suis chez moi, dans mon village. Le soleil est éblouissant et un feu crépite, des visages aimés m’entourent, leur rire remplisse l’air. Ma famille. Mes amis… Mes frères et ma sœur. Leurs mains dans les miennes, le petit dernier sur mes genoux. Nos regards complices, je ris. Je me sens légère et vivante.

Et, juste avant que l’obscurité ne m’engloutisse pour de bon, je m’entends prononcer ces mots :

« Je vous aime ».

Puis, je me sens disparaître dans les profondeurs du lac.

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